Education musicale aux Etats-Unis : la musique au service de la communauté

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Education musicale aux Etats-Unis : la musique au service de la communauté

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Les lycéens membres d'un Marching Band
Les lycéens membres d'un Marching Band
© Getty - Fuse

Berceau du jazz, terre d’accueil de nombreux musiciens, patrie des interprètes célèbres et des compositeurs iconoclastes, la vie musicale des Etats-Unis est aussi polymorphe que ses paysages. Comment y devient-on musicien ?

Décrire simplement l’éducation musicale aux Etats-Unis relève de mission impossible, car il n’y en a pas un, ni même cinquante, comme le nombre d'Etats qui constituent ce vaste pays. On pourrait même dire qu’il y a presque autant de cas de figures que d'établissements dédiés et comme dans de nombreux autres domaines, les opportunités sont là où il y a de l’argent. Cependant, il existe bien des traits communs, et il est intéressant de les comparer à l'enseignement musical en France. 

Autant le dire tout de suite : le système français et le système américain sont comme deux facettes d’une pièce de monnaie : tout ou presque les oppose. Le premier est centralisé et largement subventionné, le second dépend des budgets publics et des fonds privés et n'est pas unifié à l’échelle fédérale.  Un point commun les rapproche : les deux pays intègrent l'éducation musicale dans le cursus des écoles publiques. Mais alors qu’en France il existe un réseau dense de conservatoires publics, l’éducation musicale à l’école est pour les petits Américains la principale, et le plus souvent la seule, voie d’accès à la musique.  

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Les fondements passent par les pratiques collectives

« 90 à 95% des élèves américains reçoivent une éducation musicale dans le cadre de leur cursus scolaire, mais il n’y a aucune unité quant aux programmes enseignés, comme c’est d’ailleurs le cas pour l’enseignement en général, » explique Scott C. Shuler, anciennement expert pour l'éducation artistique auprès du Département de l'Education de l'Etat de Connecticut et co-auteur du Programme national pour la musique (National Core Music Standards), un texte paru en 1994 et 2014 et qui, en l'absence d'un curriculum fédéral pour l'enseignement artistique, rassemble un certain nombre des préconisations à destination des professeurs et des administrations pour une éducation musicale de qualité.  

« Les écoles publiques américaines sont financées par le gouvernement fédéral, les Etats et les communes. L'argent fédéral, environ 7% du budget, est destiné notamment aux écoles pour les enfants à besoins spécifiques. Très peu impliqué, le gouvernement fédéral ne donne que des grandes lignes par rapport à la politique éducative. Ce sont les Etats, et encore plus les collectivités locales et les établissements eux-mêmes, qui déterminent à la fois les objectifs et les budgets et recrutent le personnel, y compris dans le domaine de l’éducation musicale, » poursuit l'expert.

En général, l’éducation musicale commence avant l’école primaire, dans des structures privées de garde d’enfants, des Kindergartens, dont les programmes sont hétérogènes. Dispensée en général par les professeurs certifiés ou par des instituteurs en primaire, à partir de la 4e année (CM1) elle intègre une ou plusieurs pratiques collectives : l’orchestre, le marching band, la chorale. Ensuite, dans l’enseignement secondaire, la musique est enseignée moins systématiquement, et il y a des lycées où la musique n’est pas du tout proposée, notamment dans les zones économiquement défavorisées. 

La participation aux pratiques musicales collectives est cependant, à l'instar du sport, le plus souvent encouragée et valorisée. Elle constitue un outil d’intégration de l’élève dans la communauté. Plus l'élève sera actif dans les activités extra-scolaires proposées par l'établissement, plus il aura de points favorables sur son CV quand il candidatera pour un college ou, plus tard, un entretien d'embauche. C'est la principale caractéristique du système américain : les fondements de l’éducation musicale passent par la pratique collective à l’école.   

La musique au service de la communauté

Y sont proposées en général trois types de formations : les chorales, les orchestres à cordes et les harmonies, et plus particulièrement les Marching bands qui défilent à l'occasion des matchs de football américain et des fêtes nationales. Les Marching bands rythment la vie de l'établissement, accompagnent les événements sportifs et participent même aux compétitions musicales entre différentes écoles. La participation des élèves est facultative, mais évaluée, et ces notes figurent sur le bulletin. Ces formations permettent l'accès à la pratique musicale à un très grand nombre d'élèves.  Certains en comptent plusieurs centaines ! Les répétitions ont lieu en dehors des heures d'école, en général au moins pendant une heure tous les jours.

« J’ai eu deux semaines de stage musical avant la rentrée scolaire qui commence fin août, raconte Marc Chevalier, un étudiant américain domicilié en France, dans son mémoire L'apprentissage musical à travers les pratiques collectives : Une étude sur l'enseignement musical dans les écoles publiques aux Etats-Unis. Durant ces deux semaines, il y avait 7 à 8 heures de répétition par jour afin d’initier les nouveaux membres du groupe et de se préparer pour la saison de football américain qui allait débuter en septembre. Ce stage avait plusieurs effets : il créait des liens sociaux entres les membres du groupe, il mettait en place une rigueur collective de manière ' militaire '. Les uniformes, le grand nombre de participants et le fait de marcher si longtemps ensemble soumettait les individualités au collectif. Les répétitions ont été gérées par le chef d'orchestre de l’harmonie mais l’apprentissage musical se faisait en s’appuyant sur les grands élèves. L’élève est rarement soumis aux contrôles techniques instrumentaux, par contre, certains grands élèves sont nommés chefs de pupitre par le directeur et ils sont chargés d’organiser des partielles pour mettre leur pupitre à niveau. »

