Plus de 500 choristes chantent dans une trentaine de chorales inclusives en France. Alors que les projets se multiplient, de nombreuses initiatives n'aboutissent pas par manque d'encadrement. Comment se lancer dans la direction d'une chorale inclusive ?
Monter une chorale mêlant personnes empêchées et personnes valides, travailler ensemble sur un répertoire commun, c'est le concept des chorales inclusives. Maisons de retraite, foyers de vie, espaces culturels, associations... les professionnels de santé sont unanimes sur le bénéfice apporté par le chant choral aux résidents, personnes âgées ou atteintes de maladies dégénératives, personnes en situation de handicap ou en exclusion sociale. Entraide, compréhension mutuelle, stimulation cognitive ou motrice, lien social, le partage à travers le chant apporte autant aux personnes valides qu'aux personnes fragiles.
A l'initiative du mouvement qui a démarré il y a une quinzaine d'années et qui compte aujourd'hui plus de 500 choristes sur tout le territoire dans plus de 30 chorales, la cheffe de chœur et psychologue Micha Stafford continue de recevoir des propositions de projets quotidiennement, notamment au sein de l'association Au Choeur de la ville, dont elle est la fondatrice.
« Chaque projet est différent en fonction du public auquel il s'adresse, explique Micha Stafford. Mais tous sont basés sur la mixité entre personnes valides et personnes fragiles, une mixité qui permet d'une part une ouverture vers l'extérieur des personnes empêchées et de l'autre une meilleure compréhension du handicap et de l'exclusion par les personnes valides. »
Mais alors que les projets se multiplient, certains n'aboutissent pas car il est difficile de recruter des chef de chœur, même si, selon Micha Stafford, les chorales inclusives représentent « un vivier d'emplois pour les professionnels du chant choral, pérennes et plutôt bien rémunérés.»
L'empathie plus importante que la formation
Manque de visibilité ou peur de ne pas savoir gérer les publics dits empêchés ? Catherine Coroller encadre quatre chorales inclusives en région lyonnaise. Elle devra bientôt déménager et a essayé de trouver des personnes pour la remplacer. Sur les quatre chorales, deux seront amenées à disparaître par manque de candidats. « J'ai rencontré plusieurs chefs de chœur. La plupart s'imagine qu'il faut être diplômé de psychologie ou du moins avoir une formation en musicothérapie pour encadrer une chorale inclusive. Or, ce n'est vraiment pas la condition première pour bien faire ce travail. »
Cette ancienne journaliste s'est lancée dans la direction de chœur après une première expérience avec les résidents d'une EHPAD à Lyon. L'expérience qui l'a tellement enthousiasmée qu'elle en a créée trois autres depuis.
« J'ai toujours fait de la musique, du piano, mais je n'avais aucune formation de chef de chœur, ni de psychologie, d'ailleurs. Evidemment, en fonction des populations que l'on rencontre, il faut s'adapter, mais le personnel des structures d'accueil est là pour nous aider. Par contre, c'est un métier qui exige avant tout de l'empathie et de la bienveillance envers des personnes parfois très malades, vieillissantes ou dépendantes. Mais l'enthousiasme et le bonheur qu'on reçoit au retour sont un moteur essentiel. »
Catherine Coroller s'est entièrement consacrée à cette activité, et a pu se former depuis avec Micha Stafford, entre autres. Aujourd'hui elle travaille avec les associations France- Alzheimer et Habitat et humanisme. Ce sont deux contextes différents : les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et les personnes en exclusion sociale placées en insertion dans le cadre des foyers d'accueil tenus par Habitat et humanisme. « Qu'il s'agisse des aidants des personnes malades ou des bénévoles qui viennent chanter avec les personnes fragiles, tous sont très motivés par l'entraide et la solidarité qui anime le travail en groupe. »
Un répertoire adapté au profil des participants
Au-delà du plaisir et du partage, que Micha Stafford met en avant comme étant les premiers objectifs de son travail, la psychologue tient à souligner l'importance des bénéfices thérapeutiques du chant dans différentes pathologies rencontrées. Un travail de longue haleine où on avance à petits pas. « C'est seulement à cette condition-là que la pratique chorale peut créer du lien social et déployer ses vertus thérapeutiques. Autrement, pour les personnes qui ne sortent jamais de ces institutions - foyers de personnes âgées, centres d'accueil des personnes porteuses de handicap - ce type d'intervention ne laisse aucune trace. Il faut les impliquer dans une initiative participative et travailler dans la durée. Avec un objectif à la clé : un concert qui permet à la fois aux personnes valides et les personnes empêchées de monter sur scène ensemble. »
Mais pour y arriver, il faut un répertoire adapté. Stimuler, éveiller, impliquer, sans pour autant mettre en échec les participants, un équilibre délicat à trouver, selon Catherine Coroller :
« Parfois les chefs de chœur s'attendent à aborder les grandes œuvres du répertoire choral. Ce n'est franchement pas la priorité. Les chansons choisies, notamment auprès des personnes atteintes des maladies dégénératives, doivent être abordables, mais aussi évocatrices, elles doivent appartenir à un répertoire commun et parler aux régions de la mémoire qui sont encore actives chez ces personnes. Le fait de pouvoir chanter les paroles, et même en apprendre de nouvelles, pour des personnes atteintes d"Alzheimer qui vivent dans une angoisse permanente d'une mémoire en déclin, représente un moteur inestimable. »
Une implication régulière et inscrite dans la durée
« Il n'est pas toujours évident de convaincre certaines structures d'accueil des bénéfices d'une chorale inclusive, notamment lorsqu'elles évoquent les budgets serrés, raconte Catherine Coroller. Certaines préfèrent se limiter à des interventions ponctuelles, alors qu'il n'y a que la régularité des séances réparties sur les périodes longues qui peut être bénéfique, et notamment dans sa dimension thérapeutique, quel que soit le type de participants. » Un constat que Micha Stafford a pu observer dans de nombreux exemples au fil de ses projets. Parmi les plus marquants, l'histoire d'un jeune polyhandicapé, qui est venu assister à la répétition de la chorale d'enfants où chantait sa sœur :
«Quand on a commencé à chanter, j'ai remarqué que ses yeux ont arrêté de balayer et que ses mains se sont légèrement détendues. Mue par une intuition, j'ai proposé à sa mère de l'inscrire aussi. Le résultat : au bout de quatre ans, alors qu'au début il était non verbal, il chantait toutes les paroles et de manière juste, et a participé au concert de fin d'année avec nous. D'une part, le chant l'a stimulé, et de l'autre part, ses parents se sont rendu compte de l'opportunité à saisir et l'ont sur-stimulé à leur tour. Et il a progressé. »
Une stimulation d'autant plus importante qu'« une fois qu'on passe dans une structure pour adultes, il n'y a plus de rééducation, plus d’orthophonistes, plus de psychomotriciens. D'où l'énorme importance de ces projets qui par leur résultats, font figure de prise en charge d'une part, et sensibilisent le personnel encadrant au besoin d'enrichir le quotidien extrêmement routinier de résidents, » constate Micha Stafford.
Depuis cette rentrée, les chorales inclusives intéressent les scientifiques : Micha Stafford pilotera plusieurs recherches avec différents universités partenaires sur les populations atteintes de la maladie de Parkinson et des personnes autistes.
A venir :
La formation Handicap à Paris du 20 au 22 octobre 2018 puis 19 janvier 2019
La formation pour les personnes âgées : Lyon du 16 au 18 novembre et le 2 février 2019
Plus d’info sur les contenus : https://www.auchoeurdelaville.com/copie-de-les-chorales-inclusives