Coronavirus : inquiets, les ensembles musicaux indépendants sont dans le flou
Par Victor Tribot LaspièreAnnulations de tous les concerts, flou sur les mesures d'accompagnement des intermittents du spectacle, problèmes de trésorerie, etc. Les ensembles musicaux indépendants attendent dans l'inquiétude les solutions du gouvernement pour faire face à la crise économique liée au coronavirus.
Chaque jour, des mesures nouvelles sont annoncées par le gouvernement pour tenter de faire face à la crise économique liée à l'épidémie de coronavirus mais toujours rien de très clair pour le secteur de la culture. Malgré plusieurs appels lancés au gouvernement, dont l'un émanant de la Fevis, fédération qui regroupe plus de 150 ensembles musicaux indépendants, la situation est toujours floue pour le secteur de la culture.
Les premières mesures annoncées - un fonds d'aide d'urgence de 11,5 millions d'euros pour l'ensemble de la filière musicale, crédits d'impôts sur l'année 2019, etc. - sont loin de calmer les inquiétudes. « Nous en sommes à 27 représentations annulées pour les mois de mars et avril, déplore Nicole Corti, directrice artistique de Spirito, un ensemble vocal ancré à Lyon et qui fait travailler en temps normal jusqu'à 80 chanteurs et 4 techniciens, tous intermittents. 21 concerts ont été annulés et nous avons réussi à reporter les 6 autres. La situation est très compliquée parce que tout le monde est dans le flou, ce qui n'est pas simple pour anticiper et mettre sur pieds les concerts des saisons à venir ».
Pour l'instant, la directrice musicale et son équipe administrative télétravaillent pour continuer à concevoir les prochains programmes des concerts. Tout en devant répondre chaque jour aux nombreuses questions de leurs artistes : leurs cachets seront-ils payés malgré les annulations ? « C'est très difficile parce que nous devons répondre au cas par cas, explique Nicole Corti. Quand il s'agit de concerts que nous produisons, nous payons les artistes parce que nous avons les fonds, mais lorsqu'il s'agit de contrats de cession, que nous sommes donc tributaires d'un autre producteur, d'une salle de concert, ça dépend de leur capacité à pouvoir nous payer. »
C'est pourquoi la directrice artistique de Spirito, comme tant d'autres employeurs de la culture, demande à ce que les mesures de chômage partiel puissent s'appliquer aussi aux intermittents. C'est le cas du chef François-Xavier Roth. Son ensemble Les Siècles, un « orchestre de projets » ne fonctionnant pas sur le principe de saisons musicales comme les orchestres permanents, est composé de plus de 70 musiciens eux-aussi tous intermittents.
« Nous étions en pleine tournée d'une intégrale des symphonies de Beethoven quand les mesures de confinement sont tombées. Lorsque nous faisons 12 représentations par exemple, l'étalement des dates permet de nous y retrouver au niveau de l'investissement, mais lorsqu'il y a des annulations, c'est très compliqué, nous perdons de l'argent » explique le chef d'orchestre.
François-Xavier Roth regrette le manque de cohérence du secteur. « D'un côté, il y a ceux qui peuvent payer leurs artistes parce qu'ils fonctionnent avec beaucoup de subventions publiques, et de l'autre, ceux qui sont dépendants des recettes de billetterie et qui ne peuvent pas les rémunérer ». Le chef se dit inquiet pour ses musiciens et plaide pour une réponse commune au niveau européen.
« C'est intéressant de voir ce qui se passe en Allemagne », pays que connaît bien François-Xavier Roth en tant que directeur général de la musique de la ville de Cologne, poste qui réunit la direction artistique de l'Opéra et de l'Orchestre du Gürzenich. La ministre de la Culture allemande, en lien avec Kirill Petrenko, le chef du Philharmonique de Berlin, a annoncé la création d'un fonds de soutien pour les musiciens freelance.
« C'est un pays qui compte beaucoup plus d'orchestres et de concerts que la France, un pays où la musique a une place vraiment très importante. J'espère que cette crise que nous traversons permettra à tous de réaliser la richesse que les ensembles musicaux indépendants apportent en France. Grâce aux systèmes de subventions publiques ou de l'intermittence, nous avons un secteur quasi unique au monde et qui permet une créativité incroyable » poursuit le maestro, également chef principal associé du London Symphony Orchestra, qui se dit très préoccupé par la situation des orchestres et des musiciens des pays anglo-saxons, qui n'ont « aucun filet ».
En France, le système de l'intermittence et des subventions devrait pouvoir limiter la casse. A condition que tout le monde joue le jeu. Ensembles musicaux et organisations syndicales réclament que les subventions acquises en 2020 soient rapidement versées et en intégralité, afin d'éviter des problèmes de trésorerie à ces petites structures à l'économie fragile. « Se pose aussi la question du crédit d'impôts, s'interroge Nicole Corti. Le dispositif fonctionne à partir de quatre représentations données avec un même programme. Que se passe-t-il si deux dates ont été annulées en raison de l'épidémie ? Pour le moment nous sommes dans l'incertitude la plus totale. »
Tous les acteurs du secteur culturel espèrent que les annonces du gouvernement seront précisées avant la fin de la semaine, c'est-à-dire les derniers jours du mois, période de paie. Nicole Corti se dit tout de même optimiste pour la suite, pour ce qui arrivera une fois le confinement terminé. « Nous avons des fonds propres, notamment grâce aux subventions qui nous permettent de couvrir notre budget de fonctionnement », rassure-t-elle. Avec son équipe, ils continuent à mettre en place les concerts des futures saisons et tablent sur une reprise des répétitions pour le mois de juin, au plus tard.
« Toute cette richesse musicale des ensembles français pourrait se retrouver bridée »
Les craintes portent sur l'ensemble du secteur musical, et notamment sur la fragilité des ensembles qui ne bénéficient pas d'aides publiques conséquentes. Alors que tout le pays devrait être fragilisé par la crise économique causée par le coronavirus, elle redoute un certain désengagement des collectivités territoriales, des lieux de diffusion et des mécènes privés. « Toute cette richesse musicale des ensembles français pourrait se retrouver bridée. Notamment pour ce qui est de la création. Je crains que ne soient plébiscités les répertoires les plus connus, au détriment des plus audacieux », conclut Nicole Corti.
François-Xavier Roth, lui aussi, se veut optimiste. Il veut croire, qu'une fois sortis de cette période troublée, les gens « auront à cœur de se réunir, de retourner écouter des concerts pour ressentir la chaleur de la musique ». Il estime qu'un changement de façon de faire sera nécessaire comme « peut-être moins voyager, jouer plus ancré localement ».