A Belle-Île, le festival fait des petits miracles avec les moyens du bord
Par Victor Tribot LaspièrePour la 21e année, le festival international Lyrique en Mer prend ses quartiers à Belle-Île. Pendant cinq semaines, solistes renommés, jeunes artistes en devenir et choristes amateurs se produisent dans une série de concerts et d'opéras entièrement conçus sur l'île.
17h30 ce lundi 5 août dans le port de Palais. Les sirènes des bateaux résonnent dans le havre surplombé par l’imposante citadelle conçue par Vauban. Les navires déversent touristes, voitures et camions, et repartent en prenant soin de faire le plein de visiteurs à ramener sur le continent. De 5 400 habitants à l’année, l’île franchit allègrement la barre des 35 000 pendant l’été. Ce jour-là, une embarcation un peu particulière s’apprête à amarrer. A son bord, 140 personnes partis de la Trinité-sur-mer et venus spécialement pour assister à la première de Lucia di Lammermoor.
L’opéra de Donizetti est donné pour la première fois à Belle-Île avec la soprano maltaise Nicola Said et les américains Aaron Short, ténor, et Christian Bowers, baryton, Philip Walsh à la direction musicale et Denise Mulholland à la mise en scène. Comme à chaque édition du festival Lyrique-en-Mer, un opéra est monté intégralement et constitue le temps fort de l’événement. Lorsque l'on connaît les contraintes imposées par la production d’un opéra en temps normal, il faut reconnaître l'exploit de le faire sur un bout de terre isolée, à 45 minutes de bateau de Quiberon.
« Les contraintes imposées par l’insularité sont énormes, mais je les vois justement comme une opportunité » avoue Philip Walsh, avec un accent des plus british. Le chef d’orchestre anglais est arrivé par hasard sur l’île en 2001. Le baryton américain Richard Cowan, fondateur du festival avait eu un coup de foudre en découvrant la citadelle et avait absolument tenu à y organiser des concerts. Le chanteur cherchait un pianiste pour accompagner les récitals et Philip Walsh a répondu favorablement.
Lui aussi est « tombé amoureux » de l’île, au point d’y acheter une maison. Et en 2017, deux ans après la mort de Richard Cowan, c’est lui qui a repris la direction artistique du festival. « Avec les artistes, nous restons ensemble pendant cinq semaines sur l’île. Nous n’avons pas le temps de retourner sur le continent pour la journée. Par la force des choses, tout le monde devient bellilois pendant cette durée ».
Pour Philip Walsh et l’équipe du festival, c’est cette proximité imposée par l’isolement de l’île qui est l’un des facteurs de réussite de l’événement. « Le matin au marché, on croise la soprano qui était sur scène la veille. Les gens se parlent, ils se rencontrent à nouveau à la plage. Une situation que l’on observe beaucoup plus difficilement dans les gros festivals du continent » poursuit le directeur artistique.
Un festival créé par et pour les Bellilois
On le comprend rapidement quand on observe les bénévoles du festival, les Bellilois sont investis et font tout pour que leur festival fonctionne. Ce sont eux qui logent les artistes, ce sont encore eux qui mettent la main la pâte pour concevoir les décors, prêter des vieux fauteuils dont l’esthétique colle bien à ce que souhaite la metteuse en scène, ou encore prêtent des chemises blanches pour les artistes.
C’est en effet un véritable tour de force que de réussir à monter un opéra tel que Lucia di Lammermoor, en si peu de temps (15 jours seulement de répétitions, au lieu de 4 à 6 semaines habituellement) et avec un si petit budget (270 000 euros pour l’ensemble du festival). Mais cette adhésion est avant tout due à la possibilité offerte aux habitants de l’île de faire partie du chœur du festival. Près de 70 Bellilois le composent et travaillent toute l’année sous la supervision de Philip Walsh ou de David Jackson, un autre Anglais lui aussi tombé sous le charme de Belle-Île. Environ toutes les trois semaines, l’un des deux chefs se rend sur l’île pour faire travailler les choristes.
« C’est une chance inouïe, explique Marie-Jeanne Bricard, bénévole et membre du chœur. La préparation du festival et les répétitions nous permettent de maintenir une activité culturelle toute l’année. Nous donnons un concert à Noël puis à Pâques, c’est merveilleux. D’autant plus que nous avons cette chance de pouvoir chanter avec des solistes qui se sont produits sur les plus grandes scènes lyriques du monde ».
Cette année, le chœur se produit dans la Petite messe solennelle de Rossini, oeuvre donnée dans quatre églises différentes de l'île, puis dans la nouvelle opération du festival : « Venez Chanter », où les touristes de passage peuvent s’inscrire pour monter, en une journée, le Requiem de Fauré. « Je suis très exigeant avec mes choristes, je travaille avec eux comme je le fais avec des professionnels. Parce qu’ils en ont les capacités et la motivation nécessaires, explique David Jackson, chef du chœur, lui aussi Britannique et qui vient d’obtenir la nationalité française. En plus de faire travailler le chœur bénévole, David s’occupe de l’autre axe principal du festival : la transmission.
