"C'était un homme au grand coeur." Entretien avec Nicoletta Mantovani, veuve du ténor Luciano Pavarotti
À l'occasion de la sortie du documentaire « Pavarotti » par le réalisateur américain Ron Howard, une interview par Jean-Baptiste Urbain avec Nicoletta Mantovani, la seconde femme et veuve du grand ténor italien Luciano Pavarotti.
A l'occasion de la sortie du documentaire « Pavarotti » le 6 novembre, Nicoletta Mantovani est l'invitée de Musique Matin de Jean Baptiste Urbain. Quand elle pense à Luciano Pavarotti, elle se souvient surtout du coup de foudre. Ils se sont rencontrés alors qu'elle avait 23 ans et lui 57. La seconde épouse de Pavarotti, Nicoletta Mantovani a partagé quinze ans de vie commune avec le grand ténor, avec beaucoup de souvenirs et beaucoup de moments partagés, dont certains sont visibles dans le documentaire sur le célèbre chanteur réalisé par Ron Howard : un documentaire qui lève le voile sur le quotidien d'un "homme simple, qui aimait des choses simples de la vie : être avec ses amis, cuisiner pour eux, jouer aux cartes, boire un bon verre de vin..."
Jean-Baptiste Urbain : Comment avez-vous accueilli l'idée du réalisateur Ron Howard de faire ce film ?
Nicoletta Mantovani : L'idée est venue de la maison de disque Universal/Decca pour célébrer le 10e anniversaire de sa disparition. Ils ont impliqué les producteurs américains qui avaient fait le documentaire sur les Beatles, réalisé par Ron Howard. Quand je les ai rencontrés, je leur ai fait part de mon rêve : que ce documentaire soit réalisé par ce réalisateur. C'était difficile parce qu'il a un agenda particulièrement chargé, mais nous nous sommes rencontrés, on a discuté et il a accepté de le faire. Ce qui moi, m'a convaincu, c'est que, outre sa carrière, Ron Howard est quelqu'un avec une âme extrêmement gentille, comme celle de Luciano. Et puis, il ne connaissait pas tant que ça l'opéra. Ainsi je me suis dit que ce sera un film ouvert à toutes et à tous, pas seulement aux fans de l'opéra.
Une fois fini, quand vous avez vu le résultat, qu'avez-vous ressenti ?
Ce n'était pas facile, parce que l'on parlait également de ma vie. Et lorsqu'on se voit sur écran, on se dit : « oh, j'aurais du dire autre chose... » mais en fin de compte, c'est un film qui rend vraiment hommage à Luciano Pavarotti, en tant qu'artiste, mais aussi en tant qu'être humain, et c'est ce qui me tenait vraiment à cœur. Et c'est un film capable de vous toucher. Donc il y a eu beaucoup de bonheur pour ce résultat très positif, et puis de la nostalgie également, parce que j'ai vu tout ce qui était et qui n'est plus aujourd'hui.
On découvre l'homme derrière la voix, en particulier avec des films de famille qui proviennent pour la plupart de vos archives. Est-ce vous qui teniez ce caméscope avec des images jamais vues, inédites, des images exhumées pour vous ?
Quand Ron Howard a accepté le projet, avec mon équipe nous avons décidé d'ouvrir nos archives et de lui donner accès à tout. En ce qui concerne les images, je me rappelle très bien, nous étions en vacances, il y a très longtemps, il n'y avait pas de téléphone portable, mais on nous avait offert cette caméra, le dernier petit gadget, et on s'amusait à tout filmer. Et puisque nous étions ensemble 24 heures par jour, on faisait beaucoup de jeux ensemble, on jouait aux cartes, on allait nager, et on jouait à un jeu de questions-réponses. Mais de sa part, ce jeu est devenu un témoignage incroyable, parce que nous étions très détendus et bien loin du personnage public, et cela faisait ressortir tout ce qu'il avait en lui.
Il y a des sujets abordés qui ne sont pas toujours évidents : la première famille et les filles de Luciano, son divorce et les images d'archives à Modène chez vous juste après... Tout cela semble être évoqué dans le film de manière libre. C'était important pour vous de laisser à Ron Howard une liberté de regard ?
Évidemment. Dès que vous avez la chance qu'un réalisateur oscarisé accepte de faire un film sur votre mari, on est obligé de lui octroyer une certaine liberté. Et cela fait partie du contrat de confiance qu'on a eu envers ce réalisateur. C'est vrai qu'il y a sa première famille, qui a fait partie de la vie de Luciano plus longtemps que moi, c'est évident ! Et bien entendu, c'est quelque chose que Luciano aurait voulu dans ce documentaire. Pour moi, c'était juste. D'ailleurs, Ron Howard saisit le regard de toutes les femmes qui ont aimé Luciano Pavarotti, de toutes celles et ceux qui ont été à ces cotés, et ce faisant, il a fait le portrait d'un homme qui a été porté par la passion dans tout ce qu'il faisait.
Regarder certains moments difficiles aujourd'hui, cela m'arrache presque un sourire, car une histoire comme la nôtre n'aurait pas été considérée de la même façon aujourd'hui. À l'époque, c'était un grand scandale, mais nous étions tous les deux et Luciano était celui qui me protégeait. Quand je regarde notre histoire, je ressens encore cette souffrance, mais aujourd'hui nous vivons dans une autre époque. Le monde a radicalement changé en seulement 15 ans.
Vous savez, nous étions un couple qui s'aimait beaucoup, Luciano a toujours été le pilier, mon roc, mon ange gardien, et me stimulait pour que je vois la vie avec un regard positif. Il a toujours souhaité mon bonheur, mais c'est ça l'amour : souhaiter le bonheur de l'autre.
Je voudrais que l'on revienne à ces vidéos où vous lui posez des questions, il vous regarde avec un air amoureux, et vous lui demandez : « De quoi voudrais-tu qu'on se souvienne ? » Il ne parle pas de la musique, il ne parle pas de chant ni de l'opéra. Il dit : « Que j'ai été un bon père, un bon mari et un bon camarade... »
Oui, c'était important pour lui. Luciano était un homme d'une grande valeur, il tenait beaucoup à la famille et à ses amis, à celles et ceux qui l'entouraient. Et c'est le souvenir qu'il voulait que l'on garde de lui. Ron Howard a fait un travail exceptionnel pour aller dans ce sens en faisant le portrait d'un homme aux sentiments extrêmement profonds, au grand cœur, prêt à porter son aide à toutes celles et ceux qui la lui demandaient. Il a beaucoup œuvré pour les enfants dans le monde entier, les victimes de guerres, comme lui-même l'a été. Ron Howard a été en mesure de démontrer tout cela dans ce film.