Avec l'opéra "L’Inondation", Pommerat et Filidei réinventent le processus de création
Par Victor Tribot LaspièreEn invitant Joël Pommerat et Francesco Filidei à créer l’Inondation, l’Opéra Comique innove en donnant du temps et des moyens afin de repenser le mode de création d’une œuvre lyrique.
C’est l’une des créations les plus attendues de la saison lyrique 2019-2020. Un opéra à quatre mains par l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat, et le compositeur italien Francesco Filidei créé grâce à la volonté d’Olivier Mantei, directeur de l’Opéra Comique, de laisser le temps et la liberté aux deux artistes. Et surtout d’appliquer à l’opéra la méthode de travail d’une création théâtrale.
Pour le directeur de la salle Favart, L’Inondation est une création toute particulière. « Cela faisait 10 ans que je sollicitais Joël Pommerat pour qu’il écrive pour l’opéra. Nous sommes allés chercher Francesco Filidei, un compositeur très dramaturgique. Je leur ai proposé d’écrire ensemble cet opéra. Pendant un an, ils se sont installés dans l’Opéra Comique, avec parfois des chanteurs ou des instrumentistes, et ils ont partagé le temps de l’écriture. C’était une expérience nouvelle » raconte, enthousiaste, Olivier Mantei.
L’Inondation est inspirée d’une nouvelle de l’écrivain russe Evgeny Zamiatine, publiée en 1929. C’est la première fois que Joël Pommerat conçoit un livret d’opéra. Auparavant, il avait adapté ses pièces de théâtre en opéra. « Cette nouvelle de Ziamatine, je la traînais avec moi depuis 25 ans. Pour créer un livret d’une œuvre déjà existante, on adapte, on recrée et surtout on massacre. On fait beaucoup de mal à l’œuvre. Je me suis rendu compte pendant les répétitions, que les solutions pour rendre cette nouvelle opératique, étaient relativement destructrices de la cohérence de l’œuvre littéraire » explique Joël Pommerat.
Une cohérence retrouvée grâce à la dramaturgie apportée par la musique de Francesco Filidei. Et aussi grâce au travail de fond rendu possible par le temps disponible. Depuis janvier 2017, l’équipe, chanteurs compris, a participé à de nombreux ateliers de création d'une durée d'une semaine.
Autre nouveauté, la musique a été enregistrée, un an avant la première. Un procédé qui a permis aux chanteurs et à Joël Pommerat de se libérer de sa découverte et de son apprentissage , et de se concentrer totalement sur le théâtre et le jeu. En rendant possible ce nouveau processus d’écriture d’un opéra, Olivier Mantei estime avoir « la chance de regrouper en une seule personne, les trois points de vue habituellement présents à l’opéra, que sont le compositeur, l’auteur et le metteur en scène. Cela permet une relation avec le public beaucoup plus directe. C’est le sens de la création ».
Pour le directeur de l’Opéra Comique, il est essentiel de laisser plus de place aux créateurs d’aujourd’hui, parce qu’ils peuvent « interroger le XXIe siècle d’une manière beaucoup plus prégnante, plutôt que de transposer ou réécrire une œuvre du répertoire ». Olivier Mantei ne le cache pas, il est fier d’être à la tête d’une maison d’opéra qui programme trois commandes en l’espace de huit mois. Après L’Inondation, la salle Favart présentera Fosse, conçu par Christian Boltanski, Jean Kalman et Franck Krawczy, puis Macbeth Underworld composé par Pascal Dusapin et mis en scène par Thomas Jolly.
