Mayotte participe pour la première fois au Concours Voix des Outre-Mer, compétition de chant lyrique fondée par le chanteur Fabrice di Falco. Défi de taille pour cette île où tous les participants sont autodidactes et n’ont jamais chanté d’opéra de leur vie.
Dans le collège de Mamoudzou, les huit candidats sélectionnés pour participer à la finale de Mayotte se retrouvent pour répéter leurs deux choix musicaux : une chanson et un air lyrique. Dans la salle de classe, l’ambiance est à la concentration. Tous les participants ont quelques jours à peine pour maîtriser un air lyrique qu’ils devront chanter mercredi 9 décembre pour la finale à Mayotte. C'est la première fois que l'île accueille ce grand concours de chant, grâce au soutien, sur place, de l'office culturel départemental de Mayotte.
Ces master class sont assurées par Yoann Piazzi, pianiste accompagnateur devenu chef de chant pour l’occasion et Fabrice di Falco, fondateur du concours Voix des Outre-Mer qui se réjouit de travailler avec des autodidactes : « J'étais agréablement surpris de découvrir ces voix autodidactes qui n'avaient donc jamais pris de cours de chant mais qui pourtant ont le sens de la mélodie, de l'harmonie. Ils arrivent à s'écouter et à s'entendre. Je suis content aussi parce que c'est un vrai challenge : on a un terrain très fertile, il faut simplement savoir bien arroser, bien doser. »
Exit la technique vocale
Pour bien doser, Fabrice di Falco choisit d’oublier un peu la technique vocale et privilégie le texte, ou les images pour aider les candidats à bien se préparer : « Je leur parle de ce qu'ils connaissent, par exemple les clips dans la pop, je leur parle de mise en scène, de théâtralité, de comédie musicale… Et pour les airs lyriques, je leur demande de chercher quels rôles ils interprètent, de regarder différentes versions sur YouTube. J'essaye de faire en sorte qu'ils puissent mettre le texte en avant, et quand le texte est en avant, le corps, s'il est bien enraciné, vient de lui-même. »
J’avais peur pour mes cordes vocales.
Côté chanteurs, l’appréhension avant d’arriver à ces master class était grande : « J’avais peur pour mes cordes vocales, plaisante Waaydah-Hydjrat Bakary, 18 ans, Ce sont des morceaux que je n’ai jamais chanté et je n'ai jamais chanté de cette manière. Quand j'entendais une chanteuse d'opéra je me demandais si c'était normal de pouvoir faire ça avec sa voix, ou alors je me disais qu'elle était née avec ça dans sa gorge mais pas qu'elle avait travaillé. Pour moi c’était impossible de me projeter. »
Cette candidate a pourtant réussi à interpréter L’amour est un oiseau rebelle de Carmen et s’est qualifiée pour la grande finale à Paris en recevant le prix Jeune Talent lors de la finale à Mayotte. Le jury, présidé par le rédacteur en chef d'Opéra Magazine Richard Martet, a décidé que l’autre voix qui ira disputer les autres candidats des territoires d’Outre-Mer à l’Opéra de Paris fin janvier sera Boura Kamar.
Un déclic pour certaines voix
Quant aux autres candidats, même s’ils ne repartent pas forcément avec un prix, ces quelques jours de master class ont produit chez eux des déclics. C’est le cas pour Annabelle Haribou, 22 ans : « Je me lâchais mais pas assez, et je n’arrivais pas à utiliser la voix de mon corps. Fabrice me disait qu’avec ma corpulence j’étais capable de faire beaucoup plus. Et avant hier, après m’être bien échauffée, j’ai essayé de tout lâcher, de crier, et là c’est sorti tout seul et j’ai senti qu’il y avait du potentiel. »
Ce déclic, le pianiste accompagnateur Yoann Piazza en a été témoin : « Annabelle a réussi tout à coup à placer sa voix dans l’aigu. Je pense que ça a marché grâce à l’énergie du groupe mais aussi à l’intensité de toutes ces répétitions. » Pendant quatre jours, les candidats se sont retrouvés du matin au soir à travailler leurs morceaux et à s’écouter. « Dès qu’une personne avait un déclic, les autres se disaient que c’était possible et donc étaient d’autant plus à l’écoute de nos conseils mais aussi de leurs possibilités souvent cachées », poursuit Yoann Piazza.
Personnellement je n'ai jamais entendu un chanteur lyrique ici.
Le chant lyrique sur l’île de Mayotte est quasi absent, les talents sont donc bien cachés, ce que déplore une des candidates, Morgane Attoumanie : « Personnellement je n'ai jamais entendu un chanteur lyrique ici. Peut-être que les gens ne se rendent pas compte qu'ils ont ce talent-là et ce concours va sûrement ouvrir des portes, en tout cas j’espère. » La première édition du concours Voix des Outre-Mer a Mayotte a été diffusée en direct sur Facebook et sur Mayotte Première, chaîne locale. Quatre prix ont été décernés ce soir-là : la Voix des Outre-Mer à Boura Kamar, le prix Jeune Talent à Waaydah-Hydjrat Bakary, le prix Musique du monde à Morgane Attoumanie et le prix espoir à Eddy Haribou.