Au festival de Montpellier, Valery Gergiev et le National Youth Orchestra USA font des miracles

Publicité

Au festival de Montpellier, Valery Gergiev et le National Youth Orchestra USA font des miracles

Par
Valery Gergiev dirige le National Youth Orchestra USA sur la scène du Corum de Montpellier. (© Guillaume Decalf / France Musique)
Valery Gergiev dirige le National Youth Orchestra USA sur la scène du Corum de Montpellier. (© Guillaume Decalf / France Musique)

L’un des temps forts de l’édition 2016 du Festival de Radio France et Montpellier Occitanie : le National Youth Orchestra USA dirigé par Valery Gergiev. Orchestre éphémère et renouvelé chaque été, il rassemble les meilleurs musiciens américains entre 16 et 19 ans.

L’idée peut prêter à sourire à première vue : qui a décidé, il y a trois ans de demander à Valery Gergiev , chef d’orchestre russe médiatique et politique, ami proche de Poutine, de venir diriger la première édition du National Youth Orchestra USA, l’Orchestre national des jeunes américains ?

L’envie nous prend de croire que la musique est plus forte que les jeux de pouvoir politique, mais il est tentant de penser qu’il y a quelque part dans l’esprit de Gergiev la volonté de brouiller les cartes. Etre Russe, proche de Poutine, avoir des idées politiques très marquées mais faire croire que la musique l’emporte sur tout.

Publicité

Valery Gergiev dirige le NYO USA dans un programme Debussy, Rachmaninov et Prokofiev, un concert à réécouter sur francemusique.fr

Ceci ressemble à une manœuvre de Gergiev pour redorer son image quelque peu ternie suite à ses prises de position pro-annexion de la Crimée par la Russie et à son soutien au pouvoir russe alors que celui-ci votait une loi visant à interdire la « propagande homosexuelle ». Mais Gergiev a la très grande qualité d’être un chef d’orchestre extraordinaire. Il fait partie de ces rares personnes dont on a envie de croire que la musique est - en effet - plus forte que tout.

Il faut le voir arriver sur la scène de l’Opéra Berlioz, la plus grande salle du Corum de Montpellier, pour les dernières répétitions avant le concert. Avec une bonne vingtaine de minutes de retard, que l’on devine passées au téléphone avec l’un de ses nombreux assistants, le maestro arrive d’un pas leste. Un bref regard à la scène, il monte sur le podium en marmonnant un « good afternoon » de sa voix grave. Sans prendre le temps d’ouvrir la partition du *Prélude à l’après-midi d’un faune * de Debussy, il se met à diriger avec sa gestuelle inimitable. Ses mains semblent se débarrasser de gouttes d’eau invisibles.

« Sa battue est très déstabilisante, * lance un membre du NYO USA. Lors de la première répétition, il m’a fallu plusieurs heures pour comprendre comment il indiquait le premier temps. Il n’est pas là pour superviser les placements rythmiques compliqués mais pour insuffler une idée. C’est vraiment bluffant* ».

Les jeunes musiciens reconnaissent avoir été impressionnés de voir arriver ce chef à la renommée internationale. « Il a dirigé les meilleurs orchestres du monde et le voilà qui se présente devant nous, une bande d’ados venus des quatre coins des Etats-Unis » se rappelle l’un d’eux. Les membres de cet orchestre éphémère ont commencé à travailler les partitions au début du mois de juillet, lors d’une résidence de 15 jours à New York. Les séances de travail sont animées par des musiciens d’orchestres américains. Elles ne portent pas uniquement sur l’aspect musical mais aussi sur les astuces à connaître lorsque l’on part en tournée à l’étranger, gérer la fatigue, le décalage-horaire, prendre soin de son corps comme un sportif.

C’est Clive Gillingson qui a eu l’idée de créer le NYO USA. Britannique, ancien directeur du London Symphony Orchestra, il est nommé en 2005 à la direction générale du Carnegie Hall de New York. Il s’est étonné de constater l’inexistence des orchestres de jeunes aux Etats-Unis alors qu’ils sont légion au Royaume-Uni.

Le National Youth Orchestra USA, fondé en 2013, regroupe chaque été les meilleurs musiciens américains âgés entre 16 et 19 ans. (© Guillaume Decalf / France Musique)
Le National Youth Orchestra USA, fondé en 2013, regroupe chaque été les meilleurs musiciens américains âgés entre 16 et 19 ans. (© Guillaume Decalf / France Musique)

En 2013, le Carnegie Hall lance donc ce vaste programme éducatif qui vise à rassembler chaque été la fine fleur des jeunes musiciens américains. Agés de 16 à 19 ans, ils ont été sélectionnés via une audition en ligne. Chaque candidat – ils sont environ un bon millier chaque année – doit réaliser une vidéo dans laquelle on les voit jouer de leur instrument, parler d’eux-mêmes, se mettre en scène. Doivent également figurer dans le dossier de candidature des lettres de recommandation de professeurs de musique ou de musiciens.

Le Carnegie Hall emploie des recruteurs chargés d’opérer un premier tri parmi le millier de vidéos reçues chaque année. Finalement, seule une centaine d’entre eux sont sélectionnés et peuvent bénéficier de séances de travail intensives avec des musiciens d’orchestres prestigieux. En quatre ans d’existence, les jeunes musiciens ont été dirigés par **Valery Gergiev, David Robertson, Charles Dutoit, Christoph Eschenbach ** et accompagnés par **Joshua Bell, Gil Shaham, Yundi Li, Emmanuel Ax ** et Denis Matsuev.

« Cela nous rend fiers et nous mets aussi la pression, explique Evan Johanson, un violoniste de 17 ans originaire de Seattle. *Ma seule expérience d’orchestre est avec celui de ma ville. Au NYO, j’ai découvert des adolescents passionnés avec un niveau excellent. C’est une expérience incroyable et tellement riche ! Le maestro Gergiev nous a tous un peu effrayé lors de la première répétition mais c’est quelqu’un de très sympathique, très à l’écoute. Il accorde énormément d’attention à chacun d’entre nous * ».

Chose étonnante pour le système d'éducation musicale à la française, à peine la moitié des membres de NYO USA veut devenir musicien professionnel. Tous dotés d'un très haut de niveau de pratique instrumentale, certains veulent devenir médecin, avocat ou commercial. "C'est une question de passion plus que de vocation pour la plupart d'entre eux. Ils perçoivent la musique comme un loisir, certes qui leur prend énormément de temps et de travail, mais ils ne veulent pas forcément choisir cela comme métier " analyse Synneve Carlino, directrice des relations publiques du NYO.

Programme éducatif entièrement pris en charge, la plupart des jeunes musiciens qui y participent ont quitté leur pays pour la première fois. Cet été, le NYO a donné une série de 6 concerts dont quatre en Europe (Amsterdam, Montpellier, Copenhague et Prague). "Nous sommes fiers de représenter notre pays, explique Evan, conscient du rôle diplomatique d'une telle tournée. Le fait d'être dirigé par Maestro Gergiev peut paraître bizarre au regard des tensions entre les Etats-Unis et la Russie, mais je crois réellement que la musique est plus forte que cela et qu'elle peut tous nous rassembler. Nous travaillons tous très durs pour que le public soit heureux et que nous puissions être fiers de notre pays ".

** Sur le même thème **