Prokofiev : Pierre et le loup
Publié le
L'Orchestre philharmonique de Radio France sous la direction de Giedre Slekyte joue Pierre et le loup, oeuvre composée par Serge Prokofiev en 1936, avec Lambert Wilson en récitant. Concert enregistré le 15 juin 2019 à l'Auditorium de la Maison de la Radio.
Il était une fois Serge Prokofiev, petit garçon né en Russie à l’époque où un tsar – autrement dit un roi – la gouvernait. Ce grand pays était très lié à la France et à sa culture, c’est pourquoi Serge apprit très vite notre langue avec l’aide de sa nounou Louise. Il apprit tout aussi vite à jouer du piano car sa maman Maria Grigorievna, excellente pianiste, aimait lui faire entendre des morceaux de Beethoven et Chopin. Il faisait preuve d’un caractère affirmé, têtu et coléreux – qu’il garda toute sa vie –, et commença rapidement à composer. À l’âge de neuf ans il écrivit son premier opéra, Le Géant, d’après une histoire loufoque, puis à treize ans entra au Conservatoire de Saint-Pétersbourg. Il donna du fil à retordre à ses professeurs car il voulait toujours avoir raison ! Mais il obtint finalement tous ses diplômes et entama une carrière triomphale dans le monde entier, tant comme compositeur que comme pianiste – on disait de lui qu’il avait des doigts d’acier.
Il voyagea aux États-Unis et en Europe, spécialement en France d’où il écrivit un jour : « Je suis arrivé à Paris où je me plais énormément. (…) La vivacité des Français, leur rythme de vie, leur niveau de culture générale sont fascinants. » Il se lia d’amitié avec des musiciens français, entre autres Francis Poulenc avec lequel il partageait des parties de bridge ! Cette passion pour le jeu était d’ailleurs une composante essentielle de sa personnalité : il aimait particulièrement les échecs, la bataille navale, les patiences, le billard. De plus, ce sportif adepte de tennis et de natation se régalait avec la cuisine française.
Grand voyageur, il demeurait cependant un Russe dans l’âme, et en mars 1936, auréolé d’une gloire internationale, il revint définitivement dans son pays. La vie n’y était pourtant pas facile, car si les tsars en avaient été chassés en 1917 par le peuple, une autre sorte de « roi » avait pris le pouvoir : un certain Staline, qui se révéla très vite un dictateur. Imposant ses idées et interdisant qu’on le désapprouve, il opprimait les gens – même les compositeurs très connus comme Prokofiev. Cependant ce dernier réussit tout de même à composer d’innombrables chefs-d’œuvre – entre autres, Pierre et le loup.
Serge, un grand enfant
Ce conte, dont le texte fut écrit par Prokofiev lui-même, lui avait été commandé par Natalia Satz, directrice du Théâtre central pour enfants de Moscou. En effet, elle cherchait une œuvre musicale qui familiariserait la jeunesse avec les instruments de l’orchestre. Notre ami Serge se révéla l’homme idéal pour cette entreprise, car comme on l’a dit plus haut, il se comportait souvent comme un grand enfant : loufoque, joueur, impatient, ne supportant pas la contradiction mais avec une âme de poète… De plus il était très attiré par l’atmosphère particulière des contes : dès 1914 il avait mis en musique Le Vilain petit canard, la célèbre histoire d’Andersen ; et beaucoup plus tard, en 1944, ce serait le ballet Cendrillon… Mais revenons en 1936 : très inspiré, Prokofiev compose Pierre et le loup en une semaine. L’intrigue, racontée par un narrateur, est très simple : au cœur de la forêt, Pierre – malin petit garçon – est entouré d’animaux aux personnalités bien marquées : le chat narquois, le canard pataud (mais pas vilain, cette fois…), l’oiseau sautillant et le loup inquiétant. Le grand-père, bougon et grondeur, a interdit à Pierre de sortir de la maison à cause de l’effrayant prédateur ; oui mais voilà, il est si agréable de désobéir… Ce récit, aux thèmes universels, joue avec les oppositions : méchant/gentil, gros/petit, terre/ciel, et le contraste des caractères et des sonorités. Prokofiev l’a lui-même expliqué : « Chacun des personnages de ce conte est représenté par un instrument de l’orchestre : l’oiseau par la flûte, le canard par le hautbois, le chat par la clarinette staccato dans le registre grave, le grand-père par le basson, le loup par les trois cors, les fusils des chasseurs par les timbales et la grosse caisse, Pierre enfin par le quatuor à cordes. » Car n’oublions pas que cette œuvre avait un but éducatif ; c’est pourquoi le compositeur ajoute : « Avant l’exécution il est préférable de présenter ces divers instruments aux enfants et de leur jouer les leitmotive [c’est-à-dire les mélodies qui caractérisent les personnages]. De cette façon ils apprendront sans effort à identifier les différents instruments de l’orchestre. »
Une musique visuelle
On peut donc suivre très facilement toutes les péripéties de l’aventure ! D’autant que la musique est très visuelle – nous rappelant que Prokofiev a aussi composé des musiques de film. Par exemple, lorsque Pierre lance la corde pour attraper le loup, le violon joue une suite de notes rapides et descendantes ; quand les chasseurs traînent ce même loup à terre, ils sont accompagnés par des glissandi de clarinettes, assez ironiques et ridicules ; quand le pauvre canard est mangé par le loup (toujours lui !), sa mélodie est donnée aux cordes avec sourdines, résonnant tel un écho mortuaire… Mais comme dans tous les contes, tout se termine bien, et la marche finale, énergique, sonne triomphalement avec l’orchestre au complet.
Ainsi s’achève Pierre et le loup, qui dès sa création est acclamé dans le monde entier : partout on loue la fraîcheur et la spontanéité de la musique. En 1946, Walt Disney réalise un dessin animé, et on ne compte plus les innombrables enregistrements et mises en scène de ce conte… Alors une conclusion s’impose : même si Pierre et le loup ne se marièrent pas, ils firent beaucoup d’heureux et eurent beaucoup de succès !
Texte d'Anne Foisy
Artistes
- Orchestre
- Interprète