Vendredi 13, chat noir, passer sous une échelle... : d'où viennent nos superstitions ?

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Vendredi 13, chat noir, passer sous une échelle... : d'où viennent nos superstitions ?

Les superstitions
Les superstitions
© Getty

Croyances populaires liées au surnaturel, héritage des religions ou de rites païens, ces petits gestes ont au moins un pouvoir qui n'a rien de magique. Ils nous rassurent. Pourquoi sommes-nous à ce point attachés aux superstitions ? C'est la question que Thomas Chauvineau a posé à ses invités dans "Le débat de midi".

Le caractère de la superstition, c'est d'être très versatile. Les superstitions selon les philosophes, et notamment Spinoza, sont nées essentiellement de la crainte. Mais la crainte est toujours liée à l'espoir. Il peut donc arriver que ce qui est objet de crainte devienne un objet d'espoir.

Des superstitions pour calmer le stress

"Ce qui est très frappant du point de vue du fonctionnement mental de l'être humain, c'est la notion de prédiction, explique le neurobiologiste Sébastien Bohler. C'est à dire que l'être humain a besoin de s'organiser pour survivre. Dès qu'il peut faire une prédiction sur ce qui peut arriver, que ce soit l'arrivée de la pluie, quand vous êtes agriculteur, que ce soit l'arrivée d'un prédateur, si vous êtes un homme préhistorique, c'est autant de chance de survie en plus. Notre cerveau passe son temps et essayer d'anticiper ce qui va arriver. Il a même un repli de son écorce cérébrale, qui s'appelle le cortex cingulaire antérieur, qui est assez spécialisé dans le fait de faire des prédictions. 

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Les superstitions sont assez fabuleuses parce qu'elles donnent une sorte de mode d'emploi du réel. 

Quand on a des superstitions, on a des petites clés pour essayer de savoir ce qui va arriver. Et quand notre cerveau n'arrive pas à se projeter, à faire des prédictions sur ce qui va lui arriver dans son environnement, un signal d'alarme est tiré qui se traduit par la libération d'hormones du stress comme le cortisol ou la noradrénaline. On ne se sent pas bien parce qu'on a l'impression de pas maîtriser son environnement. Ce qui est très intéressant dans les recherches sur les superstitions, c'est la notion de perte de contrôle et d'angoisse. Quand vous êtes dans cette situation, avoir des petites clés fait baisser les taux d'hormones du stress. Ça rassure fondamentalement. De même que les rituels, qui sont un peu dans la même sphère conceptuelle que les superstitions."

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Les origines de nos superstitions

Le principe de la superstition, c'est de ne pas avoir d'explication, ce qui lui donne sa force magique.

La sémiologue Marie-Charlotte Delmas en a pourtant consigné un bon nombre, d'explications, dans son ouvrage Dictionnaire de la France mystérieuse : "Je les explique en émettant des hypothèses logiques.  Prenons l'exemple de 'passer sous une échelle' : il y a plusieurs hypothèses, mais c'est une superstition que je n'ai pas retrouvée dans les milliers de documents que j'ai dépouillés pendant 30 ans dans les livres des folkloristes et sur les collectages. Ce que l'on connaît aujourd'hui des superstitions, ce sont les collecteurs du 19ème siècle qui nous les fournissent. Ils sont allés dans les campagnes relever toutes les croyances de l'époque. On a aussi quelques ouvrages au Moyen Âge. Quelques ouvrages dans l'Antiquité, comme L'histoire naturelle de Pline, qui nous permettent de voir que des superstitions que l'on trouve aux premiers siècles de notre ère chez Pline L'ancien. On va les retrouver au dix neuvième, mais on n'est jamais assuré d'une continuité. 

Le grand réservoir des superstitions, c'est l'almanach.

Dans cette France rurale qu'est encore la France du début du vingtième siècle, l'almanach est dans toutes les familles parce qu'il permet de connaître les jours, les saisons, les lunes. C'est à la fois l'agriculture et la vie. Et donc on a des superstitions tous les jours." 

