Vêtements, espaces, et mixité : comment la question du genre traverse-t-elle l’école ?

Le mouvement du #Lundi14Septembre, lancé sur les réseaux sociaux, a relancé le débat sur les règlements vestimentaires au lycée et au collège. Pourquoi ces petits bouts de tissus, qui ont mis le feu à l'école, sont l’occasion d’éduquer les garçons ? Comment l’école transmet-elle des normes ?
Sophie Ferry, enseignante, Stéphane Clerget, pédopsychiatre, et Edith Maruéjouls, directrice du bureau d’études L’ARObE (L’Atelier Recherche Observatoire Egalité) étaient les invités de l’émission Pas son genre présentée par Giulia Foïs consacrée aux stéréotypes à l’école. Ensemble, ils ont expliqué pourquoi la déconstruction du discours sexiste passe par l’espace scolaire.
L'école véhicule des stéréotypes sexistes
On s'est rendu compte du sexisme à l’école à la rentrée avec ce mouvement de colère des lycéennes qui réclamaient le droit de pouvoir s'habiller comme elles l'entendaient. Le ministre de l'Education Nationale a répondu en septembre 2020 que les jeunes filles n'avaient qu'à porter une "tenue républicaine", une tenue correcte pour les filles parce que cela pourrait distraire les garçons, et pour ne pas être ennuyées !
Stéphane Clerget : "Cette histoire de tenue correcte véhicule évidemment l'idée que la personne agressée est coupable. À l'extrême, c'est le viol. Avec l’idée qu’elle a cherché ce qui lui arrive. Ce n'est pas nouveau, malheureusement, mais c'est dangereux.
Les tenues critiquées aujourd’hui présentent un intérêt : celle d’apprendre aux garçons à maitriser leurs pulsions. C'est extrêmement compliqué. Mais c'est la base de l'éducation.
Cela commence très tôt avec les pulsions agressives qu'on leur apprend à maitriser. Puis à l'adolescence, les garçons doivent effectivement contenir leurs pulsions sexuelles. C'est le fondement de la civilisation. On doit se mobiliser sur cette éducation et apprendre à chacun à se contrôler, quelle que soit la personne qu'on a en face. »
Sur les bancs comme chez les enseignants, les filles gagnent du terrain
Quelques chiffres :
- A 14 ans on compte deux tiers de filles contre contre la moitié de garçons sur une classe de Troisième.
- Il y a deux fois plus de décrocheurs de sexe masculin que féminin à 20 ans.
- 36% des garçons sont en licence, contre 50 % des filles…
Stéphane Clerget : "Il existe dans l’école une fracture sexuée, comme une fracture sociale avec les milieux favorisés où la réussite scolaire est meilleure. La réussite scolaire des garçons est aujourd'hui bien inférieure à celle des filles - et ce n'était vraiment pas le cas autrefois. On observe un décrochage des garçons dès le CP, dès l'apprentissage de la lecture.
Pourquoi ? Parmi les hypothèses, l'école telle qu'elle est aujourd'hui apparaît moins adaptée aux garçons. Théoriquement les cerveaux sont les mêmes et les résultats scolaires devraient être équivalents. Mais si la mixité des enfants existe, celle des adultes n’existe pas. Pour apprendre, on a besoin de s'identifier au personnel supposé savoir. Or 70% des enseignants sont des femmes en primaire, et si on prend tout le personnel, et pas uniquement les enseignants, on arrive à 90%.
On parle de la parité (et c'est formidable) dans la police, dans l'armée, dans la politique où elle est devenue obligatoire, mais dans le milieu de la petite enfance, et notamment dans l'enseignement, on n'en parle pas. On ne l'impose absolument pas. Comme si s'occuper des petits était trop médiocre pour ces messieurs".
On tolère des comportements agités chez les garçons, mais cela les dessert
Les enseignantes seraient plus indulgentes avec la turbulence des garçons, avec derrière cela une certaine idée de la virilité. "Un rapport du Haut conseil à l'égalité de 2017 sur la formation à l'égalité filles garçons soulevait un point très intéressant" rappelle Sophie Ferry. "Il disait que les professeurs avaient tendance à engager des interactions d’abord avec les garçons (à hauteur de 56%), qu’ils avaient tendance à pardonner plus facilement aux garçons turbulents, et qu’ils attendaient d’une fille qu'elle soit sage, sérieuse et disciplinée".
Stéphane Clerget renchérit : "Il ne faut pas imaginer que la tolérance vis-à-vis des comportements masculins est un privilège. Comme on a moins d'attentes de performance à l’égard des garçons, ils se donnent moins à l’école. Les garçons ont intégré que la réussite est féminine.
Dès le collège, ils disent qu'ils travaillent moins pour ne pas se faire traiter "d'intello", ce qui est dans la bouche de certains, l'équivalent de "fille".
Cette fracture est encore plus importante dans les milieux populaires. Dans ces milieux, la scolarité en maternelle et en primaire, c'est l'affaire des mamans. Ce n'est pas l'affaire des papas, et ça vient renforcer la féminisation à l’œuvre au sein de l'école".
