Colloque "40 ans des Fêtes de la musique" : Une petite idée qui a fait le tour du monde

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Colloque "40 ans des Fêtes de la musique" : Une petite idée qui a fait le tour du monde

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La fête de la musique a 40 ans
La fête de la musique a 40 ans
© Getty - urbazon

La Fête de la musique a 40 ans ! Au cours d'une journée d'études organisée par le ministère de la Culture, témoins, chercheurs et acteurs contemporains ont retracé la trajectoire et l'impact d'une "petite idée" devenue l'un des rendez-vous culturels et artistiques les plus importants de l'année.

40 ans, ça se fête. L'occasion pour le Comité d'histoire du ministère de la culture d'organiser le 16 juin une journée de réflexion, en partenariat avec l'Opéra-Comique, sur le phénomène de la Fête de la musique. Une mise en perspective nécessaire selon ses organisateurs, pour un évènement qui s'est transformé, au fil du temps, en un rendez-vous culturel de première importance en France, avec des déclinaisons sur quasiment tous les continents à travers le monde, et qui a su s'adapter à toutes les mutations de la société. Une mise en perspective d'autant plus opportune, puisque la Fête de la musique reprend cette année après deux années marquées par la crise sanitaire, sous le slogan "Refaites de la musique".

L'Opéra-Comique n'a pas été choisi au hasard pour accueillir cette journée de réflexion, comme le rappellent Louis Langrée, son nouveau directeur, et Maryvonne de Saint Pulgent, présidente du Comité d’histoire du ministère de la Culture et organisatrice de cette journée, dans leurs discours introductifs. Le théâtre a donné ces lettres de noblesse à la culture populaire, comme l'a fait la Fête de la musique plusieurs siècles plus tard.

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"Elle a un peu transformé le monde"

Parmi les moments marquants du colloque, l'intervention de Jack Lang, actuel président de l'Institut du Monde Arabe, et ministre de la Culture du gouvernement Mitterrand à l'époque. Il évoque cette journée du 21 juin 1982 comme de l'"un des plus grands tracs de [sa] vie." "Je n'imaginais pas que cette petite idée, née en février 1982 d'un remue-ménage avec Maurice Fleuret et Christian Dupavillon, entrerait plus tard dans l'histoire", a -t-il déclaré.

Il se rappelle de l'enthousiasme des amateurs dans toute la France, descendus dans la rue pour faire de la musique sur la place publique. Un enthousiasme qui a dépassé de loin ce qu'il espérait avec son équipe, Jack Lang a souligné les grands principes qui ont inspiré cette initiative dès ces débuts : amateurs ou professionnels, tous les citoyens participent au même titre, et toutes les musiques ont droit de cité dans leur plénitude et leur dignité. Deux principes qui ont assuré la longévité et la popularité de la manifestation, selon son initiateur.

Le président de l'IMA en a profité pour rappeler les défis qui attendent la Fête de la musique, mais plus généralement le secteur culturel, aujourd'hui, malgré "l'inventivité des Français dans tous les domaines", et notamment "la mercantilisation progressive, la concentration des médias ou encore la privatisation rampante ou la dérégulation". Et a terminé en exprimant le souhait que l'art et la culture, la musique en particulier, fassent partie des fondamentaux à l'école, comme les mathématiques ou la lecture, et que les ministères de l'Education nationale et la Culture œuvrent dans ce sens main dans la main.

En réponse à l'intervention de Jack Lang, la ministre de la culture Rima Abdul Malak a parlé d'une initiative "qui a transformé la vie de millions d'amateurs en France et à travers le monde, donc, indirectement, elle a un peu transformé le monde". Et qui se retrouve face à de nouveaux défis aujourd'hui. A commencer par l'ascension des outils numériques, qui ont durablement modifié les pratiques musicales, des Français, changement accéléré par les deux années de crise sanitaire.  Et notamment auprès des jeunes : "Aujourd'hui, notre jeunesse passe 3h en moyenne par jour sur les écrans. Une forme de pratique, parfois de la musique, mais de manière plus isolée."

Il faudra répondre à cette fragmentation des pratiques et partir à la conquête de ces publics, a déclaré la ministre. En particulier en remettant la musique "au cœur de la vie des élèves, à l'école et hors de l'école". D'autant plus que la pratique instrumentale amateur reste une pratique particulièrement plébiscitée par les Français, renforcée ces dernières années par le numérique. Parmi d'autres chantiers cités, Rima Abdul Malak a parlé de l'accompagnement de l'innovation dans le secteur, de la transition écologique et de la parité entre les hommes et les femmes, les défis qui attendent le ministère "afin de construire l'avenir tous ensemble pour que cette Fête de la musique dure encore 40 prochaines années".

