Ravel : La Valse (Orchestre philharmonique de Radio France / Mikko Franck)
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Mikko Franck dirige l'Orchestre philharmonique de Radio France La Valse, poème chorégraphique composé par Maurice Ravel en 1919 - 1920. Extrait du concert donné à l'Auditorium de Radio France le 21 décembre 2018.
Fille du sculpteur polonais Cyprien Godebski (qui réalisa notamment la statue de Mickiewicz à Varsovie et le portrait en médaillon ornant la tombe de Berlioz au cimetière Montmartre), petite-fille d’Adrien-François Servais (le « Paganini du violoncelle »), épouse en troisièmes noces du peintre catalan José Maria Sert, pianiste de grand talent ayant côtoyé Liszt dans son enfance, amie et inspiratrice de Coco Chanel, Misia Godebska (1872-1950) fut surnommée de son vivant « la Reine de Paris » (titre d’une exposition du musée d’Orsay qui lui fut consacrée en 2012). Mécène des Ballets russes et conseillère de leur impresario Diaghilev, c’est elle qui avait permis le maintien des costumes pour la création de Petrouchka de Stravinsky en 1911, en avançant 4 000 francs in extremis .
Le jeune Ravel a peut-être rencontré Misia (diminutif polonais de Maria) dans la classe de Gabriel Fauré des 1897, lui dédiant dix ans plus tard sa mélodie « Le Cygne » des Histoires naturelles. Il écrivit en 1910 Ma mère l’Oye pour les neveux de Misia, enfants de son demi-frère Cypa Godebski. C’est elle qui présenta Ravel à Diaghilev, prélude à la commande de Daphnis et Chloé pour les Ballets russes. En février 1920, six mois avant de devenir officiellement et religieusement Misia Sert, elle les reçut tous deux avec d’autres artistes dans son appartement de l’Hôtel Meurice à Paris. En 1962, peu avant sa mort, Francis Poulenc écrivit un article sur les Ballets russes pour l’Histoire de la musique de la Pléiade, dans lequel on peut revivre cette scène historique :
« Qu’il me soit permis d’évoquer ici une bien étonnante fin d’après-midi chez Mme Sert, l’égérie de Diaghilev, plus connue sous le nom de Misia. Cette Misia tant célébrée et peinte par Mallarmé, Renoir, Lautrec, Vuillard, était une amie intime de Ravel. Ravel, venant de terminer La Valse_, souhaitait la voir montée aux Ballets russes. Rendez-vous fut pris pour présenter, chez Misia, la partition à Diaghilev. Stravinsky assistait à l’audition et, tout jeune musicien, j’eus la permission de me cacher dans un coin du salon. Diaghilev arriva, flanqué de Massine et de son état-major habituel. Ravel, minutieux comme toujours, expliqua longuement quel était son dessein pour cette œuvre puis il joua La Valse à quatre mains [avec Marcelle Meyer]. Diaghilev écouta, le front soucieux, car tout de même, “Ravel c’était Ravel”, puis, la musique finie, il resta longtemps silencieux. Sachant que les sourds grognements, les jeux de monocle et de râtelier n’annonçaient rien de bon chez Diaghilev, je me faisais tout petit dans mon fauteuil, gêné d’assister à une telle scène. Sortant enfin du lourd silence qui pesait sur nous tous, Diaghilev dit avec beaucoup de respect mais aussi une implacable franchise : “Bravo, Ravel ! Bravo, c’est très beau, mais ce n’est pas un ballet. C’est le portrait d’un ballet. C’est trop court, trop résumé.” Le sort en était jeté. Misia, à qui La Valse était dédiée et dont Sert, son mari, devait faire la mise en scène, essaya vainement d’arranger les choses. Diaghilev resta inflexible. Étant donné qu’on n’est jamais parvenu à donner une chorégraphie à la hauteur de ce chef d’œuvre, cela prouve que Diaghilev, une fois de plus, avait raison_ ».
Dans un entretien antérieur, Poulenc livra également ce commentaire : « Ce qu’il y a eu d’extraordinaire, c’est que Stravinsky n’a pas dit un mot. RIEN ! Alors moi, j’étais sidéré. Et ça m’a donné pour la vie entière une leçon de modestie, car Ravel a repris sa musique tout tranquillement, sans se soucier de ce qu’on pouvait penser, et est reparti bien calmement. Voilà, cela vous explique la position Stravinsky-Ravel, Ravel-Stravinsky. A partir des Noces_, Ravel n’aima plus la musique de Stravinsky. Il n’aimait pas_ Œdipus-Rex_, il n’aimait pas tout cela. Et alors, évidemment, ils ne se voyaient plus jamais, jamais, jamais ». _
Envisagé des 1906 sous le titre Wien, le poème chorégraphique devra attendre l’hiver 1919-1920 pour voir le jour, et l’accueil en Ardèche d’un ami écrivain symboliste, André-Ferdinand Hérold (petit-fils du compositeur de l’opéra-comique Le Pré aux clercs). Apres une période de dépression due à la guerre et à la disparition de sa mère, Ravel séjourna seul dans cette propriété de Lapras, en y retrouvant la force de créer de nouveau. La première édition de la partie d’orchestre de La Valse porte l’indication suivante : « Des nuées tourbillonnantes laissent entrevoir, par éclaircies, des couples de valseurs. Elles se dissipent peu à peu : on distingue une immense salle peuplée d’une foule tournoyante. La scène s’éclaire progressivement. La lumière des lustres éclate au fortissimo. Une Cour impériale, vers 1855 ».
Ravel, déjà auteur des Valses nobles et sentimentales, rejetait toute interprétation en lien avec la Grande Guerre et la chute de l’Empire austro-hongrois, et déclarait : « J’ai conçu cette œuvre, comme une espèce d’apothéose de la valse viennoise, à laquelle se mêle, dans mon esprit, l’impression d’un tournoiement fantastique et fatal. » Selon David Lamaze, La Valse contiendrait, avec d’autres partitions de Ravel, un hommage musical à Misia, grâce aux notes mi et si, puis au la correspondant à la lettre A dans le système de notation germanique. En plus d’être un immense chef-d’œuvre, La Valse porterait-elle également le témoignage d’un tournoiement du cœur de Ravel ?
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