Connaissez-vous la musique ukrainienne ?

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Connaissez-vous la musique ukrainienne ?

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Des Kobzars, chanteurs traditionnels s'accompagnant à la Kobza, devenu un symbole national au XIXe
Des Kobzars, chanteurs traditionnels s'accompagnant à la Kobza, devenu un symbole national au XIXe
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Des Kobzars, bardes itinérants, aux compositions de l'ère soviétique, un parcours dans une Histoire musicale mouvementée, qui s'est construite en relation et en opposition avec celle des pays voisins de l'Ukraine, au premier rang desquels : la Russie.

Dans un pays qui a autant subi au cours de son existence les invasions et les influences de ses puissants voisins (la Lituanie, la Pologne, l'empire austro-hongrois et, bien sûr, la Russie), dessiner une Histoire de la musique ukrainienne c'est aussi poser la question délicate de l'identité du pays.

Car l'histoire musicale de la "Petite Russie" s'est faite en relation et en opposition avec son principal voisin : la Russie. Au fil du temps l'Ukraine s'est vue imposer cette image de pays à la culture paysanne, riche en légendes et en traditions folkloriques, mais aussi de terre à la longue tradition musicale produisant de grandes voix. L'Histoire musicale du pays se révèle pourtant plus complexe même si la musique chantée y domine que ce soit dans les choeurs d'église ou à l'opéra.

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Voici donc quelques repères pour mieux connaître la musique ukrainienne, une Histoire à interpréter parfois avec prudence car, pour ce qui est de l’Ukraine, l’Histoire culturelle devient rapidement politique

Un XVIIIe siècle fastueux

L’école de Kiev

Dès la fin du XVIIe siècle, l’Ukraine rayonne sur le plan musical. Il y a d’abord Kiev, où le compositeur et théoricien Nikolaï Diletsky (1630-1690) contribue à créer un nouveau style polyphonique religieux, ressemblant à des chorals, appelés “partesniy” qui auront une influence déterminante sur la musique russe en particulier. Compositeur prolifique, il participe à cette rencontre entre tradition ukrainienne et musique occidentale, fondant une lignée de musiciens qui passeront par l'université de Mohyla à Kiev.

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L’influence italienne

En 1738, c’est à l’est de l’Ukraine, dans la ville de Hlukhiv, qu’une école de chant est fondée pour préparer les enfants les plus talentueux à chanter dans la chapelle impériale de Saint-Petersbourg, qui est alors le haut lieu de la musique religieuse. De cette école émergent plusieurs musiciens remarquables qui sont considérés comme étant à l’origine de la musique ukrainienne. Ce sont Maxime Berezovsky (1745-1777), Dmitri Bortnianski (1751-1825) auquel on peut adjoindre Artemy Vedel (1767-1808) passé par Kiev. Les deux premiers apprennent leur métier en voyageant à travers l’Europe, particulièrement en Italie (Berezovsky aurait même été un camarade de classe de Mozart) d’où ils ramènent un style italien brillant que l’on retrouve dans la musique religieuse mais également dans la musique profane (symphonies, opéras). Pour exemple : cette symphonie de Berezovsky où l'on croirait entendre du Mozart.

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L’attraction de la Russie

Néanmoins ce développement ukrainien est orienté vers la Russie au point que, dès le début du XIXe siècle, Kiev a perdu sa primauté en matière de musique au profit de Moscou. Déjà Diletsky avait été appelé à Moscou par le tsar et par la suite de nombreux musiciens ukrainiens font en réalité leur carrière en Russie, comme c’est le cas de Berezovski et de Bortnianski qui vivent à Saint-Pétersbourg. Cela s’explique entre autre parce que certaines familles ukrainiennes influentes vivent elles-mêmes en Russie et y invitent les musiciens (comme c’est le cas de la famille Razumovsky). Bon gré mal gré, les compositeurs ukrainiens dépendent de la Russie.

Une musique nationale ?

Le recueil d’Aleksandr Roubets

Les traditions culturelles et musicales ukrainiennes constituent un réservoir de folklore musical et littéraire dans lequel les compositeurs, ukrainiens ou russes, viennent puiser abondamment. En 1872, le théoricien et folkloriste Aleksandr Roubet publie un recueil de 260 chansons traditionnelles ukrainiennes qui fait date. L’ouvrage remporte un grand succès et inspire notamment des compositeurs comme Moussorgski, Rismsky-Korsakov ou encore Tchaïkovski, ce dernier intégrant notamment certaines mélodies populaires dans son concerto pour piano ou dans sa Symphonie n°2 dite "petite russienne".

