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- Thomas Ospital, organiste en résidence à Radio France depuis 2016 (et titulaire du grand-orgue de Saint-Eustache à Paris), lance un défi à celui qui lui succède à partir de la saison 2019-2020 : Karol Mossakowski1 oct. 2019 • 1h 44
À propos du concert
Auditorium de la Maison de la Radio
Le
Peut-on s’affronter entre artistes ? La question paraît incongrue, surtout en ce qui concerne l’art musical. La joute, qu’elle soit amicale ou non, reste une tentative de dépassement, voire d’écrabouillage d’un virtuose par un autre. L’histoire de la musique raconte cependant une autre vision des choses, car tous les courants musicaux eurent leurs joutes. La raison est assez simple: rien n’est plus trépidant, pour un spectateur, d’être amené à la comparaison, à la mesure, au départage ; l’esprit humain est ainsi fait. L’un des paramètres majeurs de la musique est la notion de virtuosité, qui se rapporte directement à l’idée de technique. Et la technique peut, elle, être dissociée du sensible pour devenir mesurable. Ainsi effilé, l’art musical deviendrait-il un olympisme comme les autres ?
Force est de constater que les plus grands artistes prirent goût à l’art de la battle, comme on l’appelle dans certains lieux. Citons-en quelques-uns : Haendel et Domenico Scarlatti, qui furent proches dès leur rencontre à Venise, au tout début du XVIIIe siècle, se livrèrent à Rome à de nombreuses compétitions de claviéristes, qui les laissèrent égaux : à Haendel la supériorité à l’orgue, à Scarlatti le clavecin.
Ce sens de la confrontation fut davantage un prétexte à la raillerie chez Mozart, qu’on sait particulièrement moqueur dans ses lettres. Lorsqu’il fut opposé au fameux claveciniste Muzio Clementi, en décembre 1781, dans une joute au pianoforte organisée à Vienne par la cour de l’empereur Joseph II, il rapporta non sans déplaisir le « charlatanisme » de son adversaire dans une lettre à sa sœur : « Clementi est un ciarlattano, comme tous les Italiens. […] Ce qu’il fait très bien, ce sont les passages en tierces ; – mais pour cela, il a sué nuit et jour à Londres ; – en dehors de cela, il n’a rien – rien du tout – par la moindre expression, pas de goût, et encore moins de sentiment. » Mozart fut vainqueur par KO.
Beethoven, Liszt, et bien d’autres furent opposés, dans des duels au clavier, à leurs contemporains et rivaux. Qui a oublié le duel qui opposa Liszt à Thalberg le 31 mars 1837 ? « Thalberg est le premier pianiste du monde, Liszt est le seul » : tel fut le verdict de Marie d’Agoult. Jean-Sébastien Bach fut lui-même opposé à Louis Marchand, mais ce dernier quitta la ville pour éviter la confrontation avec ce musicien dont le génie s’exprimait dans toutes les formes de la pratique musicale. Au cours du XXe siècle, c’est d’abord le jazz qui permit les cutting contests des années 1920 à 1940 : pianistes improvisateurs se défiaient, « couper » un pianiste signifiant prendre son travail après avoir triomphé de lui techniquement. Art Tatum, Fats Waller ou encore Count Basie ont fait leurs armes dans ces clubs, situés pour la plupart à Harlem.
Depuis la fin du siècle dernier, le hip hop est l’art de la confrontation par excellence ; au-delà des textes, son essence se trouve dans l’improvisation, appelée cette fois-ci freestyle, qui révèle la pureté, l’authenticité de son interprète. Le clash est ainsi devenu progressivement l’apanage des musiques parlées, issues du spoken word : mais le temps ne serait-il pas venu de remettre les instrumentistes au cœur du jeu ?