Vus de l’intérieur, ces trois jours de janvier 2015 où "la République a été attaquée"
Par Sophie ParmentierEntre le 7 et le 9 janvier 2015, la France vacille. Trois terroristes sèment l'effroi pendant trois jours, à Paris et à Montrouge, en visant Charlie Hebdo, des policiers et un Hyper Cacher. Ces attentats coordonnés font dix-sept morts. France Inter revient sur ces trois jours de terreur et de traque.
[Tous les jours jusqu’au 2 septembre, France Inter dresse le portrait de tous les protagonistes du procès des attentats de janvier 2015 : victimes, familles, terroristes, accusés, magistrats, avocats…]
Il est 11 heures 33 minutes et 47 secondes ce mercredi 7 janvier 2015, quand le premier tir de kalachnikov retentit dans les locaux de Charlie Hebdo, pourtant bien cachés, au 10 rue Nicolas-Appert, dans le 11e arrondissement de Paris. Deux frères, cagoulés de noir, équipés de leurs fusils d’assaut et de gilets pare-balles crient Allah Akbar, “Dieu est le plus grand”, et disent qu’ils viennent venger leur prophète, Mahomet, caricaturé neuf ans plus tôt dans les pages de Charlie Hebdo.
Saïd et Chérif Kouachi ont pourtant failli ne pas entrer dans le journal, dont ils ne connaissent pas l’adresse précise. Quelques mois plus tôt, des repérages semblent bien avoir été faits par des individus non identifiés qui avaient prévenu qu’ils reviendraient. Mais ce matin du 7 janvier 2015, les frères Kouachi s’engouffrent d’abord dans l’immeuble qui porte le numéro 6 de l’allée Verte. Chérif Kouachi est le cadet, le plus grand et le plus baraqué des deux frères. C’est lui qui fait claquer le premier coup de feu pour montrer sa détermination. Puis il s’aperçoit qu’il n’est pas au bon endroit, tourne les talons, et pénètre dans le hall du 6-10 rue Nicolas-Appert.
L'attaque contre Charlie Hebdo a duré une minute et quarante-neuf secondes, des tirs ciblés
Dans la loge du numéro 10, les deux frères Kouachi commencent leur terrifiante tuerie. Frédéric Boisseau, responsable d’une équipe d’agents de maintenance énergétique, est le premier à tomber sous les balles. “Je suis touché, appelez ma femme !” implore-t-il, alors que ses collègues lui portent secours. Les frères Kouachi ont déjà grimpé l’escalier. Ils ne savent toujours pas à quel étage se situe la rédaction de Charlie Hebdo. Mais ils croisent la dessinatrice Coco, et sous la menace de leurs "kalach", l’obligent à composer le code d’accès, qui ouvre la porte blindée du journal. Une grande partie de la rédaction est là, en train de débattre du dernier livre de Michel Houellebecq, Soumission. “Comme toujours, le débat était animé”, raconte Sigolène Vinson, qui avait acheté un gâteau marbré pour l’anniversaire de Luz, en retard ce matin-là.
Quand les Kouachi surgissent et commencent à tirer, Simon Fieschi est le plus proche de l’entrée. Le jeune homme de 31 ans, qui travaille sur le site internet du journal, s’effondre, grièvement blessé par les tirs. Franck Brinsolaro, le policier chargé de protéger Charb a sorti son pistolet, mais les armes ne sont pas égales, face aux fusils d’assaut des deux terroristes qui l'abattent. Charb est l’homme que les frères Kouachi cherchent en premier. Ils demandent “Qui est Stéphane Charbonnier ?” et visent le dessinateur qui avait depuis plusieurs années une fatwa lancée contre lui. Charb est tué par des tirs ciblés. Puis les terroristes tuent Cabu, Georges Wolinski, Honoré, Tignous, Bernard Maris, Mustapha Ourrad, Michel Renaud, et Elsa Cayat. L’instant d’après, ils laissent la vie sauve à Sigolène Vinson, en précisant qu’ils ne tuent pas les femmes. Ils blessent grièvement Philippe Lançon, Riss, et Fabrice Nicolino.
