Ancrage territorial et mission de service public : les opéras nationaux s’engagent et ouvrent leurs portes
Par Nathalie MollerL’opéra est un genre musical mais aussi une institution qui appartient à un territoire et à ses citoyens. Parmi ses missions, elle doit ouvrir ses portes aux spectateurs dits éloignés, empêchés ou non-public.
En France, l’activité des opéras nationaux en région est en grande partie financée par l’Etat et les collectivités territoriales. En contrepartie, les théâtres lyriques doivent respecter un cahier des charges dont les objectifs ne sont pas seulement artistiques, mais aussi sociaux et éducatifs.
Dans les cinq opéras nationaux en région (situés à Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Montpellier et Nancy) se sont développés depuis une dizaine d’années des services entièrement dédiés aux actions socio-culturelles. Ateliers, visites ou représentations sont imaginés et organisés pour des publics dits éloignés de l’opéra, des spectateurs qui ne franchiraient pas d’eux-mêmes les portes d’un théâtre lyrique.
« Dans les opéras mais aussi plus généralement dans toutes les structures culturelles, il y a désormais de vraies politiques menées sur le plan social. Des postes sont même créés pour ça », explique Fedoua Bayoudh, chargée du développement des publics à l’ Opéra national de Lorraine. Des politiques sous-jacentes à celles menées au niveau national mais qui gardent une certaine autonomie et indépendance territoriale.
« Le contrat passé avec l’Etat est renouvelé tous les cinq ans, mais la ligne directrice est suffisamment générale pour ne pas être changée par chaque gouvernement, fait remarquer Marie Evreux, responsable du développement culturel à l’ Opéra national de Lyon. Et tous les opéras ne fonctionnent pas de la même manière, chacun mène un type d’actions en fonction de son identité, de son histoire. »
3 mots d’ordre : variété, partenariat, continuité
A Lyon, par exemple, les actions socio-culturelles menées par l’Opéra national sont très orientées vers les secteurs médicaux et ceux de l’insertion professionnelle. Des concerts sont donnés dans des hôpitaux, les personnels de soin peuvent bénéficier de formations musicales, et les publics inscrits dans des dispositifs d’insertion professionnelle sont régulièrement invités à visiter les coulisses de l’Opéra, et à découvrir les métiers de la scène lyrique.
A Nancy, entre autres actions, des opéras en audio-description sont proposés en partenariat avec l’association Accès Culture. Des personnes aveugles ou malvoyantes peuvent ainsi profiter d’une visite tactile de la scène avant le soir de la représentation, reçoivent des livrets en braille ou en gros caractères, et se voient proposées des casques permettant une description audio de l’action pendant le spectacle.
A Strasbourg, les générales de chaque grande production sont ouvertes aux publics scolaires, étudiants, et représentent également l’occasion pour la maison d’opéra alsacienne d’inviter entre ses murs un autre public, des spectateurs pris en charge par des associations partenaires telles que Le Refuge, une structure d’accompagnement et d’hébergement pour les jeunes victimes d’homophobie et de transphobie.
Si les actions menées par les opéras sont particulièrement variées et diffèrent en fonction de chaque institution, on y trouve toujours deux dénominateurs communs. D’une part, ces actions sont menées sur le long terme, de manière pérenne et continue : « Ce sont de vrais parcours qui sont proposés vis-à-vis des nouveaux publics (...) sur l’ensemble de la saison » explique Mélanie Aron, directrice de la communication à l’ Opéra national du Rhin. D’autre part, ces services reposent tous sur un système de partenariats : « On ne travaille pas, ou très peu, avec le public individuel, précise Marie Evreux de l’Opéra national de Lyon. On construit des collaborations, des partenariats avec certains acteurs d’autres champs professionnels. »
Des maisons et des métiers en pleine évolution
Pour les professionnels du spectacle vivant, oeuvrer en collaboration avec d’autres secteurs tels que les écoles, les hôpitaux ou Pôle Emploi ne se fait pas toujours de manière évidente : « Ces partenaires n’ont pas forcément les mêmes objectifs que nous, explique Marie Evreux. Par exemple, en ce qui concerne les acteurs de l’insertion socio-professionnelle, ils vont attendre d’une visite organisée de l’Opéra des leviers qui aident à la recherche d’emploi : la prise de parole en public, la capacité à être à l’heure à un rendez-vous donné… Tandis que nous, on envisage quelque chose de plus large, un temps de rencontre et de découverte. »
Seuls le temps et l’expérience permettent d’accorder les attentes de chacun. Et malgré la jeunesse de ces dispositifs, les évolutions sont déjà remarquables. « C’est devenu normal pour un hôpital, par exemple, d’avoir un lien avec un établissement culturel, relève Marie Evreux. Ces partenariats sont de plus en plus acceptés, voire plébiscités. »
Une évolution qui concerne également les différents métiers des opéras, comme le constate Marie Evreux : « On fait beaucoup appel aux artistes pour qu’ils participent à nos ateliers socioculturels, et on a besoin qu’ils comprennent bien tous les enjeux de ces rencontres. Or ça n’est pas toujours évident, cela peut heurter leurs habitudes de travail, leurs exigences. Ils doivent s’adapter aux publics, aux salles (qui sont parfois hors-les-murs). C’est en train de changer, mais à l’origine la formation du musicien n'est pas du tout tournée vers ce type d’actions sociales et éducatives. »
Objectifs qualitatifs et mission de service public
Et côté public, qu’en est-il ? « Certains de ces nouveaux spectateurs reviennent, oui, mais ce n’est pas notre objectif. Cela fait tout simplement partie de notre mission de service public que d’ouvrir nos portes à tous », rappelle Mélanie Aron de l’Opéra national du Rhin. Marie Evreux insiste sur la distinction entre chaque service : « Il n’y a pas de mélange des genres. Il y a un pôle qui s’occupe de la fidélisation et du renouvellement des publics, et nous, du développement culturel. »
« Notre objectif n’est pas d’accroître la fréquentation de l’opéra ou les recettes. Je sais très bien que certains des spectateurs que j’accompagne ne reviendront jamais à l’opéra, admet Fedoua Bayoudh de l’Opéra national de Lorraine. Nos résultats, on les constate autrement. Quand une personne est totalement isolée, qu’elle ne sort quasiment plus de chez elle, qu’elle a pu bénéficier d’un parcours au sein de notre maison qui lui est complètement dédié, et qu’elle ressort avec confiance, avec l’envie d’écouter de la musique, alors nous avons réussi notre mission. »