Combien d’heures faut-il s’entraîner pour devenir musicien ?
Combien de temps et à quelle fréquence vous entraînez-vous ? Quelle que soit la réponse, vous pensez probablement que ce n’est jamais assez. Déculpabilisez : moins de temps à l'instrument n’est pas forcément une mauvaise chose, à condition que ce temps soit mieux utilisé.
On raconte que Charlie Parker, célèbre musicien de jazz, passait jusqu’à 12 heures par jour à travailler son saxophone. Un des plus grands pianistes du XXe siècle, Arthur Rubinstein, disait qu’il ne faut jamais dépasser quatre heures d'exercices quotidiens car si vous vous entraînez plus, il doit y avoir quelque chose que vous ne faites pas bien. Qui a raison ? Faut-il travailler tous les jours ? A-t-on le droit de s’accorder des périodes « sans » ? Y a-t-il une recette miracle que l’on peut appliquer pour un résultat assuré ? En réalité, la réponse à cette question est bien plus nuancée. Commençons par décortiquer quelques idées reçues.
1. Les musiciens ont besoin de s’entraîner tous les jours
Vrai. Un peu comme pour le sport, la condition technique dépend de la condition musculaire que l’on obtient par l'exercice. La posture et l’aisance dans le jeu ou au chant demandent de l’endurance physique. Tout cela exige du temps : la forme physique n'est pas une question de semaines, mais d'années. Si vous voulez arriver à maîtriser un instrument ou développer votre voix, il faut faire le choix d'un marathon plutôt que d'un sprint. Il faut être patient et régulier. Amandine Beyer, violoniste baroque et fondatrice de l'ensemble Gli Incogniti, ne laisse jamais longtemps son instrument de coté. « J'essaye d'en faire tous les jours, parce que si j'ai des périodes où je ne m’entraîne pas, je sens très vite la différence au niveau musculaire. De toute façon, l'instrument me manque, ce qui arrange vite les choses. »
2. Il y a un minimum d’heures d’exercices à assurer quotidiennement
Pas si simple. Cette variable dépend de l’instrument, de votre niveau et de la qualité de votre pratique, cette dernière étant peut-être la première à interroger. Mieux vaut une demi-heure bien utilisée que cinq heures désinvesties. En clair, si vous travaillez de manière efficace avec une concentration optimale et des objectifs bien définis, vous aurez plus de résultats que si vous enchaînez vos gammes trois heures d’affilée tout en réfléchissant au menu de votre dîner entre amis.
De plus, la fatigue musculaire n’est pas la même pour les instrumentistes et pour les chanteurs, votre voix - c’est un muscle - risque de s’abimer si vous tirez trop sur la corde (vocale). « La technique vocale demande beaucoup moins d'investissement en terme de temps passé à faire les exercices techniques, que la technique digitale des pianistes, par exemple, parce que la voix se fatigue vite. Je n'ai jamais travaillé ma voix pendant des heures, mais d'un autre coté la voix s'entretient tout le temps, rien qu'en parlant » témoigne l'artiste lyrique Marc Mauillon.
3. On ne peut jamais en faire trop
Faux. Si vous préparez un concours ou une audition, vous risquez de passer le seuil du raisonnable sous l'effet du stress. Mais c’est d’abord à vous de connaître vos limites. Comment le sait-t-on ? C’est simple, dès qu’on commence à avoir une gêne ou une douleur, au niveau de la posture ou de la position de l’instrument, dans les doigts ou dans la main, ou que l’on a l’impression que nos doigts n’obtempèrent plus, il faut penser à se reposer ou même s’arrêter. Il en est de même pour l'embouchure des instrumentistes à vent, et encore plus des cordes vocales.
Il faut être très vigilant, parce qu’à force d’aller au-delà de ce que notre corps accepte de faire, on peut se faire très mal, voire mettre en péril notre avenir de musicien. En développant par exemple la dystonie, ou la "crampe du musicien", une contraction musculaire incontrôlable qui est un mal assez répandu parmi les instrumentistes professionnels. Un exemple fameux est le compositeur Robert Schumann qui a laissé de coté sa carrière de pianiste après une dystonie musculaire provoquée par un petit étireur installé sur son annulaire.
4. Les musiciens professionnels n’ont plus besoin d'exercices
Faux. Si vous pensez que vos années de pratique seront récompensées par une technique acquise à tout jamais, sachez que rien n'est jamais gagné. Les concertistes professionnels continuent à travailler, pour la plupart quotidiennement, mais leur pratique change, les objectifs ne sont plus les mêmes. « Je travaille moins qu’avant, témoigne Amandine Beyer. Mais je travaille mieux, et de façon plus appliquée, parce que mon instrument fait partie de mon quotidien : je joue en orchestre, comme soliste et j’enseigne. Les acquis techniques et les automatismes sont toujours là, mais avec l’âge je perds en concentration et en mémorisation. Il me faut donc chercher les stratégies efficaces pour obtenir un résultat en moins de temps, être créative pour garder l’envie et la motivation toujours aussi vives. »
5. On ne peut pas travailler son instrument sans l’instrument
Vrai et faux. Si vous êtes au début de votre parcours, vous avez encore beaucoup de choses à intégrer concernant les techniques de jeu ou de chant et forcément, c’est mieux en pratiquant. Plus vous franchissez des obstacles techniques, plus votre jeu se concentre sur l’interprétation et plus vous aurez besoin de travailler "sur table", à écouter de la musique, à vous documenter, à réfléchir votre approche, même à en discuter avec vos collègues.
Pour les chanteurs, par exemple, le travail "sur table" est même une étape incontournable : « Toute la préparation de la musique vocale se fait sans chanter : le travail sur le texte, la traduction, l’articulation et la mémorisation sont les étapes qui précèdent la mise en voix d’un air par exemple », explique Marc Mauillon. "Lire" ou "visualiser" la partition dans sa tête peut être un excellent moyen pour peaufiner son interprétation ou consolider la mémorisation. Donc, plus de prétexte du voisinage intolérant : à vous de jouer maintenant, même en silence !
Suzana Kubik