Violences conjugales : "On ne verra pas d’impact" avant la mise en place de toutes les mesures du Grenelle
Par Winny Claret
Jean Castex s’apprête à annoncer de nouvelles mesures pour lutter contre les violences faites aux femmes, ce vendredi 3 septembre, deux ans après le lancement du Grenelle. La gynécologue Ghada Hatem prévient : les associations attendent d’abord la mise en œuvre des mesures déjà promises.
Deux après le lancement du Grenelle sur les violences conjugales, c’est un nouveau point d'étape dans la lutte contre les violences faites aux femmes, consacrée en grande cause du quinquennat. Jean Castex sera dans la Manche, ce vendredi 3 septembre, pour faire le bilan du Grenelle des violences conjugales, deux ans jour pour jour après son lancement. L’occasion d’annoncer - ou plutôt de confirmer - six nouvelles mesures pour mieux prévenir les drames comme ceux de Mérignac et d’Hayange, en mai dernier. Les associations, elles, attendent toujours la mise en œuvre de toutes celles déjà promises. La gynécologue Ghada Hatem, de la Maison des femmes de Saint-Denis, sera très vigilante.
FRANCE INTER : En tant que membre de la commission santé du Grenelle des violences conjugales, vous avez fait un point sur ce qui a été mis en place ces deux dernières années. Quelles sont les avancées majeures ?
GHADA HATEM : "Je pense que l’avancée la plus intéressante c’est tout le travail trans-ministériel qui s’est mis en place. Tout le monde le sait, lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants ne peut pas dépendre d’une seule action, d’un seul ministère, d’une seule pensée. Donc ce travail me semble très malin. Après, il y a des avancées concrètes. On a fêté le 3919 24h/24. Ce numéro d’appel (qui permet aux femmes victimes de violences d’avoir des conseils, du soutien, des orientations) était uniquement accessible en journée, pas le week-end."
Il y a d’autres avancées comme de pouvoir obtenir une ordonnance de protection en six jours, d’avoir des procureurs spécialisés dans les tribunaux, ou le fait de retirer systématiquement les armes à feu du domicile.
"Bon ça, c’est un engagement. Mais aussi l’ouverture de lieux de prise en charge des auteurs de violences, extrêmement importants pour la prévention de la récidive. Ce dernier dispositif amène à une avancée qui est pour moi fondamentale : sortir du cloisonnement et du secret de chaque corps de métier. C’est-à-dire je ne te communique pas mes informations parce que c’est secret défense. Alors que cette défaillance, ce cloisonnement, a abouti à la catastrophe dans les féminicides de Mérignac et d’Hayange en mai dernier. Nous devons absolument partager l’information, je crois que c’est l’étape d’après la plus importante."
Le gouvernement annonce que 100% des mesures issues du Grenelle sont “engagées”. Mais elles ne sont pas toutes mises en œuvre (36 mesures réalisées et 10 en cours). Il y a une grosse nuance.
"Bien sûr. 100% de mesures engagées, c’est joli comme bilan. Mais ça ne dit pas quel délai on se donne pour celles qui ne sont pas encore mises en place. Comment on évalue le degré d’aboutissement ? Comment on évalue l’efficacité, l’impact ? Nous, associations et acteurs de terrain, attendons les résultats plus concrets pour pouvoir nous féliciter de cet engagement."
Selon le collectif Nous Toutes, 77 femmes ont été tuées par un conjoint ou ex-conjoint depuis le début de l’année. En 2020, on déplorait 102 féminicides. Est-ce que vous constatez un recul des violences ou du moins un changement d’état d’esprit autour de ces violences ?
"C’est très difficile à partir d’un tout petit “spot”, la Maison des femmes de Saint-Denis, d’avoir une vision globale. Ce que l’on constate, c’est que les femmes viennent de plus en plus nombreuses, de plus en plus spontanément et facilement. Elles nous envoient des mails comme ça, au milieu de la nuit, elles appellent pour demander de l’aide. La parole autour des violences semble plus aisée, plus fluide. Probablement que toute cette médiatisation les a aidé à comprendre qu’elles n’étaient pas seules. Que ce qu’elles vivaient n’était pas normal - elles en avaient parfois le pressentiment mais parfois pas du tout. Et qu’il est tout à fait possible de trouver des lieux ressources. Est-ce que ça fait diminuer le nombre de féminicides ? Non."
Je pense que c’est tellement multifactoriel que, tant que 100% des mesures n’auront pas été menées à terme, on ne verra pas d’impact majeur sur les chiffres. Mais chaque petite avancée est à saluer et je ne suis pas naïve au point d’imaginer que le “zéro féminicide” est un objectif.
Est-ce qu’il y a des points de blocage qui vous laissent sceptique concernant la réussite de ce Grenelle ?
"Là je pense que l’on va se heurter à la question des moyens, que ce soit pour les centres dédiés à l’accueil des auteurs de violences conjugales, pour la prise en charge des enfants, pour l’hébergement des femmes et des enfants. Je ne suis pas sûre aujourd’hui que tous les moyens nécessaires soient prévus. Mon point de vigilance serait là : est-ce que l’on va vraiment se donner les moyens de faire tout ce que l’on a dit qu’on allait faire ? Est-ce que l’on va avoir le temps ? Est-ce que le changement de gouvernement va changer les objectifs ? Il y a beaucoup de questions et nous allons rester très vigilants, notamment pour cette fin de mandat."
On peut quand-même avoir un peu d’espoir pour les deux ans de ce Grenelle ? Est-ce que l’on est sur la bonne pente ?
"Oui, on est très clairement sur la bonne pente. Il y dix ans, personne ne parlait des violences et de ce qu’il fallait faire de la manière dont on en parle aujourd’hui. C’était laissé à l’appréciation d’associations qui s’agitaient furieusement sur le terrain avec beaucoup de constance je dois leur rendre hommage. Nous, dans le secteur de la santé on est un petit peu à côté de ce fonctionnement associatif et on a eu du mal à mobiliser notre propre ministère. Mais on peut se féliciter qu’une des mesures du Grenelle soit en train de se déployer. Elle consiste à financer les établissements de santé qui souhaitent créer une sorte de Maison des femmes en leur sein. Là, le gouvernement leur donne un petit montant pour les accompagner. C’est nouveau, ce n’était pas forcément gagné et c’est une avancée du Grenelle."