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L'inspiration littéraire

En 1830 et 1832, l’écrivain Gogol, natif de Sorotchintsy entre Kiev et Kharkiv, publie deux volumes des Soirées du hameau près de Dikanka, des recueils de nouvelles entre comique et fantastique, qui font entrer la culture populaire ukrainienne dans la littérature. Une source d’inspiration pour les librettistes : on compte deux opéras de Rimsky Korsakov reprenant Gogol : La Nuit de Noël et La Nuit de mai (où l'on entend les fameux chants de Noël ukrainiens, les Kolyadki), un de Tchaïkovski (Tchérévitchki) et une composition inachevée à Moussorgski (La foire de Sorotchintsy).

Le réveil national

À côté de ces œuvres russes qui s’inspirent du folklore ou des épopées des cosaques (comme le Mazeppa de Tchaïkovski), on trouve des œuvres ukrainiennes qui contribuent directement à l’émergence d’un sentiment national. C'est le cas du premier opéra comique en ukrainien : Les Cosaques au-delà du Danube de Semen Artemovski (1813-1873), chanteur d’opéra et aussi compositeur qui écrit une musique inspirée de la tradition italienne mais teintée harmoniquement et mélodiquement de musique ukrainienne.

Mykola Lysenko (1842-1912) contribue à son tour à forger un style national s’écartant de la musique russe, notamment avec son grand opéra Taras Boulba, composé d’après le roman de Gogol (une autre grande épopée ukrainienne) et donné en ukrainien (il est dit que Tchaïkovski aurait voulu le faire représenter en Russie mais que Lysenko s’y serait opposé, refusant que son oeuvre soit traduite). Lysenko s’engage alors dans un combat culturel qui est aussi combat politique et diffuse ses idées en créant une école à Kiev en 1904.

Néanmoins cette montée du sentiment national est freinée par la politique impériale qui la voit d'un mauvais oeil, notamment par l'oukase d'Ems de 1876, qui interdit la diffusion de la culture ukrainienne à l'exception des troupes itinérantes présentant des spectacles musicaux de type vaudeville.

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Répression et politique

La figure du Kobzar

L’un des symboles de l’identité musicale ukrainienne est la figure populaire du Kobzar. Le Kobzar est un musicien itinérant, parfois aveugle, qui peint l’ancienne épopée des cosaques dans de longues déclamations épiques (doumy) s’accompagnant avec des instruments traditionnels : la kobza ou la bandoura. Au XIXe siècle, le poète ukrainien Aras Chevtchenko en avait déjà fait un symbole national en intitulant son recueil le plus célèbre Le Kobzar.

Cette tradition musicale des Kobzar est attestée dès 1693 et s'est perpétuée jusqu’au début du XXe siècle, les musiciens s'organisant en guildes, avant que les politiques répressives de l’empire russe puis de la Russie soviétiques ne la fasse presque totalement disparaître. En 1902 on recense 3000 Kobzars, ils ne sont plus que deux dans les années 1930. On soupçonne même un massacre organisé par les autorités soviétiques.

L’URSS aura une attitude particulièrement ambiguë vis-à-vis du folklore, faisant disparaître par la force certaines traditions puis exaltant des coutumes rendues apolitiques et inoffensives .

Les kobzari ukrainiens Kravchenko et Drevchenko en 1902.
Les kobzari ukrainiens Kravchenko et Drevchenko en 1902.
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Modernisme et réalisme soviétique

Parmi les nombreux musiciens de l’ère soviétique, on peut mentionner Levko Révoutsky (1889-1977) et Boris Liatochinski (1895-1968) qui représentent deux tendances de la musique ukrainienne. Le premier, élève de Lysenko, arrangea plusieurs centaines de chansons folkloriques et en tira de la matière pour son propre travail, recevant à la fois de sévères critiques du régime soviétique pour ses symphonies et ses concertos mais aussi beaucoup d’honneurs pour sa carrière de folkloriste et de pédagogue. Boris Liatochinski quant à lui développe une musique d’avant garde qui doit se plier à l’arrivée du réalisme socialiste. Les différentes sociétés musicales concurrentes qui existaient en Ukraine sont en effet remplacées par l’Union des Compositeurs d’Ukraine en 1932, verrouillant la création artistique jusque dans les années 70.

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Jusqu'à aujourd'hui

Difficile de résumer en quelques mots la vie musicale ukrainienne depuis cette époque : on peut mentionner les compositeurs Valentyn Sylvestrov (né en 1937), Evgueni Stankovitch (né en 1942) ou encore Myroslav Skoryk (1938-2020) qui, chacun à leur manière, explore cet héritage ukrainien. Depuis de nouvelles générations de musiciens et d'interprètes continuent cette longue histoire de la musique ukrainienne.

Remerciements au musicologue André Lischke pour ses conseils.