
La question peut nous sembler anodine mais sa réponse nous invite à retracer l’histoire même de l’orchestre et son évolution à travers l’histoire de la musique.
L'orchestre tel que nous le connaissons aujourd’hui a été au cœur de la musique occidentale depuis près de trois siècles. Il est l'un des ensembles essentiels de la musique classique et son répertoire constitue bon nombre des plus grands chefs-d’œuvre de la musique occidentale. Mais si l’orchestre est une institution familière, il est néanmoins difficile de répondre même à la plus simple des questions concernant sa forme, et plus précisément sa taille.
En 1788 Wolfgang Amadeus Mozart signe sa célèbre Symphonie no.40 pour un orchestre d’environ 35 musiciens, dont une flûte, deux hautbois, deux clarinettes, deux bassons, deux cors et un ensemble cordes. 122 ans plus tard, le 12 septembre 1910, Gustav Mahler dirige la création de son immense Symphonie no.8. Surnommée la symphonie « des Mille », elle présente un effectif de plus de 1000 interprètes, dont un orchestre d’environ 150 musiciens et plusieurs centaines de choristes.
Ces œuvres sont toutes deux composées pour des orchestres dits « symphoniques » mais pourtant ces ensembles ne se ressemblent point : la taille des cordes seules de Mahler dépasse largement la taille de l’orchestre entier de Mozart. Alors, combien y a-t-il de musiciens dans un orchestre ? Il y a autant de réponses à cette question qu’il y a d’orchestres et d’œuvres pour orchestre. Il serait ainsi mieux de demander « que détermine la taille d’un orchestre ? »
De la Renaissance à l’orchestre « classique »
À l'aube du XVIIe siècle, il n’existe pas d'ensemble à l'image de l'orchestre. Les premiers « orchestres » sont plutôt des ensembles d’instruments divers, principalement assignés à des rôles d’accompagnement à l’opéra et au théâtre. Les partitions d’ensembles indiquent rarement une instrumentation précise, ni le nombre d’interprètes. En 1607, pour son célèbre opéra L’Orfeo, le compositeur italien Claudio Monteverdi sera l’un des premiers compositeurs à noter une sélection précise d'instruments, arrangés en groupes. L'opéra de la Renaissance posera la première pierre des fondations de l'instrumentation orchestrale.
Les ensembles d'opéra et de théâtre deviennent progressivement plus formels à mesure que des théâtres de cours aristocratiques, puis des opéras publics, sont créés. Les paramètres de l'orchestre ne sont alors pas encore décidés mais une chose semble néanmoins se concrétiser : les cordes sont au cœur de l'orchestre, autour desquelles sont ajoutés des vents et un clavier continuo. La transformation de ces ensembles instrumentaux en orchestres commence notamment en France vers le milieu du XVIIe siècle, mais aussi en Italie et en Allemagne à l’Ecole de Mannheim, avant de se propager à travers l'Europe. Un siècle plus tard, les plus grandes villes et cours royales affichent chacune leur propre ensemble qu’ils nomment « orchestre » (ou qui ressemblent à des orchestres sans porter le nom).
Cependant, la taille et la constitution instrumentale des orchestres varient en fonction de conditions autant pratiques que financières. Les orchestres pour des oratorios sont habituellement plus grands que les orchestres interprétant des symphonies, qui sont à leur tour plus grands que les orchestres de concertos. D'autres nuances séparent les orchestres par pays : les orchestres français ont tendance à avoir plus de violoncelles que de basses, et les orchestres italiens plus de basses que de violoncelles.
Ce n’est qu’avec la diffusion internationale au cours du XVIIIe siècle de compositeurs et d’œuvres pour orchestres qu’une idée précise de la forme de l’orchestre se concrétise progressivement à travers l’Europe. L'instrumentation se standardise notamment à travers les œuvres composées pour l’orchestre, dont notamment les symphonies de Haydn, Mozart et Beethoven. Ce sont ainsi les compositeurs, et plus précisément leurs œuvres pour orchestre, qui déterminent la taille et les composants de l’orchestre au cours du XVIIIe siècle.
L’orchestre du XIXe siècle : toujours plus grand
Les évolutions et révolutions technologiques du XIXe siècle annoncent de grands changements pour l’orchestre "classique" de l'époque. Les avancées de la fabrication instrumentale permettent à de nouveaux instruments de rejoindre la famille des bois, dont la flûte piccolo, le cor anglais, la clarinette basse et le contrebasson.
L’arrivée des pistons chez les cuivres déclenche une croissance rapide de cette famille dans la musique symphonique. Arrivent également le tuba et le trombone, ce dernier jusqu’alors souvent limité aux contextes de la musique liturgique. Cette croissance des vents, sans oublier la montée en puissance de la percussion, nécessite un agrandissement de la famille des cordes afin de retrouver un juste équilibre entre les différentes sections de l’orchestre.
À cela s'ajoute l'agrandissement général des salles de concert. Alors que les premiers orchestres jouent principalement dans des cours royales et les théâtres pour un public privilégié, ils se retrouvent au XIXe siècle dans des contextes sociaux plus variés, ouverts à un public plus large dans des salles de concert plus grandes, nécessitant ainsi une plus grande force sonore.
Si les bases de l’orchestre sont déterminées par les compositeurs du XVIIIe siècle, elles seront réinventées par ceux du XIXe, dont Beethoven, Brahms, Wagner et Mahler. Ces derniers porteront l’orchestre symphonique vers de nouvelles ampleurs de taille et de complexité musicale sans précédent.
L’orchestre du XXe siècle : une question d’argent
La taille d’un orchestre dépend principalement de la bonne santé de l'origine de son financement. Nombreux sont les orchestres aux XVIIIe, XIXe et XXe siècles obligés de réduire leur effectif ou même de se dissoudre suite aux disruptions sociales ou économiques de l'époque (révolutions, réformes, guerres, krach financiers…).
Au début du XXe siècle, les orchestres symphoniques sont au plus grand, mieux financés et mieux formés. Par conséquent, les œuvres pour orchestre sont plus grandes et plus ambitieuses. Mais les bouleversements politiques et les empires brisés à la suite des deux guerres mondiales secouent les fondements de l'orchestre en tant qu'institution.
Après une période de croissance extrême au XIXe siècle, le XXe siècle annonce une réduction majeure de la taille de l'orchestre professionnel et de ses structures de soutien traditionnelles. Les compositeurs se voient ainsi contraints d'écrire pour des forces plus modestes, pour des raisons plus économiques qu'esthétiques.
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les petits orchestres de chambre ainsi que les orchestres dits « sinfonietta » (composés en moyenne d’un seul représentant de chaque instrument de l’orchestre) gagnent en popularité en raison de leur petit effectif moins coûteux. La croissance des orchestres symphoniques stagne au courant du XXe siècle pour rester en moyenne autour de 80 musiciens.
Mais les forces orchestrales varient considérablement encore aujourd’hui, selon de nombreuses conditions, dont l'économie générale, la taille et l'acoustique de la salle, les souhaits particuliers du chef ou d’une tradition locale mais surtout le répertoire. Il n’existe donc pas un seul orchestre mais plutôt des orchestres, à choisir selon le compositeur : l’histoire de l'ensemble est ainsi celle de ses instruments et de leur usage à travers les trois derniers siècles.