"Le chagrin qui s'empare des esprits, et qui nous oblige, nous responsables politiques"
Leur effroyable attaque a duré moins de deux minutes. Ils repartent, d’un pas calme et déterminé. Crient encore "Allah Akbar" et “on a tué Charlie, on a vengé le prophète” en remontant dans leur Citroën C3 noire qui fait bientôt face aux policiers. À vélo, en voiture, plusieurs d'entre eux tentent de riposter, sans atteindre les terroristes qui abattent Ahmed Merabet boulevard Richard-Lenoir, puis s’enfuient vers le Nord de Paris.
Patrick Pelloux, chroniqueur à Charlie Hebdo, n’avait pas pu assister à la conférence de rédaction ce matin-là, retenu par une réunion de pompiers. Très vite appelé, l’urgentiste chevronné accourt pour porter secours à ses amis. Mais la plupart sont morts. Il règne dans la salle un terrible silence. Patrick Pelloux téléphone à François Hollande, en larmes. Le président de la République ne tarde pas à arriver sur place, bouleversé. Le soir, il prononcera un discours officiel, la gorge serrée : “La France a été attaquée en son cœur, à Paris, dans les locaux mêmes d’un journal” déclare le président Hollande. “Cette fusillade d’une violence extrême a tué douze personnes, et en a blessé plusieurs. Aujourd’hui, c’est la République toute entière qui a été agressée.”
Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, se souvient de l’émotion qui l’a lui aussi saisi, à ce moment précis. “C’est un moment extrêmement particulier parce qu'on parle de terrorisme, et le mot, là, prend toute sa dimension, par une violence extrême, soudaine, barbare. On a voulu saisir le pays tout entier au cœur, et semer dans tous les esprits la terreur et l’effroi. Et c’est effectivement ce sentiment que nous éprouvons. Le chagrin qui s’empare subitement des esprits, des cœurs, des foules, du pays tout entier, et qui nous oblige, nous, responsables politiques.” Pierre-Henry Brandet l’accompagnait en tant que porte-parole du ministère de l’Intérieur. Lui aussi se remémore le choc, quand le patron de la police judiciaire lui apprend que presque toute la rédaction est décimée. “Évidemment, on est sidéré. On voit le sang dans l’escalier. On entend le tumulte des sirènes. On pense à la course-poursuite qui commence, parce qu’il faut vite identifier les tueurs et les tireurs.”
"On n'est pas habitués à voir des scènes comme ça, des scènes de guerre"
Réfléchir vite pour lancer tout de suite l’enquête et arrêter le plus vite possible ces terroristes. Voilà ce que se dit le procureur de la République François Molins quand il sort de la salle de rédaction où il est venu constater la scène de crime en tant que magistrat. “On n’est pas habitué à des scènes comme ça. Ce sont des scènes de guerre. Il y avait vraiment une très forte odeur de sang et de poudre. Et un enchevêtrement de corps.” Cette image ne le quittera plus. François Molins monte une cellule de crise au parquet de Paris. On installe des lits de camps pour les magistrats qui ne prendront plus le temps de rentrer chez eux et travailleront avec acharnement, jour et nuit, jusqu’à la fin de la cavale. Agnès Thibault-Lecuivre, magistrate alors chargée de la communication de François Molins, se souvient que les journalistes l’appellent du monde entier. Et elle construit une communication “sur une ligne de crête : donner des informations sans nuire à l’enquête.”
Place Beauvau, une autre cellule de crise se met immédiatement en place au ministère de l'Intérieur. Bernard Cazeneuve reste en lien constant avec François Hollande à l’Élysée, Manuel Valls à Matignon, Christiane Taubira place Vendôme. Bernard Cazeneuve rassemble autour de lui tous les responsables de la police et de la gendarmerie. Très vite, les enquêteurs retrouvent une carte d’identité, dans la C3 que les terroristes ont abandonnée dans Paris, après un accident de voiture. Ils ont poursuivi leur cavale en braquant un automobiliste, à qui ils expliquent qu’ils agissent pour AQPA, Al Qaïda dans la Péninsule Arabique. Dans la C3 cabossée, la carte d’identité retrouvée est au nom de Saïd Kouachi. Le nom fait tilter les services de renseignement. Quelques années plus tôt, les frères Kouachi ont été dans les radars des services antiterroristes. Chérif, le cadet des frères, a été condamné pour une affaire de terrorisme, l’affaire dite des “Buttes-Chaumont”, du nom d’une filière de djihadistes partis en Irak - avant le départ, les candidats s’entraînaient dans ce grand parc parisien. Saïd, l’aîné des Kouachi, est aussi dans le viseur de l’antiterrorisme, soupçonné d’être allé au Yémen en 2011. Puis la surveillance a fini par être abandonnée.
