Viol présumé au 36 : un policier qui n'a rien vu et une nouvelle salve de questions à la plaignante

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Viol présumé au 36 : un policier qui n'a rien vu et une nouvelle salve de questions à la plaignante

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Cage d'escalier du 36 quai des Orfèvres lorsqu'il était le siège de la police judiciaire à Paris
Cage d'escalier du 36 quai des Orfèvres lorsqu'il était le siège de la police judiciaire à Paris
© Getty - Gamma-Rapho / Jean-Pierre REY

Cette fin de deuxième semaine de procès aux assises de Paris restera comme un moment de très grande tension, entre le témoignage d'un policier qui affirme n'avoir rien vu et l'audition de la victime présumé, Emily Spanton, dont chaque détail de sa déposition, chaque imprécision ou contradiction a été décortiqué.

C’est le témoignage d’un policier comparaissant comme témoin qui a fait basculer les débats. Il accuse la victime d’avoir menti, d’être sûrement "très malade" pour porter de telles accusations. Ce policier était sur les lieux, dans un bureau voisin dit-il. Il affirme n'avoir rien vu, rien entendu de ce qui est reproché à ses collègues, pas le moindre cri de celle à qui il dénie le statut de victime. 

Il raconte avoir vu en revanche une femme qui fait un striptease dans la salle commune de l'étage de la BRI, la brigade de recherche et d'intervention  (l’îlot central) : une jeune femme aguicheuse, instable, visiblement éméchée, avec le comportement parfois surexcité de quelqu'un qui a pris des médicaments ou de la drogue. Une femme dont il a dit-il, fini par aller s'occuper, une fois ses collègues partis. Elle semblait selon lui furieuse de s'être retrouvée seule et pas en état de choc comme elle l'affirme de son côté. Elle protestait aussi qu'on lui avait volé son blouson, sa "jacket" qu’il est allé  récupérer au pub où les policiers l'avaient rencontrée quelques heures plus tôt. 

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Le policier rejette violemment toutes les affirmations de la plaignante. Jamais il n’aurait jure t-il couvert le moindre crime commis par des collègues.  C’est pourtant lui qui a reçu un sms l'invitant à rappliquer au plus vite en raison de la présence d"une jeune femme "touseuse", texto qu’il dit aujourd'hui avoir  trouvé d’ailleurs "déplacé". C’est aussi lui qui a effacé une vidéo tournée à 1h16 du matin sur son téléphone, dont il ne se souvient ni du contenu ni de l'effacement, affirmant qu'elle ne devait sans doute rien contenir, que la caméra s'était sans doute déclenchée de façon inopportune comme cela arrive à tout le monde quand parfois on prend une photo de sa chaussure ou une photo dans sa poche. 1H16, l’heure où ce policier affirme qu’il était dans son bureau en attendant que son collègue, son supérieur qui est aujourd’hui accusé, le ramène chez lui… 

L'avocat  général Philippe Courroye s'est étonné à plusieurs reprises de cette version dont on a bien compris qu'il ne la croyait pas une seule seconde. 

La victime a dû venir à la barre, une nouvelle fois durant près de trois heures, pour réexpliquer qu'elle n'a pas menti

- "Yes. J'ai été violée. C'était ces deux hommes ici", dit à deux reprises en français  la plaignante, en les pointant du doigt  "Ces deux accusés sont jugés pour des faits criminels, ils encourent 20 ans de réclusion", lui rappelle  Philippe Courroye 

- "Je vous le demande solennellement : vous avez conscience de la gravité des accusations que vous portez ? Les maintenez-vous ?"
- "Oui".

L’avocat général a malgré tout assailli Emily Spanton de questions lui expliquant qu’il est dans son rôle, presque comme s’il s’excusait après coup. "Comment on vous a enlevé des collants ?", "Est-ce que vous avez crié ?", "Avez-vous dit à une serveuse (du pub où Emily Spanton a rencontré les policiers, ndlr) que vous aviez fait une fellation consentie ?", "Les serveuses disent que vous avez perdu le contrôle de l'orgie. Est-ce vrai ? "

Un mouchoir dans la main qu’elle ne cesse de tordre, des sanglots dans la voix , la ressortissante canadienne répond à toute les questions. Une fois de plus. Elle dit que le troisième policier qui était là mais qu’elle n'a pas formellement identifié comme les deux autres, ment lui aussi. 

Ces hommes l'auraient forcée à boire un grand verre de Scotch, puis elle se serait retrouvée à genoux. Fellations et pénétrations vaginales forcées se seraient succédé.

"Vous vous entendiez bien avec Nicolas R. Vous aviez flirté, pourquoi il commencerait par vous frapper, vous contraindre ?", interroge Sébastien Schapira, avocat de ce policier. "Je ne sais pas", répond Emily Spanton. "Quand j'ai bu le verre d'alcool, son attitude a changé". 

"Vous n'entendez rien pendant ces dizaines de minutes (pendant le viol dénoncé, ndlr) ?", demande Marion Grégoire, également avocate de Nicolas R. "Le seul bruit dont je me souvienne, c'est celui du clic de l'appareil photo et du déchirement de l'emballage du préservatif". "On se demande comment cela a pu être silencieux", rebondit l'avocate. 

Anne-Laure Compoint, conseil d'Antoine Q., détaille chaque étape du viol tel qu'il a été dénoncé par Emily Spanton. "Combien de temps dure la pénétration ?", interroge-t-elle notamment. "Vous décrivez des faits de violence. C'est dur de rester à genoux, avec un sexe dans la bouche. (...) On vous pénètre, on vous tient, on vous traîne dans un couloir sur 10 mètres et vous avez une éraflure millimétrique au bras droit ?". 

Les avocats de la partie civile sont ressortis furieux de cette journée d'audience. "Les rôles sont inversés !", dénonce  Sophie Obadia après les débats. "Notre cliente a été entendue au total (depuis avril 2014, ndlr) près de 50 heures. C'est exceptionnel qu'en France, on puisse considérer qu'une victime doive répéter à l'infini les mêmes accusations"

Pour elle, dans ce procès, ce n'est pas "parole contre parole", car il y a des "éléments objectifs". L'ADN d'Antoine Q. a été retrouvé au fond du vagin de sa cliente. Les accusés peinent aussi à expliquer des SMS ou encore une vidéo filmée dans la nuit à 01H16, au "36", et qui a été effacée. Le verdict doit être rendu le 1er février.