A Strasbourg, une Damnation de Faust de Berlioz d'exception à l'accent américain
Par Victor Tribot LaspièreLes 25 et 26 avril, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg poursuit les célébrations de l’année Berlioz, en réunissant le trio d'Américains John Nelson, Joyce DiDonato et Michael Spyres, parmi les meilleurs défenseurs du compositeurs français.
« C’est ma dream team qui est réunie ici ». Avec cette simple phrase, John Nelson résume à la perfection le tour de force accompli par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Le chef d’orchestre américain, l’un des plus éminents spécialistes de Berlioz au monde, reprend les rênes de cet orchestre avec lequel il collabore régulièrement depuis 25 ans.
« C’est l’orchestre idéal pour jouer Berlioz. Le génie de sa musique est le résultat d’un mélange d’élan et de discipline. La situation géographique de l’orchestre, à cheval sur la frontière franco-allemande, lui permet de combiner ces deux qualités à la perfection. La légèreté française et la rigueur allemande » explique John Nelson.
Lors de la saison 2017-2018, le maestro était déjà venu à Strasbourg avec la même équipe artistique pour monter Les Troyens de Berlioz, une production qui avait marqué les esprits. L’enregistrement qui en a résulté a raflé de nombreuses distinctions dans le monde entier, dont une Victoire de la musique.
Cette saison, John Nelson est de retour à Strasbourg pour deux représentations de la Damnation de Faust, en version concert, les 25 et 26 avril. « Je préfère de loin donner cette œuvre sans mise en scène. Cela permet de mieux se concentrer sur la musique et le texte, chacun est libre de de se représenter ce qui se passe, de créer ses propres images ».
Les Américains en force
Sur la scène de la salle Érasme, au cœur du Palais de la musique et des congrès, le plateau vocal est étourdissant. Joyce DiDonato, Michael Spyres, Nicolas Courjal et Alexandre Duhamel. Cette « dream team » réunie autour de John Nelson et de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg est certainement ce qui se fait de mieux à l’échelle mondiale pour interpréter Berlioz.
Hormis Nicolas Courjal, les têtes d’affiche sont toutes de nationalité américaine. Ce qui nous rappelle qu’il n’y pas si longtemps, Berlioz était boudé en France. Et c’est en partie grâce à des artistes britanniques ou américains que son génie musical a été remis au goût du jour. Le ténor américain Michael Spyres est le premier à se dire surpris de cette relation d’amour/haine entre Berlioz et la France.
« Pour moi, il est le grand champion de la musique en France. Je ne comprends toujours pas pourquoi on n’a pas érigé des monuments nationaux en son honneur. C’est tout simplement le compositeur qui a le plus pensé la musique au monde. Et s’il est souvent incompris, c’est sûrement à cause de son génie » s’interroge Michael Spyres.
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Le ténor, qui est a notamment brillé dans Le Postillon de Longjumeau à l’Opéra Comique en avril dernier (diffusé ce dimanche 28 avril à 20h dans Dimanche à l'Opéra sur France Musique), le dit en toute honnêteté, il doit sa carrière au rôle de Faust, dans la Damnation. « A ma connaissance, j’ai chanté ce rôle plus que n’importe quel autre chanteur encore vivant. Et à chaque fois, je découvre des nouvelles choses, des nouvelles nuances, des connexions d’idées entre plusieurs parties de l’œuvre. C’est un monde dans un monde. Chaque œuvre de Berlioz fonctionne de la même façon ».
Vision des choses que ne peut que confirmer Nicolas Courjal. La basse a lui aussi plongé dans l’univers du chant avec Berlioz. « Mes tous premiers engagements professionnels, c’était avec Méphistophélès de Berlioz à Moscou, Kuala Lampur ou Madrid. A cette époque, le compositeur était surtout défendu à l’étranger. C’est nettement moins le cas maintenant ».
Excuse my french
Nicolas Courjal reconnaît la difficulté de chanter du Berlioz. « Même si c’est en français, donc ma langue maternelle et que cela me procure un rapport immédiat avec les mots, et comment les exprimer, ce n’est vraiment pas facile à chanter. Il a une façon instrumentale d’écrire pour la voix. Ca n’a rien à voir avec le Faust de Gounod, qui lui est très vocal, très évident. Berlioz n’est clairement pas l’héritier du Bel Canto. C’était vraiment un compositeur à part » analyse la basse.
Joyce DiDonato, elle, a rencontré Berlioz pour la première fois à l’occasion d’un concert à La Chaise Dieu, où elle chantait Les Nuits d’été. La mezzo-soprano américaine qui tient le haut de l’affiche avec le rôle de Marguerite lors de ces deux concerts exceptionnels à Strasbourg se réjouit de retrouver la même équipe que pour Les Troyens, une « vraie famille » explique-t-elle.
A l’instar de son camarade de jeu français Nicolas Courjal, Joyce DiDonato a du se travailler dur pour se plier aux exigences du chant en français. « Avec l’italien ou l’allemand, c’est très facile, très vocal et très clair. Il y a de nombreuses consonnes sur lesquelles s’appuyer. En français, c’est très délicat et fragile, et donc plus difficile pour moi d’exprimer le texte dans le style juste. Le français demande d’être très legato, c’est un autre rythme. Mais, ce qui est le plus important, c’est la poésie que dégage le français. C’est très difficile mais j’aime beaucoup ça ».
Comme lors des Troyens la saison dernière, cette Damnation de Faust donnera lieu à un disque, à paraître prochainement. L’Orchestre philharmonique de Strasbourg ne s’arrêtera pas là pour célébrer Berlioz, puisqu’en 2020, c’est au tour de Roméo et Juliette d’être pris à bras le corps par la même équipe artistique.