Pour les filles, l’école est une question d’émancipation
"Dans les milieux populaires, ce sont souvent les femmes qui gèrent l’administratif, qui remplissent les papiers, qui se tiennent le stylo à la main…" souligne Stéphane Clerget. "Comme elles se reconnaissent davantage dans leurs filles, elles vont effectivement les pousser à réussir à l'école en se disant que les garçons s’en tireront de toutes les façons".
La solution : tout changer dans l’espace social de l’école ?
Edith Maruéjouls accompagne actuellement des villes sur des projets d’écoles égalitaires. Pour elle, "penser une école égalitaire, c’est d’abord repenser la cour de récréation pour en faire soit un miroir de la société, soit un espace de changement. Vouloir le changement c’est rétablir la mixité, rétablir la relation entre les filles et les garçons, c’est combattre la norme et réinjecter certaines valeurs".
Elle explique : "On ne va pas faire disparaître des terrains de foot, on apprend plutôt à négocier et à renoncer, et on institue ce qu’on appelle le partage. Concrètement, partager et être à égalité, ce n’est pas avoir chacun un gâteau, mais d'avoir le même gâteau et d’en prendre chacun des parts… Faire des parts sur un espace scolaire, c’est pareil. Il faut savoir à quoi on veut jouer en tenant compte des deux freins : « Je ne peux pas jouer à ce qui est proposé » et « Je ne peux pas proposer mon jeu sur l’espace collectif ou l’espace central. »
C’est toute l’histoire du sexisme et de l’homophobie qui se joue. Le discours majoritaire renvoie ce discours aux filles et les autres garçons qui sont aussi exclus de cet espace central : « Tu n’es pas légitime, tu es disqualifiée pour être au centre sur le jeu que moi je propose ». Je leur propose de "faire tourner la corde", par exemple, mais aussi d’adhérer à cette idée : « Si je veux jouer avec toi, c’est mon droit ». Etre à égalité, c’est avoir les mêmes droits.
Dans les salles de classe ou à la cantine, c’est la même question. Derrière la non-mixité se cache la question de l’amitié.
Derrière "ne pas jouer ensemble", "ne pas rire ensemble", "ne pas manger ensemble", "ne pas se donner la main dans le rang", c’est aussi s’interdire d’être amis.
Et ça, les enfants le savent profondément. Quand je leur demande. « Est-ce est important de mélanger filles et garçons ? » Ils me disent « oui parce qu’on apprend à se connaître. Et on peut devenir amis. » "
La fin de la mixité ?
L'école non mixte est-elle une réponse pour que chacun puisse étudier en toute liberté, en toute quiétude, garçons et filles ? "Ça serait dommage de renoncer" estime Stéphane Clerget. "C'est vrai que lorsqu’on on a mis en place la mixité, on n’a peut-être pas assez réfléchi en amont. Cela tenait apparemment beaucoup mieux au début qu'aujourd'hui. Mais à l'époque, il y avait de la mixité parmi les adultes - il faudrait déjà rétablir cela. Mais garder la mixité parce qu’elle est partout : celle de l’école prépare la mixité au travail ! Il faut la travailler.
On parlait des cours d'école. Elles n'ont pas changé depuis 140 ans. Je ne sais pas si elles sont hétéro normées, mais ce qui est certain c'est qu'y règne la loi de la jungle. C'est un endroit, je caricature un peu, où les enfants sont livrés à eux-mêmes. Le personnel éducatif est un peu débordé. Dans ces lieux, on n'y inscrit pas de jeux cadrés et des activités qu'on pourrait faire en collectif. Il faudrait apprendre aux enfants dès la primaire à jouer ensemble, filles et garçons, parce que cela ne va pas de soi".
De la pédagogie pour déconstruire le sexisme
Sophie Ferry : "Eveiller l'esprit critique, encourager le libre arbitre, questionner notre environnement : la construction des stéréotypes fait partie des missions de l’école. Je ne suis pas certaine que cela requiert énormément de moyens financiers et d'autre part, j'estime pour ma part que c'est vraiment le rôle intrinsèque de l'école".
Stéphane Clerget : "Encore une fois, ceux qui gèrent les cours d'école ou les temps périscolaires sont maintenant du personnel plus ou moins bien formés qui émane des mairies. Et c'est avec ce personnel qu'il faut travailler. Les enseignants ont assez à faire sur leur temps de classe"
Encourager les filles à prendre la parole
Sophie Ferry : "Les filles ont du mal à oser s'exprimer en public. On le voit lors de la prise de parole en classe, ou dans les lieux publics. Quand j'étais serveuse, j'avais même hésité à en faire un sujet de mémoire. Je trouvais très intéressant d'analyser la répartition de la parole, de voir qui initiait les sujets de conversation, et qui rebondissait. Je m'amusait à compter le temps de parole attribué à chacun et observais qui avait le dernier mot.
C'est flagrant, j’en suis navrée, mais dans la dynamique des groupes quel qu’ils soient, quel que soit le microcosme dans lequel on évolue, les femmes sont peu éloquentes.
Il faut les pousser à prendre la parole. En tout cas, il faut les encourager. Et c'est aussi, à mon sens, normalement, le rôle de l'école".
Aller plus loin
🎧 ECOUTER | Pas son genre sur la fabrication des normes à l'école
Lire la tribune dans le journal Libération de Sophie Ferry, enseignante dans le supérieur
Lire Ados, le décodeur - questions de mères, réponses de psy, de Stéphane Clerget