Ville ou campagne, le lieu où l'on a grandi influence notre sens de l'orientation, d'après une étude
Par Sophie Bécherel
Une équipe de recherche internationale, codirigée par un chercheur français du CNRS, vient de mettre en évidence que les capacités d’orientation des individus sont influencées par leur origine géographique. Par exemple, ceux qui ont grandi en milieu urbain ont un moins bon sens de l'orientation.
Suivant que l’on a grandi à la campagne ou en ville, on n’aura pas, adulte, un sens de l’orientation aussi développé que son voisin. C’est la conclusion à laquelle une équipe internationale de scientifiques est arrivée après avoir utilisé un jeu vidéo sur plusieurs centaines de milliers de volontaires. Le Sea Hero Quest est un jeu vidéo développé pour diagnostiquer la maladie d’Alzheimer. Il permet d’évaluer la capacité d’orientation des participants dans un espace à trois dimensions. Au fil des 75 niveaux de difficulté, on propose aux joueurs une carte avec des repères (des bouées). Ensuite, on fait disparaitre ces repères et le joueur doit guider un petit bateau.
Ceux qui ont grandi en milieu urbain ont un moins bon sens de l'orientation
Pour son étude, parue dans Nature, l’équipe internationale de chercheurs n’a pas inclus de personnes atteintes de démence. Elle a en quelque sorte détourné l’usage initial du jeu pour évaluer le sens de l’orientation d’un grand nombre de personnes : plus de 400 000, de tous âges, niveau scolaire, milieu social et environnement répartis dans 38 pays à travers le monde.
L’analyse des données montre de nettes différences suivant l’environnement où les personnes ont grandi. "Ce que l’on a découvert", explique Antoine Coutrot, chercheur au CNRS, au LIRIS et coresponsable de l’équipe, "c’est qu’en moyenne, les gens qui ont grandi dans un environnement urbain ont un moins bon sens de l’orientation que ceux qui ont grandi dans un environnement plus rural". En particulier ceux qui ont grandi dans des villes bâties sur le modèle d’une grille comme Chicago ou Buenos Aires, précise-t-il. A contrario, l’environnement rural "nécessite de parcourir de grandes distances dans un environnement moins organisé", ce qui sollicite plus les fonctions cognitives.
Toutes les villes ne se ressemblent pas et en milieu urbain, l’équipe a pu montrer des différences plus ou moins importantes entre individus. Les joueurs issus de villes complexes comme Paris ou Prague étaient plus performants que ceux qui avaient grandi dans des villes avec des rues à angles droits.
Tout se joue pendant l'enfance
Comment expliquer que la campagne rende plus performant le sens de l’orientation ? Parce que l’effet de l’environnement joue dès le jeune âge, précise Antoine Coutrot. "C’est au moment où notre cerveau est en train de créer ses connexions, où les cellules dédiées à cette capacité cognitive spécifique qu’est la navigation spatiale, que les compétences s’acquièrent". Un peu comme l’apprentissage d’une langue vivante, bien plus rapide et efficace quand on est enfant qu’adulte.
Au départ, le nombre de joueurs volontaires était au-delà de trois millions. Pour les 400 000 finalement retenus, les chercheurs disposent d’un grand nombre d’informations puisque les personnes répondaient à des questionnaires. L’exploitation de cette gigantesque base ne fait donc que commencer.
Le sommeil ou l’usage du GPS bientôt étudiés
Les prochains résultats porteront sur le sommeil. Bien dormir améliore t-il le sens de l’orientation ? On saura aussi si des différences apparaissent en fonction du niveau d’éducation, du mode de déplacement et même de l’usage ou non d’un GPS.
Outre des modélisateurs ou des architectes, l'équipe comprend des neurobiologistes et des praticiens qui suivent des malades. Les neurologues vont pouvoir à l'avenir utiliser les résultats de ces travaux dans la mesure où la désorientation spatiale est l'un des symptômes les plus précoces de la maladie Alzheimer.
Réaliser un test d'orientation chez un malade et comparer sa performance à celle d'une personne au profil et habitudes identiques mais non malade "issu d'une grande base de données comme la nôtre devrait permettre d'améliorer le diagnostic" explique encore Antoine Coutrot. "Par le passé, on s'est intéressés à l'impact de l'âge et du genre. Nous allons explorer le niveau d'éducation, la façon dont on se déplace, le temps que cela nous prend, etc."