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Appliquer le théâtre à l'opéra
Pour le compositeur italien Francesco Filidei, qui signe là son deuxième opéra après Giordano Bruno, cette façon de procéder marquait une nouveauté. « Joël Pommerat m’a proposé de travailler à sa façon, c’est-à-dire d’appliquer ses méthodes de travail pour les acteurs, mais avec des chanteurs. Pendant les ateliers, chaque matin Joël arrivait avec une scène qu’il venait d’écrire. Je la découvrais en même temps que les interprètes. Après une lecture tous ensemble, j’étais vraiment libre d’essayer ce que je voulais avec. Au fur et à mesure que les mois avançaient j’ai développé un langage proche de l’improvisation. Le matin, je donnais quelques indications aux chanteurs, un mot, un petit chant et l’après-midi, j’emmenais chaque chanteur au piano et très rapidement j’écrivais la mélodie. J’avais l’impression d’être un peintre, c’est-à-dire de travailler face à un modèle. Il y a eu ensuite un très long travail d’orchestration mais les premières intentions musicales n’ont presque pas changé depuis le début ».
La rencontre Pommerat – Filidei, c’est celle du théâtre français et de l’opéra italien. Elle a pu générer des problèmes de compréhension entre les deux hommes au début. Mais au fil des ateliers, ils ont petit à petit appris à trouver des solutions. « J’ai par exemple pris conscience qu’à certains moments, il faut savoir ne pas faire de la musique, poursuit le compositeur italien. Ce n’est pas par hasard que dans l’histoire de l’opéra, on retrouve les récitatifs et les airs. Parfois, essayer de développer un discours musical peut être nocif. Cela a été une découverte vraiment très intéressante pour moi » explique Francesco Filidei.
Deux ans avant la première, Joël Pommerat a travaillé avec les chanteurs, comme c’est le cas pour la mezzo-soprano Chloé Briot. Alors qu’ils ont d’habitude trois semaines de répétitions pour apprendre une mise en scène, les chanteurs ont bénéficié d’un an d’ateliers réguliers, puis de près de deux mois de répétitions.
« C’est comme cela que travaille Joël Pommerat, il fait en sorte que tout le monde se sente concerné dans le processus de création. Nous avons eu beaucoup de temps, ce qui est vraiment appréciable. On a vraiment la possibilité d’aller au fond des choses et surtout d’être force de proposition. En tant qu’interprète, c’est un luxe incroyable » explique la chanteuse, qui joue le rôle principal.
« Joël Pommerat nous a fait travailler en séances d’improvisation. Il voulait voir ce qu’on pouvait chanter ou faire, comme ça, dans un premier jet. Nous, les chanteurs nous ne sommes pas du tout habitués à cela, nous sommes plutôt habitués à obéir, en quelque sorte. Cela a apporté une liberté très grande. Et c’était le même processus avec la musique » poursuit la mezzo.
Elle interprète le rôle d’une femme qui n’arrive pas à avoir d’enfant et qui sombre dans la dépression. Sa vie et son couple vont être bouleversés lorsqu’ils recueillent la fille de leur voisin décédé. « C’est un personnage qui ne chante pas beaucoup, elle est très taiseuse. C’est ce qui m’a tout de suite intéressé, de pouvoir jouer un personnage qui se tait. C’est génial de pouvoir faire cela à l’opéra alors qu’on est d’habitude dans une grandiloquence. Chaque intervention vocale doit être très précise » explique Chloé Briot.
Le langage utilisé par Pommerat pour créer des dialogues, qui souvent n’existent pas dans la nouvelle de Ziamatine, est très ramassé, direct et va à l’essentiel. C’est ce qui a guidé Francesco Filidei vers un style musical debussyste pour ce qui est du chant, très proche de celui utilisé dans Pelléas et Mélisande. « Les personnages ne parlent pas beaucoup, c’est donc à l’orchestre de décrire l’atmosphère » explique le compositeur.
L'Orchestre philharmonique de Radio France est d’ailleurs totalement méconnaissable avec 11 bois, 7 cuivres, un accordéon, des cordes, mais surtout 5 percussionnistes. Ils utilisent un nombre d’objets impressionnants : verres d’eau, papier de verre, papier bulle, jouet couineur, machine pour reproduire le bruit d’un taser, langues de belle-mère, cailloux, pompe à vélo et de nombreux appeaux d’oiseaux. Le tout sous la baguette du chef italien Emilio Pomarico.
France Musique capte et diffusera l’œuvre ultérieurement