Au Collège de France, Stéphane Lissner donne sa vision de l’opéra
Par Victor Tribot Laspière
Dans le cadre du 350e anniversaire de l’Opéra de Paris, le Collège de France invite l’institution lyrique pour une série de conférences. Ce jeudi 14 juin, Stéphane Lissner, directeur de l'institution, a exposé les enjeux et les défis de l’art lyrique d’aujourd’hui et de demain.
Philippe Jordan, le directeur musical de l’Opéra national de Paris, avait ouvert le bal en avril dernier en donnant une masterclass consacrée à Don Giovanni de Mozart. Jeudi 14 juin, c’était au tour de Stéphane Lissner de poursuivre cette série de rencontres et conférences autour de l’Opéra de Paris au Collège de France. Au sein de l’amphithéâtre Marguerite de Navarre, le directeur général a exposé sa vision de l’art lyrique aujourd’hui et ses enjeux pour demain au cours d’une conférence intitulée : « Pourquoi l’opéra aujourd’hui ? ».
Stéphane Lissner débute son intervention par une considération choc : « L’opéra devrait avoir disparu depuis longtemps ». Il explicite son propos en énumérant la longue liste des difficultés rencontrées par les équipes d’une maison lyrique pour créer un spectacle : coût exorbitant, modèle économique fatalement déficitaire, dépendance inévitable des opéras à l’argent public, nombre invraisemblable de métiers qu’il faut réunir pour un spectacle, une centaine selon le directeur de l’Opéra de Paris, etc. « Il y a tellement de contraintes et de difficultés que l’opéra aurait dû disparaître depuis longtemps et pourtant ça marche. Les deux salles de l’Opéra de Paris sont toujours remplies à plus de 90%. Cela me rend donc très optimiste pour l’avenir de l’art lyrique » explique Stéphane Lissner. Il évoque également la nature de l’opéra, qui peut dérouter : l'action est contrainte par la musique, les personnages se mettent à chanter sans qu’il n’y ait de raison. Et de citer Théophile Gautier qui affirmait que « rien n’était plus éloigné de la nature » que l’opéra.
Pourtant, la combinaison de tous ces facteurs procure des émotions parmi les plus fortes. Et Stéphane Lissner se montre étonnamment hostile à tout le matériel visant à expliciter ou à simplifier les opéras. « J’ai de sérieux doutes concernant la systématisation du surtitrage. L’attention du spectateur est déjà sollicitée par ce qu’il faut regarder, ce qu’il faut écouter et comprendre. Les surtitres placés sur des écrans en dehors de la scène vont détourner le spectateur de l’émotion brute, de la sensation générale que procure une production. Je suis convaincu qu’une mise en scène réussie se suffit à elle-même et qu’il n’est nul besoin de la traduire et de l’expliquer davantage » affirme le directeur.
Un point de vue qui contraste avec la volonté de plus en plus affirmée de l’Opéra de Paris d’accompagner le public pour faciliter sa compréhension de l’œuvre. « Il y a encore quelques années, on se documentait sur l’œuvre avant d’y assister » déclare Lissner qui semble regretter que l’opéra se consomme désormais comme n’importe quel bien, sans préparation.
Variété du répertoire, variété des plaisirs
Pour le directeur de l’opéra, c’est la grande diversité du répertoire qui est l’une des explications de la longévité et du succès de l’art lyrique : « Il y en a pour tous les goûts. Entre l’amateur du Bel Canto_, celui d’opéra baroque, le Wagnérien, etc. Certains viennent chercher le plaisir physique que procure l’opéra, d’être immergé dans un bain sonore, d’autres viennent chercher le plaisir de la longueur d’une œuvre, la sensation d’avoir gravit un Everest musical_ ».
Stéphane Lissner explique qu’un directeur d’opéra doit s’avoir s’adapter à ces différents publics. Une saison réussie doit en proposer pour tous les goûts. « Il faut se préserver de tout automatisme liée à une tradition, à tout dogmatisme » explique Lissner pour qui l’un des grands dangers qui guette l’opéra est de regarder le passé. Il fait d’ailleurs une distinction entre le public viennois, attaché au répertoire autrichien et qui peut revenir voir une oeuvre qu’il aime autant de fois qu’elle sera programmée à chaque nouvelle saison, et le public parisien qui lui aime le spectacle avant tout et n’est pas attaché à des compositeurs nationaux. « Le public français est peut-être le moins nationaliste d’Europe, musicalement parlant, proclame Lissner. Par exemple, les opéras de Berlioz ont été redécouverts au XXe siècle en Grande-Bretagne ».
Stéphane Lissner en profite pour rappeler que ce monde a un besoin d’opéra. Peuvent en témoigner ces nombreux pays émergents qui se dotent de maisons lyriques : la Chine, Taïwan, l’Algérie, l’Egypte, les Pays du Golfe, etc. S’il avoue ne pas connaître la raison de cet engouement pour l’opéra, il se réjouit que l'art se fasse nécessaire partout dans le monde.
Stéphane Lissner se dit être le premier à regretter que certaines places soient si onéreuses à l’Opéra de Paris (240 euros pour les plus chères) mais précise que plus des 40% des places sont vendues à un coup inférieur à 70 euros. La diversification des tarifs est également l’une des clés pour attirer un public le plus vaste possible. Lissner explique que c’est en modernisant les mises en scène d’opéra, en soulignant les liens avec notre société actuelle, que nous allons renouveler le public. « Les mises en scène figuratives, classiques, avec décor et costumes d’époque n’aident pas à séduire un nouveau public » affirme le directeur de l’opéra.
Enfin Stéphane Lissner insiste pour rappeler que l’opéra est un service public. Si l’Etat ne continue pas à investir pour son développement, aucun capital ne viendra se substituer. La survie et l’avenir de l’opéra dépendent donc en grande partie du choix des gouvernements. Il conclut sa conférence en affirmant que l’avenir de l’opéra dépend de la volonté des institutions, même les plus anciennes, à adopter une posture d’ouverture résolue et d’aller sans cesse chercher à intégrer les générations les plus jeunes. Il appelle également les équipes artistiques à fuir les automatismes et à sans cesse chercher l’excellence et l’innovation.