Claudio Monteverdi : Les Vêpres de la Vierge
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Sous la direction de Leonardo Garcia Alarcon, le Choeur de Chambre de Namur, la Cappella Mediterranea et la Maîtrise de Radio France interprètent les Vêpres de la Vierge de Claudio Monteverdi. Concert donné le 17 octobre 2021 à l'auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique.
- Invitatorium (Invitatoire) : Versiculum (verset) : « Deus, in adjutorium meum intende » en plain-chant et Responsorium (répons) : « Domine ad adjuvandum me festina
- Psalmus I : Dixit Dominus
- Concerto : Nigra sum
- Psalmus II : Laudate pueri
- Concerto : Pulchra es
- Psalmus III : Lætatus sum
- Concerto : Duo seraphim
- Psalmus IV : Nisi Dominus
- Concerto : Audi colum
- Psalmus V : Lauda Jerusalem
- Sonata sopra Santa Maria
- Hymnus : Ave Maris Stella
- deux Magnificat
Les Vêpres de la Vierge : une réponse à la musique du XVIe siècle
Une exécution des Vêpres de la Vierge de Claudio Monteverdi est toujours un événement, et ce pour plusieurs raisons. Il s’agit d’une part d’un document exceptionnel : une œuvre complète, très précisément publiée et imprimée, qui met en valeur toutes les possibilités musicales du début du XVIIe siècle (chœurs, orchestre, solistes vocaux et instrumentaux, danses, exégèse en musique de textes aussi poétiques que sacrés, etc.). D’autre part, Monteverdi utilise en 1610 un langage récemment forgé, qui entend exploiter toutes les possibilités musicales (silences, dissonances, vocalises, modes, etc.) pour conformer les notes au texte. En effet, si la musique du XVIe siècle est le siècle de l’Institution harmonique (Gioseffo Zarlino, 1559) avec ses règles de consonances aussi strictes qu’indispensables, celle du XVIIe siècle entend s’émanciper de l’emploi restrictif de la dissonance pour expérimenter. Caccini et Monteverdi, sous la bannière de la seconda prattica, décident de façon soudaine de sortir la musique de l’objectivité qui la restreignait.
Posons la question de manière outrageusement simpliste : comment exprimer une poésie déchirante, comment exprimer toutes les richesses d’un mot bouleversant, si tous les membres de l’ensemble vocal doivent d’abord chercher à s’harmoniser parfaitement entre eux ?
Cette première décennie du XVIIe siècle est pour Monteverdi une réponse à cette question. Il compose son Cinquième livre de madrigaux en 1605, son Orfeo en 1608 et ses Vêpres en 1610. Ces trois salves musicales allaient, quasiment à elles seules, déterminer le cours de l’histoire de la musique jusqu’à aujourd’hui, et donner vie à une musique dramatique, qui s’autorise à se mettre en scène toute seule. Si Orphée fait résonner ses pas sur les parois du dantesque gouffre des Enfers, les violons puis les cornets vont lancer des fusées de notes qui nous font comprendre, avec l’écho reproduit musicalement, l’immensité des lieux. Si dans un madrigal, le chœur souffre d’une piaga d’amor (« blessure d’amour »), alors le flot de notes s’arrête après un « ah » quasiment soupiré.
Comment sont racontées les Vêpres
Si nous nous conformons à la publication vénitienne de 1610, nous avons entre les mains une Messe à six voix, de la musique pour le service de prières du soir, des Vêpres et une sonate. Monteverdi a choisi des textes sacrés associés à la Vierge Marie et crée ainsi un corpus de pièces utilisables toute l’année à l’occasion de célébrations mariales. Réduire ce corpus au simple terme « vêpres » est en réalité un peu restrictif. Comme souvent dans l’histoire de la musique, nous pouvons soupçonner Monteverdi d’avoir composé ce recueil pour démontrer sa maîtrise musicale, à un moment où il venait de se voir refuser le poste de musicien de chapelle à Mantoue en 1608.
Écouter les Vêpres avec cette idée en tête n’est peut-être pas une mauvaise chose : chaque détail musical, aussi profondément spirituel soit-il, montre un compositeur soucieux d’illustrer les écritures saintes avec tour à tour un style « traditionnel » polyphonique et consonant, et un stile moderno qui met en valeur l’expressivité nouvelle des voix solistes.
