
En 2018, les ministères de l'Education nationale et de la Culture lançaient le Plan chorale visant à généraliser les chorales scolaires encadrées par les enseignants.Problème : ils manquent de compétences, de ressources et de moyens. Comment les épauler ? En mobilisant les professionnels. Reportage.
En 2018, les ministères de l'Education nationale et de la Culture lançaient le Plan chorale : une chorale dans chaque école, de la maternelle au lycée, encadrée par les enseignants et les musiciens intervenants. Belle initiative, qui s'est vite heurtée à la réalité du terrain : pour mener un projet de chorale à l'école, les enseignants manquent de savoir-faire, de temps dédié et de ressources. Alors, comment répondre à l'injonction ministérielle ?
Un modèle possible : le projet 100% chorale en Bourgogne Franche-Comté, dont Auxerre est ville pilote pour la 2e année. Son concepteur est le directeur de La Cité de la voix, structure de référence pour l'art vocal dans la région, François Delagoutte. « Quand on a un objectif comme ça sur le plan national, il faut une cohérence sur le plan des moyens au sein des établissements scolaires, constate-t-il. Il y a beaucoup d'initiatives qui existent, mais peut-être qu'il faut le penser au niveau national pour que l'ambition soit vraiment portée dans le réel.»
Pour l'heure, la balle est dans le camp des professionnels du chant choral, estime-t-il. Et la seule solution est de mobiliser toutes les forces vives sur un territoire dans l'accompagnement des enseignants :
« Déjà, il faut avoir les compétences pour diriger : comment on aborde les voix d'enfants ? Comment les échauffer ? Comment les faire travailler? Les enseignants ne sont pas forcément lecteurs aussi. Comment ils peuvent s'en sortir avec des outils pour faire passer des choses oralement ? Question répertoire, il faut quand même avoir quelques clés et de la ressource pour pouvoir mettre en place des choses au sein de leur propre classe.»
Travailler main dans la main avec les professionnels
Pour le projet 100% chorale, la Cité de la voix s'est associée à l'ensemble Aedes, au théâtre et au conservatoire d'Auxerre, pour être au plus près des besoins des enseignants : «Tous les professeurs qui participent à ce projet, ont bénéficié d'une petite formation, suivent nos répétitions régulières et travaillent avec les enfants entre des séances. Un investissement qui est nécessaire et dont ils se sont tous emparés » constate Mathieu Romano, directeur artistique de l'ensemble Aedes.
« C'est un peu comme un puzzle, renchérit François Delagoutte. Quand on choisit une œuvre, les enseignants précisent leurs thématiques pédagogiques. Donc, la Cité de la voix a le Centre de documentation d'art choral à Dijon avec 50 000 partitions dans lesquelles on va puiser pour proposer du répertoire. Les enseignants du Conservatoire vont faire de l'accompagnement et les arrangements. Ca engage finalement tout le monde dans le projet et permet à la sauce de prendre. »
Ainsi, sur une année scolaire, quatre classes de quatre écoles auxerroises - presque 90 élèves - ont travaillé depuis janvier la suite chorale Un chemin sort de mes pieds de Manuel Colley avec leurs enseignantes, guidées tout au long des répétitions par les chanteuses lyriques de l'ensemble Aedes et par la musicienne intervenante Stéphanie Ballet :
« L’idée c’était de vivre un projet accompagnés par des professionnels, chanteuses d'Aedes et leur directeur artistique, ouvrir vers une autre qualité de chant, une autre prise de conscience, pour les enfants aussi de découvrir les voix lyriques, puis d’accompagner aussi les enseignantes sur un projet un peu plus ambitieux que ce qu'elles n'auraient osé monter. Et pour cela, cette année la Cité de la voix a proposé un volet tutorat : On a accompagné les enseignantes, on les a observé, les aidé, leur fait des retours comment mieux diriger et d’aboutir, avec des moyens. »
100% chorale...très bientôt
Si pour l’instant le projet 100% chorale est loin de couvrir toutes les écoles de la région, sa force est de s’inscrire dans la durée, explique François Delagoutte. Les enseignants formés au cours de cette année continueront à être accompagnés, jusqu’à ce qu’ils deviennent autonomes pour mener un projet choral dans leur établissement. Et à contribuer ainsi à faire perdurer le chant en classe sous quelque forme qu'il soit, pense Julie Besle, chargée des projets à La Cité de la voix : « Si les enfants peuvent chanter au quotidien dans la classe, pourquoi pas ? Je pense que ce projet peut aussi aider à mettre à l'aise les enseignants et peut - être aussi, démythifier le fait de chanter, démythifier ce que c'est qu'un artiste. Et aider un peu à changer les postures, donner envie d'oser chanter un peu plus en classe. »
Mais François Delagoutte est conscient que son impact est limité, et appelle à une meilleure cohérence sur le plan national. « Sur des formations gérées en ce moment, l'Éducation nationale a d'autres priorités que sont les fondamentaux, les maths et le français. Et c'est vrai que les enseignants ne se font plus remplacer forcément quand ils viennent dans l'une de nos formations, par exemple. Voilà donc aujourd'hui la contradiction, c'est qu'il y a eu en tout cas ce plan chorale et cet objectif national, mais que derrière, il faut les moyens en formation, les moyens en ressources, les moyens en temps pour pouvoir le mettre en oeuvre. Nous, notre rôle en tant que structure culturelle, c'est d'y travailler et de développer des projets qui puissent engager, comme je le disais tout à l'heure. Mais on ne peut pas le faire avec tout le monde.»
Le professionnel espère transposer le modèle auxerrois sur toute la région. Une première antenne a déjà vu le jour cette année à Gray.