Kurt Weill : Youkali
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Barbara Hannigan chante et dirige l'Orchestre philharmonique de Radio France dans Youkali, Tango-Habanera extrait de "Marie Galante" de Kurt Weill. Extrait du concert donné le 28 mai 2021 à la Philharmonie de Paris.
Berlin, fin des années 20 : malgré le chômage, la ville était secouée d’un enivrant parfum de légèreté. Oubliées la défaite, les crises économiques et monétaires : mélange de luxe et de populaire, d’ouvriers insouciants et de bourgeois encanaillés, Berlin évoquait plutôt la Vienne du début de siècle. Les prostituées étaient mises à l’honneur par le peintre George Grosz, Marlène Dietrich naissait en ange bleu sous la caméra de Josef von Sternberg, et c’était l’heure des girls du Komische Oper et de l’Admiralpalast, des revues de Robert Stolz et de Franz Lehàr. D’où les acclamations enthousiastes de Hans Heinz Stuckenschmidt : « Éloge de la revue ! Elle nous enlève tous nos soucis, nous offre toute la beauté du monde, nous renvoie comme dans un miroir magique tous nos rêves et nos fantasmes. Nous, hommes d’une génération nouvelle, pour qui le théâtre à thèse ne procure plus de satisfaction satisfaisante, nous voyons en elle une nouvelle forme d’expression théâtrale. Plus libératrice que le théâtre littéraire et l’opéra, plus diverse que la variété et le ballet, elle est l’un des chemins qui conduisent vers le bonheur sensuel et parfait. Poètes et musiciens, faites des revues ! »
Quelques années plus tard, c’était au tour des chemises brunes d’investir les salles. Aryens et Juifs des Comedians Harmonists reçurent l’interdiction de travailler ensemble, Kurt Weill quitta précipitamment l’Allemagne et tenta d’en oublier jusqu’à la langue, ne se considérant même plus compositeur germanique. S’apprêtant à devenir citoyen américain, il fit un bref détour par Paris où avait été repris, en 1930 déjà, son Opéra de quat’sous. Là, il put assister à la première de ses Sept péchés capitaux, commande destinée aux Ballets de Balanchine sur un livret de Bertolt Brecht. Il fit aussi entendre sa nouvelle symphonie, terrifiant écho de la catastrophe mondiale. Il collabora avec Desnos et Cocteau, en 1934 composa une musique pour une pièce de Jacques Deval, Marie-Galante.
Tirée d’un roman du même auteur, cette pièce racontait l’histoire d’une fille issue de l’assistance publique, entraînée de force en Amérique du Sud, forcée de vendre son corps et regrettant son pays natal. Pour rentrer chez elle, elle devait accepter une mission d’espionnage. Pour le rôle de Marie, le directeur du Théâtre de Paris avait retenu Florelle, de son vrai nom Odette Rousseau ; appréciée sur les planches de l’Ambigu-Comique ou du Moulin rouge, la chanteuse avait incarné Polly Peachum dans l’adaptation cinématographique de L’Opéra de quat’sous par Pabst.
Par son érotisme questionnant la sexualité et la moralité de la société, l’écriture de Deval était propre à intéresser Weill, et celui-ci profita du sujet pour colorer la partition de références à la chanson française, aux negro-spirituals et à la musique d’Amérique du Sud. Son instrumentarium comprenait notamment un piano, une guitare, un banjo et un accordéon ; deux tangos illustraient une scène de dancing. Du Tango-Habanera fut tirée la chanson désormais célèbre de Youkali, publiée par Heugel en 1946 avec des paroles de Roger Fernay. Pour l’exilé qu’était Weill, cela faisait peut-être écho à sa propre histoire : « Youkali, c’est le pays de nos désirs. » Mais ce pays merveilleux, la France des années 30 ne sut totalement l’être, accueillant un de ses concerts d’ignobles injures antisémites.
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