Visite du président égyptien à Paris : grand écart diplomatique sur fond de droits humains
Par Claude GuibalDestinée à renforcer la coopération franco-égyptienne dans un Moyen-Orient troublé par les crises, la venue en France du président égyptien Abdel Fatah al-Sissi fait grincer des dents les défenseurs des droits de l'Homme, qui protestent contre la répression et l'emprisonnement de la société civile en Égypte.
Pour la France, l’exercice relève à chaque fois du grand écart. Comment incarner le pays des droits de l'Homme et de la liberté d'expression tout en déroulant le tapis rouge à Abdel Fatah al-Sissi, le président d'une Égypte marquée par une répression galopante, dénoncée avec fracas par les organisations des droits de l’Homme ? "Quelle honte, monsieur le Président", écrivait sur Twitter Lina al-Hathloul, militante pour les droits humains et sœur de Loujain al-Hathloul, emprisonnée en Arabie saoudite.
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Pour Katia Roux, chargée de plaidoyer à Amnesty International, tout tient en ce statut particulier, ce fameux "partenariat stratégique" entre Paris et le Caire, une relation que la France qualifie de forte, "franche et ouverte". Un partenariat marqué par d'énormes intérêts économiques et militaires notamment, devant lesquels la question des droits de l'Homme n'est guère une priorité affichée.
Diplomatie silencieuse
L’embarras de la France se mesure notamment au secret maintenu autour de cette visite, rendue publique seulement quelques minutes après l'annonce de la libération jeudi de trois des plus célèbres défenseurs des droits humains égyptiens, dont l'arrestation avait soulevé une indignation internationale.
Un collectif de 17 organisations a interpellé la semaine dernière Emmanuel Macron dans une lettre ouverte, où il attire notamment son attention sur le cas de Ramy Shaath, un défenseur des droits égypto-palestinien, marié à une Française, depuis plus d'un an sans procès.
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La France dit prôner une diplomatie discrète, qui aurait plus d’impact et ne mettrait pas en danger les personnes. "Le résultat n’est absolument pas suffisant", regrette Katia Roux. "Le recul sur ces dernières années montre que cette stratégie ne marche pas. On a vu l'escalade de la répression des autorités égyptiennes, qui se sont véritablement engagées dans une campagne d'éradication du mouvement des droits humains dans le pays. La diplomatie silencieuse ne suffit pas. Elle doit être doublée d'une parole publique forte, d'une condamnation ferme. Et pas seulement d'une parole, mais des actes."
Lors de la première visite d'Abdel Fatah al-Sissi à Paris, en octobre 2017, Emmanuel Macron s'était refusé à lui "donner des leçons" sur les droits de l'Homme, préférant insister sur leur "combat commun" contre le terrorisme.
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En janvier 2019, lors de sa visite en Égypte, Emmanuel Macron avait pourtant fini par manifester sa préoccupation face à la question des droits de l'homme, s'attirant une réplique cinglante de son homologue égyptien.
Le président français avait regretté que la situation n'évolue pas "dans la bonne direction" en Égypte, car des " blogueurs, des journalistes et des activistes" y sont emprisonnés. "N'oubliez pas que nous sommes dans une région troublée", lui avait répondu Abdel Fattah al-Sissi, à la tête de l'Egypte depuis 2014 à la suite de la destitution par l'armée du président islamiste Mohamed Morsi.
Depuis, la lune de miel avec le Caire connaît un ralentissement, après des débuts marqués par de conséquents contrats d’armements avec le Caire, qui avaient notamment permis à Paris de vendre au Caire, via un prêt saoudien, deux Mistral, et de conclure ses premières ventes de Rafale.
Rapports de force
L'Égypte mesure son rapport de force avec ses partenaires. Le souvenir amer des printemps arabes suivi de l'arrivée au pouvoir des islamistes est un levier transactionnel que sait utiliser Abdel Fatah al Sissi. L’ancien maréchal sait combien la stabilité du pays est essentielle pour l'ensemble du Proche-Orient, si inflammable.
Lui qui a juré qu'il ne laisserait jamais se reproduire un soulèvement comme la révolution de la place Tahrir en 2011, qui a vu la chûte d’Hosni Moubarak, musèle aujourd'hui la moindre voix critique au nom de la lutte anti-terroriste. Argument massue, brandi face à tous ceux qui savent à quel point il serait périlleux de s’aliéner un partenaire aussi précieux.
Selon les ONG des droits humains, il y aurait en Egypte 60 000 prisonniers politiques, ce que dément le président al-Sissi.