L’exemple le plus frappant de la juxtaposition des styles se trouve dans les premières notes : le « Deus in adjutorium meum intende » est entonné en plain-chant. Le chœur répond de la même manière, sur un même accord, avec la fanfare instrumentale signature de la famille de Gonzague en surimposition. S’ensuit une ritournelle au caractère dansé. En quelques secondes, Monteverdi emploie un foisonnement de techniques qui conditionnent l’écoute pour le reste de l’œuvre.
En plus du cantus firmus de la Renaissance (chant mélodiquement simple, en valeurs longues, porteur explicite du Texte), Monteverdi explore les différentes textures chorales : le « Dixit Dominus » (« Le Seigneur dit : assieds-toi à ma droite ») est en lignes imitatives fuyantes, et le « Nisi Dominus » (« Si le Seigneur ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain ») répond avec la majesté d’un double chœur à cinq voix (toujours en surimpression du cantus firmus).
Dans le « Laudate Pueri » (« Louez, enfants, le Seigneur »), deux voix intérieures conduisent à la voix la plus aiguë, pendant que deux voix plus graves font fleurir le « Et super caelos gloria ejus » (« Sa Gloire au-dessus des cieux »). Le « Laetatus Sum » (« Je suis en joie lorsque l’on m’invite dans la maison de l’Éternel ») conjugue deux styles : un contrepoint dense avec imitation qui débouche sur des arabesques complexes chantées sur un même accord immuable et grave. Le « Lauda Jerusalem » (« Louez le Seigneur, Jérusalem, car le Seigneur a fortifié vos barrières ») est à six voix et s’articule autour du cantus firmus tenu par les ténors ; Monteverdi les fait entonner seuls pour attirer notre attention sur leur partie. L’oreille finit par perdre la partie de ténor, consumée par une polyphonie plus dense sur « Non fecit taliter omni nationi » (« Il ne l’a pas fait avec d’autres Nations »).
Poésies anciennes d’amour
Les numéros solistes permettent à Monteverdi de décrire plus précisément le sens précis et la signification poétique et émotionnelle de chaque mot. Si le « Nigra Sum » (« Je suis noire, mais belle, c’est pourquoi le Roi m’a chérie ») et « Pulchra es » (« Tu es belle, mon aimée, tes yeux sont des colombes, terribles comme une armée rangée en bataille ») proviennent du Cantique des cantiques et tirent leur origine de poésies anciennes d’amour ; ils étaient à l’époque de Monteverdi déjà associés à la Vierge Marie. De plus, le fait de faire chanter à une voix seule le « Nigra Sum », après une explosion de musique chorale, provoque immédiatement de l’intimité.
Le « Duo Seraphim » (« Deux Séraphins criaient l’un à l’autre : Saint est le Seigneur ») est le seul texte qui ne soit pas associé à la Vierge. Les deux narrateurs sortent rapidement de leur calme et utilisent des procédés d’ornementation typiques et virtuoses pour clamer le mot saint. Monteverdi parvient à métamorphoser les mots en utilisant la technique de l’écho dans « Audi Coelum » (« Écoute, ô Ciel, mes paroles pleines de désir et remplies de joie », avec en écho : « J’écoute ! »). L’échange continue, et Marie est nommée médiatrice entre le ciel et la terre. Dans un dernier trait de génie, Monteverdi ajoute cinq autres voix sur le mot omnes (« tous »).
Monteverdi joue la carte de la diversité de textures dans l’« Ave maris stella » (« Nous vous saluons, étoile de la mer, féconde Mère de Dieu ») : l’ensemble est à huit voix, mais certaines disparaissent et réapparaissent. Il profite également de la présence d’instruments pour donner à entendre des ritournelles qui viennent divertir l’oreille en complétant le timbre des voix. Dans la Sonata sopra Sancta Maria (« Sonate sur le Sancta Maria »), les instruments se divisent en familles. Alors que nous nous résignons à écouter un numéro instrumental, la prière du « Sancta Maria » s’élève alors et n’en paraît que plus magnifique. Enfin, le Magnificat à sept voix est un extraordinaire exemple de construction dans la durée : Monteverdi conçoit un long numéro selon une alternance d’effectifs, et c’est dans cette alternance que se situe la tension jusqu’au « Sicut erat in principio » (« Comme il était au commencement »). L’Amen finale termine l’œuvre par une saisissante cascade, à la fois implorante, sereine, urgente et majestueuse.
Une exécution des Vêpres de la Vierge de Monteverdi est toujours un événement, avec une musique qui nous poursuit bien après la note finale, grâce à ce mélange de styles, de timbres et d’effectifs qui ne laisse aucun mot rester lettre morte.
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