7 Français, 7 Américains
Chaque année, une quinzaine de jeunes artistes chanteurs, soit encore étudiants, soit au tout début de leur carrière, sont sélectionnés pour participer à un programme intensif. Ils chantent dans la Petite messe solennelle de Rossini, font les chœurs dans Lucia et en point d’orgue montent l’opérette Passionnément d’André Messager. Cette année, ils sont quatorze, dont la moitié de français, l’autre d’américains.
Presque tous les jours, ils répètent dans l’ancienne caserne des pompiers, sur le port, porte grande ouverte, laissant la possibilité aux nombreux badauds de s’arrêter pour jeter un coup d’œil et tendre une oreille. « C’est vraiment pour moi un moyen d’emmagasiner de l’expérience dans le but de me professionnaliser, explique Thomas Coisnon, baryton de 31 ans, étudiant au Pont supérieur de Rennes, et par ailleurs enseignant-chercheur en économie géographique. L’équipe artistique nous fait énormément confiance, et le festival se préparant vraiment longtemps à l’avance, lorsque nous arrivons sur place pour 5 semaines, cela nous plonge vraiment dans des conditions professionnelles ».
Encadrés par David Jackson à la direction musicale, et Véronique Roire, à la mise en scène, ils ont trois semaines pour monter intégralement l’opérette, où tous ont un rôle de soliste. « Ce type d’œuvre va très bien à des jeunes voix, détaille Véronique Roire. Cela leur permet d’avoir une vraie liberté sur scène, de jouer et chanter sans avoir le poids écrasant des grands rôles d’opéra. Nous les faisons travailler sur la chorégraphie, sur le rapport au corps, à l’espace et cela leur permet de s’éprouver parce qu’ils en ont assez peu l’occasion à cette étape de leur pratique. Je pense que c’est le grand oubli des études de chant, il y a très peu d’enseignement de l’interprétation et de la présence scénique ».
Cinq semaines, isolés du monde, avec un seul jour de repos hebdomadaire, les jeunes artistes du festival Lyrique en mer semblent apprécier cette « coupure » avec leur quotidien. « On ressent les liens très forts qui unissent la communauté belliloise, explique Marie Cayeux, soprano de 24 ans étudiante à la Guildhall School de Londres. On sent qu’on arrive dans un climat d’excitation, de bienveillance, et d’enthousiasme. Nous sommes logés chez des habitants et on voit que cela compte beaucoup de pouvoir échanger avec nous, c’est très enrichissant pour tout le monde ».
Un rayonnement culturel à l'année
C’est également l’avis de Marie-François Morvan. Belliloise depuis 35 ans et présidente du festival, elle se réjouit de l’influence de la manifestation sur la vie culturelle et sociale de Belle-Île. « Ce festival est cohérent avec l’île. Ce sont des voix exceptionnelles qui viennent dans cet endroit exceptionnel, et sans aucun artifice. Quand localement, on arrive à produire et à pérenniser une offre de qualité qui bénéficie à un public multiple, je pense qu’on a réussi notre mission ».
La présidente regrette néanmoins la part faible de subventions publiques dans le budget du festival. L’événement fondé par l’américain Richard Cowan est né dans son coin, sans aucune aide, et des années plus tard, les pouvoirs publics ne semblent pas vouloir que cela change. Pourtant, les retombées économiques sur l’île sont réelles, affirme Marie-Françoise Morvan. De l’ordre de 130 000 euros pour l’édition 2018.
En tant que maire de la ville de Le Palais, Frédéric Le Gars, ne peut que se réjouir qu’un événement ait su se pérenniser au long de 21 éditions. Une ville comme Le Palais présente un profil très particulier : à la fois isolée une grande partie de l’année, puis prise d’assaut l’été par les touristes. « Notre priorité est de favoriser la qualité de vie des habitants de Belle-Île. Avec cet objectif de conserver une population a minima pendant les 12 mois de l’année. C’est un challenge. Nous avons la chance d’avoir un riche réseau associatif sur l’île qui met en œuvre des actions culturelles tout au long de l’année. Un événement comme le festival lyrique est très fédérateur pour les habitants. A priori, habiter sur une île devrait nous défavoriser pour proposer un accès à la culture mais grâce à cette spécificité touristique qui est la nôtre, cela fait vivre des projets culturels toute l’année » explique le maire.
Ce combat culturel mené par les habitants et l’équipe du festival réjouit Philip Walsh. « Ici à Belle-Île, il y a des habitants fidèles du festival et qui ont découvert l’opéra grâce à nous. Et qui depuis sont devenus de vrais fans, qui collectionnent les disques et les dvd. C’est la plus belle des récompenses » se félicite le chef d’orchestre. Un engouement local qui se confirme jusque dans l’unique salle de cinéma de l’île. Depuis l’année dernière, le Rex, grâce au soutien du festival et l’université du temps libre de Rennes, diffuse 10 opéras par an captés sur la scène du Metropolitan Opera de New York.
Festival Lyrique en mer, à Belle-Île (56), du 30 juillet au 16 août.