Dans un livre à paraître, le musicologue britannique Geoff Baker remet en cause l’image d’un « miracle El Sistema » et dénonce au contraire un « modèle de tyrannie ».
Des milliers de jeunes gens issus de milieux défavorisés à qui l’on donne un instrument et que l’on forme à la musique, tel est l’idyllique objectif d’El Sistema, ce programme d’éducation musicale fondé par José Antonio Abreu au Venezuela. La musique pour adoucir les mœurs, pour effacer les différences, pour extraire une certaine jeunesse du cercle vicieux dans lequel elle évolue et ainsi « avoir un avenir social digne » (J-A Abreu).
Fondé en 1975, El Sistema fait office d’utopie socio-musicale devenue réalité, et sa réussite comme sa popularité ont contribué à la multiplication d’initiatives similaires à travers le monde. Il suffit de voir une photographie de Gustavo Dudamel, qui a participé au programme et a dirigé la formation née de l’initiative, l’Orchestre symphonique Simon Bolivar, souriant et rayonnant, pour deviner toute la portée positive d’El Sistema.
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Tout est-il rose au pays d’*El Sistema * ? Ce n’est pas ce que pense Geoff Baker. Dans un livre intitulé *El Sistema : Orchestrating Venezuela’s Youth * et annoncé par un article dans le quotidien The Guardian, le musicologue britannique relate son investigation au Venezuela, et dénonce un système qui « oublie les enfants les plus démunis ». Plus encore, l’auteur s’attaque à la figure-même du fondateur *d’El * Sistema : l’économiste et politicien José-Antonio Abreu, qui serait comparé dans son pays natal à Machiavel et surnommé « L’ogre philanthrope ».
Le projet El Sistema serait lui-même en cause selon Geoff Baker : « J’ai rencontré de nombreux musiciens d’ El Sistema* qui ne sont pas convaincus que le projet soit destiné aux enfants vulnérable* (…) *ils suggèrent que la plupart des musiciens venaient des classes moyennes * ». Loin d’être le projet révolutionnaire décrit, le musicologue pointe du doigt un modèle éducatif comparable à celui connu en Europe au XIXe siècle « où l’éducation musicale a été promue dans un objectif général d’enrichissement moral et financier, un moyen d’éloigner les travailleurs des tavernes, d’accroître leur productivité et de diminuer leur potentiel révolutionnaire ». El Sistema reposerait sur les mêmes fondations : « la discipline, l’obéissance et l’ordre ».
Alors que pour le chef d’orchestre Simon Rattle *El Sistema * représente « l’avenir de la musique », Geoff Baker s’inquiète de l’exportation d’un modèle éducatif qui, selon un musicien vénézuélien, consiste à « crier sur les enfants et leur dire qu’ils sont inutiles ».
Docteur en musicologie et membre du département de musique de l’Université de Londres, Geoff Baker est l’auteur de El Sistema : Orchastrating Venezuela’s Youth, à paraître le 28 novembre aux Presses Universitaires d’Oxford.
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