Course contre la montre dans "Le Fumoir" de la place Beauvau
En salle de crise, place Beauvau, les hauts gradés de la police savent qu’il faut agir vite. Un ancien procureur du procès des Buttes-Chaumont est aussi présent, qui sait à quel point il faut rapidement retrouver ces terroristes. Les premières perquisitions démarrent dans la soirée, à Reims, où habite Saïd Kouachi avec sa femme, malade, et leur bébé. Le RAID perquisitionne sous l’œil des caméras télé. Dans son bureau, le ministre de l’Intérieur découvre les images avec effarement et entre dans une colère noire. “Je me fâche vraiment très fort”, se souvient aujourd’hui Bernard Cazeneuve. Ce 7 janvier au soir, il hurle durement et froidement sur les chefs de l’état-major de police et de gendarmerie. Leur dit que “c’est la République qui doit arrêter les terroristes”. Bernard Cazeneuve ne veut pas de puérile guerre des polices durant “le moment historique où nous nous trouvons, et l’obligation collective d’être à la hauteur en nous effaçant devant la mission”. À partir de cette nuit-là, il décide que tous les responsables de police et de gendarmerie mèneront cette traque main dans la main, jusqu’à la fin de la cavale des terroristes.
Les voilà tous rassemblés et “soudés” dans une salle baptisée "Le Fumoir". Il y a là beaucoup de café et d’insomnies. Bernard Cazeneuve est le premier à très peu dormir. Comme François Molins, qui est aussi invité au Fumoir, et se souvient n’avoir dormi que “deux, trois heures par nuit”. Le général Denis Favier, qui était le directeur général de la gendarmerie nationale, n’a rien oublié de la fureur de Bernard Cazeneuve. Sans laquelle les terroristes n’auraient peut-être pas été aussi vite arrêtés, puisque toutes les forces de l’ordre n’auraient sans doute pas si bien collaboré. “Les cloisons qu’on peut parfois constater entre les différents services n’ont pas existé. La clé de la réussite, pour moi, repose sur ce décloisonnement, avec une direction très ferme imposée par Bernard Cazeneuve.”
Trois jours à traquer les frères Kouachi, à cheval comme en hélicoptère
Le matin du jeudi 8 janvier, Denis Favier est déjà debout, au Fumoir, quand le gérant d’une station-service de Villers-Cotterêts dans l’Aisne, appelle les gendarmes parce qu’il vient de se faire braquer par deux hommes équipés d’un lance-roquettes. Ils n’ont pas tiré sur lui, se sont seulement ravitaillés, entre autres en friandises. Les images de vidéosurveillance sont aussitôt visionnées au Fumoir. Les frères Kouachi sont vite reconnus. “C’est un tournant, le premier signe d’un passage réel des frères Kouachi. On met alors en place un dispositif extrêmement important, pour contrôler les axes routiers, avec des moyens aériens engagés pour contrôler ce qui se passe au sol. On engage des chevaux aussi, pour contrôler que les frères Kouachi ne sont pas cachés dans certaines zones boisées” explique le général Favier qui prend la tête des opérations, épaulé par la police.
Presque au même moment, vers 8 heures, à Montrouge, en banlieue proche de Paris, une policière municipale qui intervenait sur un accident de la circulation est tuée par balles par un homme vêtu d’un manteau à capuche entourée de fourrure, recouvert d’un gilet pare-balles, armé d’un fusil d’assaut et d’un pistolet automatique.
Johanna Primevert, alors commissaire divisionnaire et cheffe de district d’Antony, arrive rapidement sur place. “Je me souviens d’une tension en arrivant, puisque la veille, il y avait eu les attentats de Charlie Hebdo_. Je me souviens du mode opératoire peu commun, ce tireur avec une arme longue et une arme de poing. On ne savait pas s’il était encore tout près. On s’est demandé tout de suite s’il pouvait y avoir un lien avec les attentats de la veille, mais à l’heure où nous intervenions, il n’y avait pas de revendication et rien qui nous permettait de dire qu’il y avait un lien avec ce qui s’était passé la veille.”_ Pas encore de lien, mais l’inquiétude grandit.
