Wonder Woman est-elle une figure véritablement féministe ou un objet cinématographique marketing toujours dominé par le male-gaze (ou regard masculin) ? Si aujourd'hui, comme elle, les héroïnes semblent nettement plus nombreuses à l'écran, en quoi les codes restent-ils toujours ancrés dans les stéréotypes masculins ?
Mélanie Boissonneault, Sophie Bonaldi, Brigitte Rollet, spécialistes des représentations des genres au cinéma, étaient au micro de Thomas Chauvineau dans l'émission "Le débat de midi". Elles expliquent pourquoi Wonder Woman illustre bien le phénomène selon lequel les constructions de personnages de super-héroïnes actuelles, si elles se revendiquent féministes par les scénaristes, continuent de reproduire un schéma stéréotypé, sexualisant, même si on prétend faire du féminisme en les rendant plus combatives et fortes. On ne ferait que transposer le regard de super-héros masculins stéréotypés.
Ce n'est pas parce que on voit plus de femmes, que ça veut dire qu'elles parlent plus. Le "Tais-toi et soit belle" prédomine parce que ces superhéroïnes doivent plaire à un public masculin.
Publicité
- Mélanie Boissonneault
Quand ça arrange la société que les femmes deviennent des battantes, on est dans une production d'images qui va dans ce sens-là.
- Brigitte Rollet
Les origines de Wonder Woman : entre féminisme et opportunisme
Armée de son épée, de son lasso jaune scintillant, de son bouclier, et revêtue de son habit doré et étoilé, Wonder Woman est le personnage féminin le plus emblématique de l'histoire des super-héros, le pendant féminin de Superman. L'existence de ce dernier a contribué pour beaucoup, avec Batman, à la naissance de Diana Prince, tant son créateur, l'ingénieur et écrivain William Moulton Marston - inventeur du polygraphe - entendait rompre avec la logique purement masculine du super-héroïsme.
L'évolution de Wonder Woman dépend énormément de l'histoire du féminisme tant son créateur inscrit son personnage dans cette perspective-là. Son féminisme, il le doit à ses deux femmes, Olive Byrne et Elizabeth Holloway, avec lesquelles il forme un ménage à trois. Il est saisi par l'esprit des grandes suffragettes du début du XXe siècle, qui lui confère la vision d'une femme affranchie des codes masculins traditionnels. Modèle sur lequel est voué à se façonner Wonder Woman, qui séduit bientôt les éditions All-American Publications, à un moment où Superman et Batman essuient de nombreuses critiques de la part de militants, qui remettent en question la violence chronique des super-héros masculins. Marston propose l'idée de sa super-héroïne en février 1941. Wonder Woman doit s'affranchir des règles stéréotypées et exclusivement masculines, qui associent et cantonnent systématiquement les femmes à la tendresse, l'affection, l'amour, le charme… Autant de traits qui sont considérés, à l'époque, comme des signes de faiblesse. Il s'agit de déconstruire cet archétype féminin pour créer un personnage féminin qui puisse être aussi fort que Superman lui-même.
Sophie Bonaldi explique que, pour l'époque, "c'est important de voir que les femmes peuvent faire comme les hommes, comme se battre, d'autant que la plupart des super-héroïnes ne se battaient pas forcément comme se battaient les hommes". Elle souligne que "ce personnage devait servir à Marston pour affirmer une femme forte à toutes les Américaines qui tiennent l'arrière, pendant que les hommes se battent au front pendant la guerre".
Brigitte Rollet ajoute que "Wonder Woman s'édifie parallèlement à la figure de Rosie la Riveteuse, la femme à l'affiche qui avait été conçue à la même époque, pour inciter les femmes à travailler dans les usines. Elle avait les bras musclés et un petit foulard rouge dans les cheveux. Elle transmet cette idée de sortir des constructions traditionnelles du féminin, ce qui donne à des femmes des créations différentes pour dépasser les obstacles réels ou économiques, sociaux, lever tout ce qui les empêche d'accéder à certains types de métiers".