Au fil de l'actu
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" Elle a résolu la quadrature du cercle du Ministère"

Evidemment, le colloque a permis également de revenir longuement sur le contexte historique et politique qui a précédé la première édition de la Fête de la musique : d'un 'flash mob' en 1982, qui ne devait durer qu'une demi-heure en signe de soutien aux musiciens, à un événement planétaire célébré dans plus de 120 pays, et plus de 1000 villes sur tous les continents. Les collaborateurs de Maurice Fleuret à la Direction de la musique et de la danse de l’époque, Jean Carabalona et Alain Surrans, ont ainsi évoqué la mobilisation hors normes de la petite équipe qui entourait les initiateurs, Jack Lang et Maurice Fleuret, et qui devait remuer ciel et terre pour mobiliser amateurs et professionnels de descendre dans la rue pour montrer à quel point la musique est importante dans la vie des Français : en 1982, 5 millions de Français ont et pratiquent d'un instrument de musique, et un jeune sur deux s’y intéresse. Une prise de conscience qui provoque une onde de choc et une volonté «de le faire savoir».

Et dès le début, ce sont toutes les musiques qui sont invitées à la fête. Le pari n’était pas gagné, racontent les témoins, le mélange des genres faisait peur et même les médias ne cachaient pas leur scepticisme. Les institutions, le Ministère en tête, mais aussi des structures de formation, écoles et conservatoires, boudaient les musiques dites populaires, qui représentaient pourtant 80% des débouchés pour les musiciens.  Mais le premier soir est un « énorme succès », avec dans certaines villes moyennes, près de la moitié de la population qui est descendue dans la rue pour faire de la musique. Les chœurs de l’Opéra de Paris devant Garnier, Xenakis devant l’Ircam ou encore Jacques Higelin traverse Paris à bord d'un camion et des musiciens qui se sont joints à lui, cette première édition a été une surprise par l’ampleur de la mobilisation et l’inventivité dont ont fait preuve les participants, amateurs comme professionnels, ont raconté les témoins.

" La Fête de la musique a en quelque sorte résolu la quadrature du cercle du ministère de la Culture, à savoir ne pas devoir choisir entre démocratiser ou privilégier la création, selon le témoignage de Jean Carabalona, ancien collaborateur de Maurice Fleuret à la Direction de la musique et de la danse. Elle faisait les deux."

Relever les défis de demain

Abolir les frontières des arts mineurs et des arts majeurs, amateurs et professionnels, rendre l'espace public aux citoyens créateurs, on a entendu rappeler ces principes fondateurs qui ont fait de la Fête de la musique un phénomène aux influences multiples. Au delà des frontières, par exemple. Car peu après le lancement, le concept s'est internationalisé. A commencer par la Journée européenne de la musique en 1985- tricentenaire de la disparition de Bach, Haendel et Scarlatti, mais aussi bien au-delà des frontières européennes, en s'adaptant au contexte, aux pratiques et aux publics divers.  En guise de partage d'expériences, les intervenants d'Allemagne et des Etats-Unis, ont été invités à raconter de quelle façon la Fête de la musique s'est implantée dans leurs pays respectifs d'un point de vue économique, social et culturel.

Elle a durablement impacté les politiques culturelles aussi. Le journaliste Jean-Michel Djian, auteur de l'ouvrage 21 juin, le sacre musical des Français (Seuil, 2011), a évoqué l'importance de la Fête de la musique "dans la politique musicale et culturelle des institutions, qui a accéléré les initiatives institutionnelles et permis à de nombreux autres rassemblements populaires de voir le jour", telle La nuit blanche, les Vieilles Charrues, ou encore La Folle journée de Nantes, qui, selon l'auteur, n'auraient jamais pu exister sans elle. Sans oublier la portée politique de l'évènement, destinée à des publics éloignés de l'offre culturelle ou empêchés d'accès à la culture, qui a nourri tant d'initiatives.

Dans la dernière partie de la rencontre, deux questions principales ont marqué les interventions et les débats :  si la Fête de la musique est  restée fidèle à son esprit d'origine et quelles sont ses perspectives dans le monde d'aujourd'hui et de demain. A travers des regards croisés des artistes, acteurs culturels et universitaires, ainsi que des exemples de nouvelles pratiques et initiatives sur le terrain, la Fête de la musique a été mise en perspective face aux enjeux du monde qui change, et notamment par rapport à l'omniprésence du numérique y compris dans les pratiques culturelles et l'éducation, ainsi que par rapport à l'accès à la culture, en particulier dans le contexte de  l'éducation artistique et culturelle et des droits culturels.

Parmi les pistes évoquées pour l'avenir les intervenants ont notamment évoqué une nécessité pour la Fête de la musique de nourrir les pratiques musicales au delà du 21 juin et se mettre davantage en résonnance avec la société, et notamment à travers de plus fortes alliances avec des structures de formation de musiciens professionnels et amateurs, écoles de musique, conservatoires et associations, mais aussi des écoles, des EHPAD et du champs social. Pour paraphraser un des intervenants, Pascal le Brun Cordier, professeur associé à l’École des arts de la Sorbonne, le moment est venu d' "inscrire la fête de la musique encore plus nettement dans le cas d'une politique culturelle qui n'est pas uniquement une politique artistique qui s'intéresse à la musique, mais une politique culturelle qui prend en compte les grands enjeux de l'époque et en premier lieu cet enjeu de relation au monde vivant. Avec l'idée que par la musique se manifeste notre humanité."