“On sait que les terroristes ne pourront pas tenir très longtemps terrés dans le bois”
Autour de Villers-Cotterêts, le GIGN ratisse les bois, les maisons forestières, jusqu’à la tombée de la nuit, avec des hélicoptères de la gendarmerie et des forces spéciales en appui. “Notre but était que les Kouachi s’enterrent, ne bougent plus” se souvient le général Hubert Bonneau qui menait les opérations sur le terrain, avec une météo difficile cette nuit-là. Le militaire est persuadé que les terroristes n’ont pas quitté la zone boisée. Tout autour des bois, un maillage étroit, les gendarmes mettent en place un étau qui se resserre, des barrages quadrillent la zone jusqu’à cent kilomètres à la ronde. “On sait que les terroristes ne pourront pas tenir très longtemps terrés dans le bois” ajoute le général Favier.
Pendant ce temps, à Paris, la police judiciaire a analysé une cagoule retrouvée sur un trottoir de Montrouge. L’ADN parle vite. C’est celui d’Amedy Coulibaly, braqueur de l’Essonne, radicalisé en détention. Il est devenu copain avec Chérif Kouachi dans la prison de Fleury-Mérogis. Plus que jamais, les policiers et les gendarmes savent qu’ils ont raison de redouter de nouvelles tueries. Et ils craignent plus que tout des actions coordonnées entre les trois terroristes. Dans la nuit du 8 au 9 janvier, plusieurs adresses où pourrait se cacher Amedy Coulibaly sont perquisitionnées. Partout, le RAID trouve porte close, et personne derrière les portes.
Le vendredi 9 janvier au petit matin, le général Hubert Bonneau mise sur une fine stratégie : laisser penser aux frères Kouachi que la pression se relâche autour d’eux. La stratégie s’avère fructueuse. À 8 heures 32, Saïd et Chérif Kouachi sortent littéralement du bois dans lequel ils avaient en fait embourbé leur voiture. Les voilà à pieds. lls braquent encore une automobiliste. Courtoisement, précisera cette dernière, en appelant les gendarmes. Aussitôt, les gendarmes comprennent. Les hélicos décollent à nouveau. “On a tous peu dormi, mais je n’ai même pas le temps de donner les ordres, et ça part tout de suite, on sait qu’on est derrière et qu’on va les prendre” raconte le général Bonneau, encore ému par le souvenir de ce moment où il comprend que la traque va aboutir, que les frères Kouachi ne pourront plus s’échapper. Comme il y a des barrages partout, les frères Kouachi se retrouvent “dans la nasse”, ils sont obligés de bifurquer à un rond-point. Et ils se réfugient par hasard dans une imprimerie de Dammartin-en-Goële où ils prennent en otage le patron, Michel Catalano.
Fin de cavale des Kouachi mais prise d'otages d'Amedy Coulibaly
Lorsqu’il voit arriver les terroristes, l’imprimeur, persuadé qu’il va mourir, a le temps de protéger son jeune employé Lilian Lepère, en lui disant de courir se cacher. Leur lance-roquettes et leurs kalachnikov en bandoulière, les frères Kouachi disent calmement à Michel Catalano qu’ils “ne tuent pas les civils”, ils lui ordonnent d’appeler les gendarmes, car ce sont eux qu’ils veulent affronter. Une patrouille de gendarmerie départementale ne tarde pas à arriver. Les Kouachi sortent. Premiers échanges de tirs. Chérif Kouachi est blessé au cou. Il demande à Michel Catalano de lui faire un pansement.
Au bout d’une heure et demie, Saïd Kouachi finit par accepter de libérer l’imprimeur, qui va livrer de précieuses informations au GIGN pour préparer l’assaut et délivrer Lilian, caché sous un évier. “La situation est relativement sous contrôle, les Kouachi sont en tout cas circonscrits dans un espace facile à tenir, on sait que le rapport de force est favorable pour nous” raconte Denis Favier, ex-patron du GIGN, qui avait mené avec brio la libération d’otages dans un avion à Marignane en 1994. Vingt ans plus tard, ce 9 janvier 2015, le GIGN prépare minutieusement l’assaut. François Molins est là, à côté du général Bonneau. Même Jean-Michel Fauvergue, patron du RAID, qui a mené toute la traque avec les gendarmes, est présent face à l’imprimerie. Le GIGN affine sereinement son plan d’attaque, en lien avec l’otage caché sous l’évier.
