La mission d'El Sistema va au-delà de la musique, comme l’explique Gustavo Dudamel : c’est une mission sociale, c’est un mode de vie, et l’orchestre est pensé comme un modèle de fonctionnement pour une communauté, pour un pays, pour le monde.
Une anecdote désormais célèbre circule sur
le web : lors d’un récent concert de Gustavo Dudamel et le Philharmonique de Los Angeles à Caracas, une file d’attente s’était formée depuis 4h du matin devant la billetterie. Première venue de cette phalange au Venezuela depuis que l’enfant le plus charismatique du pays est à sa tête, dans un programme tout Mahler : l’événement prend des proportions d’un concert de rock. Dans la file d’attente, un homme interpelle une femme :
«S’il vous plaît, est-ce ici pour les places pour Mahler ? - Non Monsieur,» rétorque-t-elle,« ici, c’est pour Gustavo.»
Les autographes, les badges affichant son sourire, les T-shirts et les photos, et les CDs piratés de ses enregistrements : voici un contexte plutôt inhabituel pour un musicien classique. Le jeune chef vénézuélien Gustavo Dudamel est pour son pays ce que Bob Dylan est pour les Etats-Unis, Céline Dion pour le Canada, ou Johnny pour la France : une référence musicale et culturelle à l’échelle nationale. Au Venezuela, un des pays où le taux de la criminalité est parmi les plus élevés au monde, et où la moyenne d’âge de la population est de 26 ans, la musique classique n’est pas un domaine réservé à l'élite : c’est une fierté nationale, au même titre que les concours de beauté ou le foot ; c’est une vraie passion. Comme l’a affirmé lors de sa première visite au Venezuela Simon Rattle, le chef sortant du Philharmonique de Berlin, depuis quelques années, le Venezuela est devenu l'épicentre du monde de la musique classique, et c’est au Venezuela que s’écrit son avenir.
A l'origine de ce phénomène vénézuélien qui s'exporte désormais à quatre coins de la planète, c’est El Sistema, un réseau de centres de pratique musicale ouverts à tous, où les enfants, parfois dès 2 ans, s’initient à la musique. Un dispositif unique au monde dont l'incarnation la plus médiatique, et cela un peu malgré lui, est le jeune chef Gustavo Dudamel, 32 ans, qui dirige depuis ses 17 ans l’Orchestre des Jeunes Simon Bolivar, une des formations phares d'El Sistema. The Dude, comme aiment à l’appeler les Américains, est également le chef principal de l’Orchestre Symphonique de Göteborg et le directeur musical du Philharmonique de Los Angeles.
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L’orchestre : une société en
modèle réduitLa mission d'El Sistema va au-delà de la musique, comme l’explique Gustavo Dudamel : c’est une mission sociale, c’est un mode de vie, et l’orchestre est réféchi comme un modèle de fonctionnement pour une communauté, pour un pays, pour le monde.
Dans le contexte difficile des «barrios», des quartiers pauvres du Venezuela où la criminalité et la drogue rongent le tissu social, les orchestres d'El Sistema donnent aux jeunes un objectif, un métier et un statut social. La musique n’est plus seulement un mode d’expression ou un supplément d’âme, c’est un vecteur d’ascension et un mode de réinsertion sociale.
Depuis sa fondation en 1975, El Sistema est entièrement financé par le gouvernement vénézuélien: pour les élèves, tout est pris en charge, y compris la location des instruments. A l'époque de la présidence d'Hugo Chavez, le budget annuel alloué à El Sistema s'élevait à 100 millions de dollars. Aujourd'hui formé d'un réseau qui couvre tout le térritoire vénézuélien, le projet initial conçu par le pédagogue et pianiste **José Antonio Abreu ** a dès ses débuts affiché une portée sociale prépondérante.
