Affaire Daniele Gatti : stupéfaction à l’Orchestre national de France
Par Victor Tribot LaspièreSuite au licenciement de Daniele Gatti de la tête de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam pour des faits de harcèlement sexuels présumés, l’Orchestre national de France est sous le choc. Le chef d’orchestre italien a passé 8 années à la direction musicale de l’ensemble.
C’est l’affaire qui secoue le monde de la musique classique cet été. Suite aux révélations du Washington Post concernant des situations de harcèlement sexuel supposées de la part de Daniele Gatti, l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, où le chef italien assurait le poste de directeur musical depuis 2016, a décidé de le licencier.
Dans un communiqué, la direction de l’orchestre a déclaré qu’un « certain nombre de collègues féminines de l’Orchestre royal du Concertgebouw ont rapporté des expériences avec Daniele Gatti, considérées comme inappropriées au regard de sa position de directeur artistique ». Un licenciement express presque autant surprenant que la révélation des supposés agissements du maestro. D’autant plus que Daniele Gatti venait de signer le renouvellement de son contrat avec le Concertgebouw pour quatre années supplémentaires.
Alors que des musiciennes de l’orchestre du Concertgebouw ont décidé de briser le silence, il est légitime de se demander si des membres de l’Orchestre national de France ont vécu des situations similaires. Daniele Gatti est resté huit années (2008 – 2016) à la tête de la formation dont il a été « un très grand chef » déclare Jean-Paul Quennesson, corniste et représentant de l’orchestre.
« Ça a été la totale stupéfaction à la lecture de ces révélations. Une énorme surprise qui laisse penser, au regard de la réaction du Concertgebouw, qu’il y a des faits concrets ». En effet, la rapidité de la prise de décision de l’orchestre néerlandais semble indiquer que la direction dispose d'éléments suffisamment graves.
Néanmoins, Jean-Paul Quennesson, également syndicaliste et déjà confronté à ce type de situations au sein de Radio France, estime que cela se serait certainement passé différemment si ces événements s’étaient déroulés à l’Orchestre national de France. « Il y a un an, nous avons eu un cas similaire à Radio France. Nous avons procédé dans les règles, pris le temps d’écouter les deux parties, de déclencher tous les dispositifs existants. Et cela nous a permis de prendre une décision. Il me semble logique de penser que Daniele Gatti va se défendre en justice pour contester cette décision expéditive ».
Jean-Paul Quennesson, qui se dit très « attentif » au sujet, et estime qu’il est dans « une position qui lui permet d’être généralement au courant des bruits et des rumeurs émanant des musiciens ». Pourtant, en huit années de collaboration avec le maestro Gatti, rien ne lui est remonté aux oreilles.
« De l'ère du silence à l'ère du jugement expéditif »
Idem pour Jean-Pierre Rousseau, ancien directeur de la musique de Radio France : « Quand j’étais en fonction, jamais aucun signalement d’un comportement déplacé ne m’a été signalé. Si les faits sont avérés, je serais extrêmement surpris ».
Jean-Pierre Rousseau se dit scandalisé de la façon dont l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam a géré l’affaire : « Nous sommes passés de l’ère du silence à l’ère du jugement expéditif ». Il s’insurge du fait qu’on puisse licencier quelqu’un « uniquement sur la base d’articles de presse. C’est à la justice de déterminer qui a eu tort. Pourtant, Daniele Gatti a été licencié avant qu’il n’y ait eu la moindre action en justice ». Pour Jean-Pierre Rousseau, cela revient à nier le principe de la présomption d’innocence et cela peut avoir des conséquences désastreuses. « Si jamais les accusations n’étaient pas fondées, c’est trop tard, le mal est fait ».
Il pense notamment à ce qui a pu se passer avec Benny Fredriksson, le mari d’ Anne Sofie von Otter. Directeur du centre artistique Stadsteatern de Stockholm, il avait démissionné en décembre 2017, après avoir été accusé de harcèlement sexuel et moral dans plusieurs articles de presse. Le 17 mars, il a mis fin à ses jours après à une profonde dépression. Des accusations qui, après un audit, n’ont pas été soutenues par les 135 salariés du théâtre, laissant croire qu'elles étaient infondées.
Gatti pour le Concert du 14 juillet ?
C’est pour cela que Michel Orier, directeur de la musique de Radio France, appelle à beaucoup de « prudence ». « Nous ne savons presque rien de ce qui s’est réellement passé et cela a vraiment surpris tout le monde ». Michel Orier rappelle qu’une cellule d’écoute a été mise en place au sein de la Maison de la Radio et que si des salariés souhaitent faire part d’un problème, ils peuvent s’exprimer de façon tout à fait anonyme.
Lui non plus n’a jamais entendu de problèmes de ce type concernant Gatti lorsqu’il était directeur musical du National. Michel Orier discutera du sujet à la rentrée, puisque le chef italien était pressenti pour diriger le prochain concert du 14 juillet. Il devait également être invité à venir diriger l’Orchestre national de France dans les saisons futures. « Nous prendrons une décision en fonction de l’évolution de la situation » déclare Michel Orier.
Jean-Paul Quennesson précise qu’il faut rester en alerte puisque « trop souvent, les gens n’osent pas briser le silence. Cela concerne majoritairement des personnes en CDD qui ont peur des répercussions. Peut-être que des choses sortiront dans les semaines à venir, nous verrons ».
La direction du Mahler Chamber Orchestra, dont Daniele Gatti assure la supervision artistique, a décidé d’envoyer un mail à tous les musiciens et membres de l’équipe afin de recueillir les témoignages d’éventuels comportements déplacés de la part du chef. L’ensemble compte prendre le temps avant de statuer sur l'avenir de Gatti.
Réaction similaire du côté de l’Orchestre philharmonique de Berlin. Le chef italien doit diriger l’ensemble lors du prochain festival de Pâques à Baden-Baden. Les instances de gouvernance déclarent « examiner minutieusement la situation » et décideront de la suite en conséquence.