Soudain, vers 13h, la situation bascule. Car d’autres coups de feu éclatent porte de Vincennes à Paris, dans une épicerie cacher, l’Hyper Cacher. C’est une nouvelle prise d’otages. Une trentaine de clients sont en train de faire leurs courses. Amedy Coulibaly en tue quatre dès qu’il surgit dans le supermarché, lourdement armé. Quelques personnes réussissent à ramper et à fuir par la sortie de secours. Lassana Bathily, employé héroïque, propose à des clients de se sauver en empruntant le monte-charge, mais tous refusent et il s’enfuit seul par ce moyen-là. De nombreux otages se sont tapis dans la chambre froide et le congélateur de l’Hyper Cacher, que Lassana Bathily avait pris le temps de débrancher. Il continue malgré tout à y faire froid, un froid aussi glaçant que la peur, un froid terrible pour le bébé et le petit garçon de trois ans qui figurent parmi les otages.
Le patron du RAID Jean-Michel Fauvergue quitte Dammartin-en-Goële en trombe. Sur le périphérique parisien, il se retrouve bloqué en raison de la prise d’otages mais les automobilistes s’écartent pour le laisser passer avec les policiers d’élite qui l’accompagnent. “Les gens nous encourageaient" se souvient-il_, "il y a même deux motards en civil qui nous ont ouvert la voie”._ Porte de Vincennes, une partie de ses hommes sont déjà là, ainsi que la BRI. RAID et BRI tentent ensemble de négocier avec Coulibaly, mais le contact ne s’établit pas. “Des journalistes de télé avaient hélas déjà appelé le terroriste” fulmine Jean-Michel Fauvergue, aujourd’hui député LREM. “L’affaire était compliquée parce qu’on craignait que Coulibaly ne soit en contact avec les frères Kouachi et donc, il fallait absolument faire une opération coordonnée, des assauts coordonnés. Notre priorité est de sauver les otages, le plus possible. Il fallait aussi qu’on arrive à changer l’attention du preneur d’otages, de manière à ce qu’il ne se concentre plus sur les otages mais sur notre opération.”
"Notre priorité était de sauver les otages"
Le RAID fait venir un maçon, qui donne les plans de l’Hyper Cacher. Le gérant aide à comprendre la configuration du magasin. Des otages donnent de précieuses indications. Mais Jean-Michel Fauvergue n’est pas certain qu’il n’y ait pas deux terroristes à l’intérieur. Car quelqu’un a cassé toutes les caméras. En fait, c’est un otage qui a été obligé de le faire sous la menace de Coulibaly, surarmé. Le RAID a demandé d’avoir la priorité de l’assaut quand il serait prêt, de peur que Coulibaly ne massacre tous les otages s’il apprend par la télé qu’un assaut a lieu à Dammartin-en-Goële. Finalement, c’est à l’imprimerie que l’assaut final se précipite. À 16h54, se souvient le général Bonneau, “les Kouachi sortent en action de combat, on voit dans leurs déplacements qu’ils cherchent à tuer des gendarmes. Nous, là, on n’a pas d’autre choix que de les neutraliser.” À 16h56, les Kouachi sont morts, sous les balles du GIGN.
Bernard Cazeneuve était au téléphone avec le général Favier au moment des tirs. Il a tout entendu. L’information est transmise en direct à l’Hyper Cacher où l’assaut s’accélère par la force des choses. La BRI fait diversion par la porte arrière, attirant les tirs de Coulibaly, le RAID entre par la porte avant, d’autant plus vite que la clé de la porte de fer que vient de leur laisser Lassana Bathily est la bonne. Amedy Coulibaly, déboussolé par le feu en tous sens, tire et est abattu les armes à la main. 26 otages sortent en courant, paniqués. Quatre autres ont perdu la vie, tués dans le magasin. À Dammartin-en-Goële, Lilian Lepère sort sain et sauf. Ce grand jeune homme aura réussi à tenir huit heures, plié en quatre sous l’évier, sans un bruit. Voir les otages sortir en direct restera l’image la plus bouleversante de ce 9 janvier 2015 pour Bernard Cazeneuve, qui se souvient que François Hollande a lui aussi compté les otages devant la télé de son bureau à l’Élysée. “Quand le président se retourne et qu’il a fini de compter, nous avons une accolade assez chaleureuse lui et moi.” Et une immense tristesse pour les victimes. En trois jours, les trois terroristes ont tué dix-sept personnes.