Le vendredi 13

Marie-Charlotte Delmas, spécialiste des superstitions populaires s'est intéressée au vendredi 13. "La superstition liée au vendredi 13 est entièrement liée au christianisme et conjugue deux anciennes superstitions. Pour la comprendre, il faut prendre le vendredi d'un côté et le nombre 13 de l'autre. Le vendredi, c'est le jour de la mort du Christ et il est considéré comme un jour néfaste. Des manuscrits datant du Moyen Âge, Les recommandations du vendredi, énoncent tous les tabous du vendredi. C'est simple, Il ne faut rien faire le vendredi. On dit même que les grandes catastrophes bibliques se sont passées un vendredi. Le déluge a commencé un vendredi. Adam et Ève ont été chassés du paradis, un vendredi, etc. Donc, le vendredi est tabou. 

Le nombre 13 qui, normalement, devrait être un nombre favorable, parce que chez les Romains, les nombres impairs sont favorables, ce nombre 13 rappelle le nombre de convives lors de la Cène, c'est à dire le dernier repas du Christ. On évite donc de se rassembler à 13, notamment pour un repas. On ne trouve que cette explication quasiment jusqu'à la moitié du 19ème siècle : si on est 13 lors d'un repas, une des personnes à table va mourir. 

Victor Hugo lui-même, raconte la sémiologue, aurait fait retarder un repas lorsqu'il s'est rendu compte qu'il y avait 13 convives, le temps d'en trouver un quatorzième. 

Puis, cette superstition autour du 13 s'est un peu étendue. On a évité les 13e étages, les wagons 13 dans les trains, dans les chambres de certains hôtels, etc. Enfin, avec le développement des loteries, on a associé ce vendredi et ce 13, pour en faire un jour singulier." 

Le nombre 13 n'est ni bon, ni mauvais. Il est singulier.

Les superstitions ont la vie dure... ou pas

"La science a fait disparaitre un certain nombre de superstitions. Pourtant, on ne peut pas réduire la superstition à une étape du savoir et de la connaissance souligne Marie-Charlotte Delmas. La preuve, c'est qu'il y en a qui demeurent encore aujourd'hui et que la superstition correspond à un système de pensée bien précis qui prend ses racines dans l'animisme. C'est à dire que tout élément est doté d'une vie, d'une existence propre, d'une âme et va pouvoir interagir avec les hommes. Chez les gréco romains, non seulement il y avait des dieux, mais il y avait aussi toute une foule de petites divinités qui assistaient les hommes dans leur quotidien presque d'heure en heure. Que ce soit dans le foyer, dans la nature où elles s'incarnaient, etc. 

On a des résidus de cette pensée magique. Il y en a qui disparaissent. Il y en a qui évolue. Elles changent d'un lieu à l'autre. Le chat noir porte bonheur en Aquitaine. Il va porter malheur ailleurs. 

Certaines sont créées. Je trouve très drôle l'une des dernières superstitions créées qui est celle de se regarder dans les yeux quand on boit. Je ne sais pas d'où ça vient, probablement des Etats-Unis, et c'est une superstition qu'on n'aurait jamais trouvée dans les siècles précédents. On ne regardait pas quelqu'un dans les yeux. Ça portait malheur. On croyait au mauvais œil."

Les invités de Thomas Chauvineau dans ce Débat de midi consacrée à la superstition :

  • Sébastien Bohler, rédacteur en chef de la revue Cerveau et psycho, docteur en neurobiologie.  
  • Ariel Suhamy, docteur en philosophie, directeur de la collection La vie des idées chez PUF. Spécialiste de Spinoza. 
  • Marie-Charlotte Delmas, sémiologue, spécialiste des superstitions populaires. Autrice du Dictionnaire de la France mystérieuse (2016)
  • Nicolas Gauvrit, psychologue et chercheur en sciences cognitives à l’École pratique des hautes études à Paris
Le débat de midi
55 min