Mais aussi féministe que Wonder Woman puisse l'être, elle n'en reste pas moins construite par un homme soucieux de combler, d'une part, un certain intérêt personnel : faire sa propre promotion, sinon celle de son polygraphe. Et, d'autre part, d'offrir un modèle qui puisse venir redorer les super-héros de comics par le biais d'une féminisation opportuniste. On peut se demander si son créateur ne s'est pas servi du féminisme comme d'un objet marketing, et de son personnage comme l'instrument d'une opération purement rentable. D'autant que, si on n'hésite plus dorénavant à lui prêter des attributs pensés comme étant masculins, Wonder Woman conserve coûte que coûte l'allure d'une femme forcément belle, sexy, affective. Brigitte Rollet explique que "quand on féminise, il y a une espèce de marketing économique à féminiser le profil [...] c'est du "feminism washing" pour mieux vendre".
La représentation de son personnage aura énormément changé jusqu'à nos jours. Si elle devient une icône des mouvements féministes des années 60-70, si le fond du scénario ne manque pas de se reconnecter à l'esprit d'origine de la BD, la Wonder Woman actuelle mise beaucoup plus sur l'Amazone guerrière que sur la militante féministe des années 1940, qui aidait directement les femmes à revendiquer l'égalité de leurs droits. On transpose ainsi à la super-héroïne, les représentations stéréotypées des hommes grâce à une actrice qui répond aux codes cinématographiques du corps féminin idéal, sensualisé.
Une super-héroïne typique du personnage codifié par les stéréotypes masculins
Si il y a toujours eu des super-héroïnes, il en va tout autrement de la manière dont on a toujours eu tendance à construire ce personnage féminin car "si elle a été inventée pour donner une sorte de modèle aux femmes pendant la guerre, Mélanie Boissonneault considère qu'il ne faut pas oublier que ce sont majoritairement des hommes qui s'y sont intéressés. Wonder Woman a été pensée pour attirer avant tout un public masculin, en adoptant systématiquement des lignes plutôt sexy et athlétiques. Le cinéma n'arrange en rien les choses puisque les super-héroïnes correspondent, souvent, aux canons hollywoodiens du glamour".
D'autre part, quand elles ne sont pas ultra sensualisées, elle sont ultra masculinisées à la manière stéréotypée de l'image que l'on se fait des hommes. Elle semble reproduire le schéma des super-héros masculins sans qu'on lui ait prêté de manière naturelle et anodine.
Brigitte Rollet estime que "la question qui consiste à faire comme les hommes, que les femmes se battent à tous prix comme les hommes, a rapidement eu ses limites parce que, idéalement, ce serait bien que les héroïnes puissent être héroïnes sans nécessairement devoir singer les hommes, ce qui est souvent le cas".
Il y a toujours, d'après Sophie Bonaldi, "une tendance à calquer les femmes sur des modèles masculins prédominants. C'est le principe de la féminisation d'un personnage masculin existant :
Wonder Woman est, comme Supergirl, une féminisation de Superman, comme Batwoman et Batgirl avec Batman. Il est encore rare que les super-héroïnes existent par elles-mêmes, et soient affranchies du modèle stéréotypé du super-héros masculin
S'il y a, dès le départ, une réelle volonté de sortir de la construction classique, si Wonder Woman est capable de castagne, les trois spécialistes estiment qu'elle reste toujours douce, vulnérable, belle et aimante, comme pour garder absolument cette image traditionnelle de la femme [...] quand l'important, est d'avoir des personnages féminins variés qui ne se ressemblent pas les unes des autres".
Aller plus loin
🎧 RÉÉCOUTER - Le débat de midi : Le temps des super-héroïnes est-il venu ?
📖 LIRE - Mélanie Boissonneau : Héroïnes ! de Madame Bovary à Wonderwoman (Larousse, 2020)
📖 LIRE - Brigitte Rollet : Femmes et cinéma, sois belle et tais-toi ! (Éditions Belin)