A l'école, la pratique musicale mise à mal par le reconfinement
Par Suzana KubikSalles de spectacles, conservatoires... musiciens apprentis et professionnels partagent le même sort : un coup d'arrêt de leurs activités depuis le reconfinement. Mais qu'en est-il de l'éducation musicale à l'école ? Peut-on encore chanter ou jouer d'un instrument en classe ?
Tout a bien commencé pour Rodrigue Diaz, professeur de musique au collège Sévigné à Paris. En septembre, il a retrouvé ses classes de troisième pour les cours de musique hebdomadaire et surtout pour les ateliers de comédie musicale qu'il propose à une quinzaine d'élèves. Les mesures sanitaires ne l'ont pas découragé de voir grand, bien au contraire : il prévoyait alors mise en scène, costumes, et même un spectacle de fin d'année. Et les nouvelles mesures sanitaires étaient intégrées au travail en classe :
«On a répété avec le port du masque en essayant de respecter les distances, et même d'en jouer dans la mise en scène, raconte Rodrigue Diaz. On a réfléchi tout de suite à créer une histoire, à imaginer d'autres masques, comment on peut se cacher, comment on peut changer l'identité d'un personnage. Puisqu'on avait cette barrière du masque, on était obligé de dépasser la contrainte. J'en ai profité pour justement inciter les élèves à chanter encore plus, à trouver plus d'énergie avec le souffle, à projeter encore plus la voix.»
Mais avec le reconfinement fin octobre, le projet de la comédie musicale du professeur Diaz a été mis en sourdine. Pour éviter le brassage et les interactions des élèves, le collège Sévigné a du réquisitionner la salle de musique et modifier considérablement l'emploi du temps, avec une partie de cours en visioconférence. Du coup, toute pratique musicale est devenue impossible.
Nombre d'établissements scolaires se sont retrouvés dans la même situation. Pourtant, le nouveau protocole sanitaire de l'Education nationale encourage les pratiques musicales collectives : chorales, et mêmes instruments à vent sont les bienvenus à l'école. Mais sur le terrain, ces injonctions sont impossibles à mettre en œuvre.
« On sait très bien que les chefs d'établissement sont soumis à une pression, à résoudre un peu la quadrature du cercle parce qu'on leur demande de faire de la distanciation, d'éviter le brassage, mais en même temps, on leur demande d'accueillir tout le monde, explique Anne-Claire Scébalt, présidente de l'Association des professeurs d'éducation musicale (l'APEMU). Et puis, on leur demande de maintenir les activités comme la chorale. Humainement, c'est impossible. Du coup, il ne leur restait qu'une seule solution aux chefs d'établissement : limiter les accès aux salles.» Si la salle de musique est réquisitionnée, le professeur n'a plus l'accès aux instruments de musique et aux système de diffusion de sons. Comment enseigner la musique dans ces conditions?
« Les élèves ne peuvent plus jouer, écouter ou pratiquer la musique. Donc, on se retrouve dans une impasse pédagogique. On se retrouve à enseigner comme comme dans les années 60. C'est un gros coup d'arrêt sur une dynamique dans laquelle était notre discipline » regrette Anne-Claire Scébalt .
Alors, les professeurs se débrouillent : ils achètent les enceintes portatives pour diffuser un play-back ou faire écouter de la musique, ils initient les élèves aux percussions corporelles ou au soundpainting... selon Anne-Claire Scébalt, les professeurs de musique, habitués à devoir défendre leur discipline, ne manquent pas d'idées.
Une exception à la règle, le dispositif Orchestre à l'école. Depuis la rentrée de septembre, la majorité des projets ont pu reprendre, avec les adaptations nécessaires pour respecter le protocole sanitaire, et notamment une répartition des élèves en pupitres et en petits groupes sur plusieurs séances pour garantir la distanciation physique. « Cela tient à la nature du projet, explique Marianne Blayau, déléguée générale de l’Association Orchestre à l’École. Le point fort des orchestres à l'école c'est que c'est une classe entière qui fait la pratique orchestrale ensemble. Donc, il n'y a pas de brassage, et c'est pour cela que ces projets peuvent continuer.»
Le problème qui peut se poser avec ce dispositif, notamment en zone rurale, est la participation du professeur de conservatoire, souligne Marianne Blayau.
« Les professeurs de conservatoires doivent faire tous leurs cours en distanciel. Encadrer les répétitions de l'orchestre à l'école est la seule chose qu'ils ont le droit de faire en présentiel. Quand on a des conservatoires dans une zone urbaine avec des professeurs qui habitent pas loin, ça ne pose pas de problème. Mais si le professeur doit faire 60 kilomètres pour une intervention d'une heure en milieu scolaire, cela peut compliquer les choses, » précise-t-elle.
Pour soutenir les professeurs d'éducation musicale, l'APEMU propose sur son site des ressources et un espace d'échanges pour nourrir leur pratique :
« L'important pour nous, à l'heure actuelle, c'est de maintenir quand même une pratique, c'est que les élèves ne se retrouvent pas du jour au lendemain derrière une table, à écouter passivement. Il faut peut être revenir sur certaines exigences pour l'instant et réfléchir à autre chose. Par exemple, je pense à la pratique vocale, au service de l'écoute. On va chanter le thème d'une œuvre, on va chanter la basse.... Et donc, ça permet aux élèves de pratiquer quand même, de garder quelque chose qui est notre essence, qui est notre ferment. On ne peut pas se séparer de cela,» conclut Anne-Claire Scébalt.