Gustavo Dudamel et José Antonio Abreu © FESNOJIV
La musique pour tous
Lorsqu’il a commencé avec 11 gamins dans un garage à Caracas en 1975, José Antonio Abreu partait du principe que de faire la musique en collectivité est un droit pour tous. Tout un chacun porte en lui un potentiel, et au lieu d’adopter une approche sélective où l’on soutient l’exception et le talent, l’idée est plutôt de développer et permettre de s’épanouir les capacités spécifiques de chaque enfant. A l’image du langage, la musique est un mode d’expression que l’on peut développer à différents niveaux, si l’on adopte l’approche individualisée et qu'on commence suffisamment tôt. A la base du Sistema, les nucleos, les unités qui prennent en charge les enfants parfois dès l’âge de 2 ans, parfois avec des besoins particuliers ( parmi de nombreuses formations, il existe un chœur destiné aux enfants à handicaps divers : Coro des manos blancas ). Les enfants y passent leur temps extra-scolaire à apprendre des bases de la théorie musicale, et surtout, à jouer dans des formations diverses, au départ à l'oreille, et petit à petit, en assimilant les fondements de l'écriture musicale.
La plupart des enfants viennent des barrios, et on leur y dispense le repas, le transport et la location des instruments. 80% des enfants viennent des classes les plus défavorisées, mais une partie des élèves de la classe moyenne font le choix d’intégrer El Sistema.
El Sistema comme une famille
L’autre idée forte de l’approche du Sistema, c’est la pratique de la musique en groupe; comme le souligne Gustavo Dudamel lui-même: tous les élèves ont le sentiment d’appartenir à une famille, il s'y crée un lien social fort. Au lieu d’assister à un cours individuel et de pratiquer la musique seuls chez eux, il apprennent en groupe, grandissent et murissent ensemble. Ils apprennent la solidarité, la vie en groupe, l’écoute et la valorisation des compétences de chacun, au lieu de pousser l’individualisme à son paroxysme, constante propre à nos pédagogies européennes dans la formation musicale. Tous les nucleos du pays (qui réunissent aujourd’hui quelques 300 000 enfants) travaillent selon les mêmes méthodes, inspirées des méthodes alternatives telles Suzuki, Kodaly ou Orff, autour d’un répertoire standard, mélange du répertoire classique et de la musique populaire latino-américaine.
Le seul objectif est de donner à tous les mêmes bases, la même confiance en soi et la même culture musicale. Les talents exceptionnels émergent naturellement, mais ne constituent pas un objectif en soi de cette pédagogie. Les nucleos ne sont pas non plus équipés à accompagner les surdoués ; leur trajectoire, comme c’était le cas pour Gustavo Dudamel, les mène ailleurs. Les plus jeunes sont parrainés par les plus grands (la célèbre pédagogue Maria Montessori a depuis plus d’un siècle appliqué le principe de l’enseignement intergénérationnel dans sa pédagogie). Les répétitions sont quotidiennes et sont basées sur un partage progressif. Chaque niveau part d’une formation orchestrale adaptée, jusqu’à la formation professionnelle, qui est l’Orchestre des Jeunes Simon Bolivar, dont Gustavo Dudamel assure la direction artistique.
Et les bémols?
L'année dernière dans la presse britanique, l
es détracteurs du projet ont pointé du doigt la mainmise du gouvernement Chavez sur le projet, et de manière générale, son instrumentalisation politique.
« El Sistema fonctionne en dehors du contexte politique. C’est un programme d’Etat, et non pas un programme lié à un gouvernement spécifique », se défend Eduardo Méndez, directeur exécutif du FundaMusical (nouvelle appellation pour la structure). Et
Dudamel de rajouter:
« Nous dispensons une éducation à nos enfants, un avenir. Les gens aiment à politiser, mais cela n'est pas justifié.»
Plus de 25 pays dans le monde ont adopté et adapté cette pédagogie à dimension sociale, et l'UNESCO a reconnu son utilité à l'échelle internationale. A l’heure où l’enseignement artistique est supprimé des programmes scolaires et où les coupes budgétaires étouffent les orchestres à forte implication pédagogique, El Sistema vénézuélien mérite une attention tout particulière. Au bout de trente ans, son impact social et culturel n'est plus à prouver; au lieu de le traiter de phénomène, il serait temps de le prendre comme modèle.
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