Quant à la méthode de l'enseignement, point de solfège ni de théorie musicale. La lecture des notes se fait en même temps que l’apprentissage instrumental. Les 'vrais' cours de théorie musicale dans le sens de la formation musicale à la française interviennent seulement dans l’enseignement supérieur et sont destinés aux jeunes qui ont déjà pratiqué la musique et qui visent à en faire leur métier. Ils sont dispensés dans des conservatoires prestigieux, tels The Julliard School ou The Curtis Institute, équivalents aux CNSMD français, ou dans des universités, qui intègrent régulièrement des programmes d’études musicales destinés aux futurs interprètes, enseignants ou musicologues. « Pour beaucoup d’étudiants, c’est la première fois qu’ils abordent certains aspects de base du solfège comme la dictée, le chant et la solmisation des notes, » poursuit Marc Chevalier.  

L'inclusion et l'égalité d'accès : principaux enjeux

La musique à l'école reste pour la majorité des petits Américains le seul accès à la musique, et les cours extra-scolaires restent le privilège des milieux les plus aisés. 

« Il n'y a pas de conservatoire subventionné par les pouvoirs publics comme en France, explique Scott Shuller. Pendant l'administration Bush et notamment Obama, il y a eu quelques tentatives pour financer les cours de dance et de musique extra-scolaires pour les enfants des quartiers défavorisés en partenariat avec les associations ou les écoles de musique privées, mais je ne sais pas si ces fonds sont encore disponibles. » 

Pour les élèves qui veulent se consacrer à une pratique musicale individuelle, et peut-être devenir professionnels, les cours particuliers restent la seule option.  « Mes enfants ont pris les cours de violoncelle ou de piano à un tarif de 30 dollars la demi-heure minimum, et il faut y rajouter les frais pour l'instrument. C'est extrêmement cher pour la plupart des Américains, » constate-t-il. Et les disparités entre les milieux aisés et les familles les plus défavorisées se reflètent aussi sur les budgets dédiés à l'éducation, qui peuvent aller du simple au double par élève en fonction des revenus d'une commune, très souvent au détriment des disciplines artistiques. 

Selon le rapport du Département de l'Education des Etats-Unis sur l'éducation artistique dans les écoles publiques de 2012, « les élèves économiquement les plus défavorisés et issus des minorités, estimés à 25%, ont le moins de chances d'avoir accès à l'éducation musicale à l'école, une tendance qui s'accentue depuis les années 2000, alors que toutes les recherches démontrent que ce sont notamment ces élèves qui peuvent le plus bénéficier de l'éducation musicale , » explique Scott C. Shuler. 

Pour le spécialiste, outre la raison financière, l'explication est à chercher dans les conséquences de la dernière grande réforme fédérale de l’éducation, « No Child Left Behind » - Pas d’enfant laissé pour compte, de 2002, qui a introduit les tests de niveaux dans les matières principales, afin de renforcer les fondamentaux des élèves les plus défavorisés. Si selon la réforme la musique et les arts en général font partie des fondamentaux aux cotés de  l’anglais, des maths ou de la science, en réalité elle est souvent sacrifiée au profit des autres matières. 

« La réforme a transformé localement certains établissements dans des zones sans foi ni loi où les écoles ne partagent plus aucun curriculum commun et leur seul but est le résultat des tests » explique Scott Shuler.  « Pendant l’administration Bush et notamment Obama, il y avait un intérêt accu pour que les enfants reçoivent une éducation artistique. Mais il était contrebalancé par les politiques qui se focalisaient sur l’accès à la lecture et l'écriture dans les quartiers défavorisés, ce qui a fait des dommages collatéraux aux autres matières, » explique-t-il. 

Les professionnels ne baissent pourtant pas le bras. De nombreuses associations telle la NAfME (Nationale Association for Music Education) militent pour l'égalité d'accès de tous les enfants à l'éducation musicale à l'école. Nouvelle menace : la crise sanitaire provoquée par la pandémie de la Covid - 19 qui devient un prétexte pour cesser de financer les pratiques collectives à l'école :  

« Cela n'a rien de nouveau pour nous, souffle Scott Shuler. Dès qu'il faut réduire les budgets, ce sont les arts qui sont en première ligne. Or, la musique a une importance particulière dans des périodes de crise, où elle n'est plus seulement une discipline enseignée, mais un moyen pour nous à dépasser les défis émotionnels provoqués par l'isolation, d'autant plus que la crise sanitaire accentue les inégalités et isole davantage les élèves les plus défavorisés, dans les familles dysfonctionnelles ou des situation très difficiles. En ce moment, une grande attention est attribuée à l' apprentissage social et émotionnel [social emotional learning : SEL, mouvement dans l'éducation qui réunit chercheurs, éducateurs et professionnels d'enfance dans l'élaboration d'une pédagogie du développement positif de l'enfant, N.D.]et les arts y jouent un rôle énorme. Et nous continuons à défendre l'accès à l'éducation artistique comme la priorité absolue dans cette démarche, » conclut-il.