Vie de couple : pourquoi notre désir est-il un éternel insatisfait ?

Dans "Grand Bien Vous Fasse", Catherine Blanc et Alain Héril, psychiatres et sexologues, expliquent les raisons pour lesquelles aujourd'hui tant de couples sont victimes de la complexité du désir. Trop souvent codifié, et surtout sexualisé, il peut en réalité s'exprimer de multiples manières tant il est pluriel.
La question d'absence du désir interroge notre société, mais la plupart du temps, l'absence de désir est synonyme d'un désir incompris et complexe à définir. C'est ce qu'expliquent les sexologues, Catherine Blanc et Alain Héril :
Le désir est souvent codifié et normé...
- Quand le désir des autres influence son propre désir
C'est parce que l'on tend souvent à penser que le désir a une norme bien précise au regard de la société, que la perception qu'on en a, fini par générer une forme de récession générale dans le désir d'un couple. Nous vivons dans une société où le désir n'est pas comblé tant qu'il n'est pas continu. Trop souvent, le désir dépend avant tout de celui des autres et tend à se penser comme un unique modèle à suivre.
Alain Héril soulève la question de la normalité. Il estime que "nous vivons dans une société où on tend immédiatement à comparer son désir à ce qu'on suppose des désirs des autres, car au fond il s'agit de se demander « Suis-je normal ? ». Il y a le besoin d'un comparatif extérieur à soi alors que le désir doit questionner sa propre intériorité, le rapport à soi-même et à son partenaire. On tend trop souvent à penser qu'il peut nous être donné d'emblée.
Catherine Blanc ajoute que "le désir est extrêmement singulier, c'est une curiosité qui est personnelle, qui peut certes être partagée à deux et doit, dans ce cas là, être comprise chez l'un comme chez l'autre. Or, à partir du moment où le désir est dicté par autrui, il y a injonction et c'est là que la rébellion a lieu et que notre propre définition du désir se complexifie".
- Le désir sexualisé brouille les pistes
Trop souvent perçu dans un rapport au sexe et la périodicité des rapports sexuels entretenus avec son partenaire, le désir perd toute sa compréhension puisqu'il tend à être réduit à la seule question sexuelle. C'est pourquoi Alain Héril évoque "l'augmentation du nombre de personnes (hommes et femmes, d'après les données de l'INSERM) qui consultent un sexologue, le nombre s'étant multiplié par quatre en quinze ans. Le motif numéro un de la consultation étant les troubles du désir sexuel" alors que celui-ci répond peut-être à une autre réalité que la simple considération sexuelle.
Il estime par exemple que « l’a-sexualisme est un ressenti, aujourd'hui revendiqué comme une sexualité à part entière, directement lié à l'ultradiscours sexualisé de notre culture du désir. Ce ressenti d'un désir sexuel impossible, ou non pensé comme nécessaire, n'est pas anormal, il montre au contraire que le désir peut s'exprimer autrement que par la relation sexuelle, en plus de signifier combien le désir sexuel conditionne les esprits.
On parle beaucoup de désir sexuel et ce, de manière très décomplexée, mais dans l'intimité même du couple, les réalités sont bien différentes car on a la sensation que le désir ne vit que par le sexe ».
Aussi, l'injonction de plus en plus prégnante met en cause l’augmentation des jeunes visionnant des images pornographiques. Vingt pour cent des jeunes regardent des images à caractère pornographique à partir de quatorze ans, au moins une fois par semaine. Alain Héril déplore ainsi "une entrée dans la sexualité qui est pour le moins troublée par ces images et pose un questionnement majeur quant au devenir de la construction du désir en général. Les images pornographiques, souvent accompagnées de celles issues des jeux-vidéos, contribuent à altérer le désir, et à déstabiliser la construction psycho-affective.
... alors qu'il est mouvant et pluriel
Catherine Blanc explique que « le désir est une façon de s'accrocher à l'autre, on désire que l'autre nous aime, mais le rapport sexuel est loin d'en être l'unique moyen. Le début de relation en est la preuve parfaite, c'est pourquoi on a souvent tendance à s'y référer : "le désir est souvent plus abordable et limpide quand deux personnes viennent de se rencontrer car il y a toute une mise en scène, une excitation permanente du corps, de la relation, du désir qui s'exprime de multiples manières ».
C'est seulement avec le temps, lorsque le désir semble acquis, quand on commence à bien connaître son partenaire, que le manque de surprise est immédiatement apparenté à une perte de désir. En réalité, c'est justement parce que le désir change et évolue ; on cherche d'autres moyens pour sécuriser et entretenir la relation.
C'est pourquoi Alain Héril explique que « le désir nécessite un vrai apprentissage. Il s'apprend, car il est sans cesse mouvant du fait des expériences personnelles vécues.
Le désir est une question plurielle, qu'il faut aborder individuellement.
Il faut donc du temps pour se découvrir soi-même ainsi que son partenaire, ajoute-t-il. Nous n'avons pas tous les mêmes envies ! Il faut accepter la fluctuation du désir dans la mesure où il est générateur d’incertitudes permanentes. C'est là sa profonde teneur : il n'est jamais stable, jamais acquis de façon définitive ». C'est la recherche du désir permanent qui prouve la continuité de l'amour.
Si la psychiatre confirme que « c'est souvent la sexualité qui est le désir principal d'une relation, c'est, pour d'autres, la responsabilité conjugale, le mariage, le désir de faire des enfants, le partage de responsabilités pour s'assurer de la sécurité, se reporter sur des des fonctions créatives...
On a chacun des lectures singulières du désir.
Quelques clés pour pimenter tout ça !
Alain Héril vous conseille de susciter l'imaginaire, de créer des images, le désir est le fait qu'il se passe toujours quelque chose, donc soyez actifs ! On ne sait pas toujours quoi, mais c'est quelque chose qui va vous mobiliser !
Catherine Blanc vous recommande aussi de rester naturel, que ça vienne de vous. On a tous des fantasmes, une créativité différente et il faut pouvoir se révéler en fonction de ses propres désirs, prendre le temps de s'écouter, et surtout comprendre ceux de son partenaire, accueillir ses sensations, ne pas lui en vouloir.
La plus grande difficulté est d'accepter une certaine vulnérabilité : car souvent, avoir le sentiment de perdre le désir revient à manifester l'importance que l'on a pour son partenaire et la peur de le perdre. Le fait est que le désir est tout le temps insécurisant car il peut rencontrer à tout moment le non-désir, une forme de frustration et d'inquiétude personnelle. Certes, le désir est jubilatoire mais il est aussi fait pour éprouver plein d'inquiétudes au risque que l'autre n'y réponde pas. Dans les deux cas, il est soucieux d'entretenir votre relation.
Reste que cette perte de désir ne va pas de soi, elle n'est pas politiquement correcte, ça demande du temps pour comprendre ce qui se passe, il n'y a pas de recette miracle.
Le célèbre écrivain irlandais, Oscar Wilde disait :
Il y a deux tragédies dans la vie : l'une est de ne pas satisfaire son désir, et l'autre, de le satisfaire.
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