7 ans, c'est l'âge moyen d'entrée au conservatoire en France. Pourquoi pas plus tôt ? Éléments de réponse avec les professionnels de l'éveil musical.
On ne compte plus les études scientifiques qui s’accordent sur l’importance de l’éveil musical dès le plus jeune âge, et même en amont, pendant la vie intra-utérine. Certains parmi nos voisins européens l’ont bien compris et l’ont intégré dans leurs cursus pédagogiques. L’Autriche et l’Estonie, par exemple, ouvrent leurs écoles de musique aux élèves à partir de 4 ans. En République Tchèque, l’initiation musicale démarre à l’âge de 5 ans. En Finlande, il n’y a pas d’âge minimum pour initier un enfant à la musique. Et en France, qu'en est-il ?
Conservatoires à la traîne
Parmi les membres de l’Union européenne des écoles de musique, la France, aux côtés de l’Allemagne, affiche le réseau le plus dense d’établissements d'enseignement spécialisé dédiés à l’enseignement de la musique. Pourtant, l’éveil musical y est encore très peu répandu, l’âge moyen d’entrée au conservatoire étant de 7 ans.
Les méthodes dites actives - Dalcroze, Kodaly, Willems - permettent une initiation musicale précoce, dès l'âge de 4 ans, mais peu de conservatoires français s'y intéressent actuellement. En région parisienne, le Conservatoire de Vincennes fait partie des quelques établissements de l'Hexagone à proposer des ateliers dès l'âge de 5 ans construits selon la méthode dalcrozienne et encadrés par Anne-Gabrielle Chatoux, diplômée de l'Institut international Jaques-Dalcroze de Genève. « Grâce à une pédagogie vivante stimulant l’imagination, il accompagne l’enfant dans son évolution en développant ses facultés sensori-motrices et artistiques . La musique y est avant tout ressentie et vécue, » précise-t-elle.
Autre exemple, toujours en région parisienne. Le Conservatoire de Noisy-le-Sec, flambant neuf, propose un dispositif d’éveil à la musique et à la danse depuis un an. Le directeur, Jean-Philippe Dejussieu, se félicite d’être parvenu à intégrer en un seul module deux disciplines historiquement séparées en France. « Nous sommes partis du postulat que les musiciens ont un corps et que les danseurs ont des oreilles, et nous avons proposé un éveil artistique à la musique et au mouvement, chose qui devrait faire partie intégrante de tout enseignement musical. » Dès 5 ans, les élèves peuvent intégrer un cours hebdomadaire encadré par deux enseignants : un instrumentiste et un danseur. « Nous avons souhaité casser cette barrière culturelle qui dissocie la musique de la danse et qui est en partie responsable de l’affirmation très tardive de la danse en matière de l’enseignement. Et aussi, casser les systématismes qui veulent que les filles s’inscrivent à la danse, et les garçons à la musique. » explique le directeur du Conservatoire de Noisy-le-Sec_._ Résultat : les candidats aux inscriptions ne manquent pas.
Un domaine relégué aux associations
Pourquoi le réseau des conservatoires français ne s’ouvre-t-il pas de façon systématique à un enseignement précoce de la musique ?
« Il manque une vraie réflexion dans ce domaine, constate Muriel Mahé, présidente de FUSE (Fédération des usagers du spectacle enseigné). Beaucoup de conservatoires proposent un éveil musical dès l'âge de 5 ans, mais ce n'est pas systématique et dépend entièrement du projet de l'établissement. Or, on se demande si cela vaut la peine de proposer deux années d'éveil sans toucher à l'instrument. A Paris, afin d'ouvrir l'accès à un public plus diversifié, l'éveil musical a été transféré des conservatoires sur les TAP (temps d'activités périscolaires), parce qu'il retardait l'accès à la pratique et servait en quelque sorte de salle d'attente pour avoir plus facilement une place au conservatoire plus tard. »
Selon Muriel Mahé, aucun gain en terme de motivation ou continuité n'a été observé auprès des enfants qui ont suivi l'éveil musical avant d'intégrer le premier cycle, bien au contraire. « Très souvent, les familles sont plutôt désabusées lorsqu'elles se rendent compte qu'après une activité consommée de façon ludique et immédiate, l'enfant rentre dans un système où il est censé fournir un effort et montrer de l'assiduité, et cela les fait fuir. »
Mais la demande reste très importante et le secteur privé formule désormais de nombreuses propositions : des écoles de musique et autres ateliers sur l'année scolaire inspirés des méthodes actives ou orientées vers différents genres musicaux et scéniques, parfois avec méditation, yoga ou initiation à l'anglais. On peut y inscrire des enfants très jeunes, parfois des bébés âgés de seulement trois mois, et ce, pour un prix minimum de 15 euros par cours, tandis qu'au conservatoire, une année entière coûte entre 200 et 300 euros environ. Les conservatoires restent cependant gage de qualité pour la majorité des familles.
« En France, l'enseignement musical avant 6 ans est relégué aux associations, explique Chantal Grosléziat, présidente de Musique en herbe, association qui dispense des formations en éveil musical aux professionnels de la petite enfance et de l'éducation. Ce sont les familles qui créent l'offre, les conservatoires restent en dehors. Comme pour les écoles Freinet ou d'autres modèles de pédagogies actives, en France on met beaucoup de temps à reconnaître et intégrer les bienfaits des approches alternatifs. »
Des raisons idéologiques certes, mais aussi financières, parce que la mise en place d'une telle activité demande des personnels formés et un cadre adapté, analyse Jean-Philippe Dejussieu. « Ce genre d’initiative peut être mise en place uniquement s’il y a une volonté politique de la part des collectivités. Cela représente un certain coût : des salles dédiées, un personnel formé et volontaire. Pour déployer l’éveil musical et danse dans notre conservatoire, nous avons deux salariés sur un atelier, et nous avons la chance de disposer des belles salles de danse pour pouvoir les accueillir », précise le directeur .
L'éveil des maternelles
Pour les plus petits, ce sont souvent les structures d'accueil de la petite enfance qui prennent le relais. Crèches, maternelles, et même bibliothèques font appel aux intervenants pour mettre en place les ateliers. Parmi les structures qui forment les intervenants, deux associations de référence : Musique en herbe et Enfance et musique, qui travaillent main dans la main avec les CFMI, Centres de formation des musiciens intervenants. Ils forment les DUMIstes, enseignants intervenants en milieu scolaire, qui ont dans le cadre de leur formation un volet pédagogique complet dédié à l'éveil musical.
« C'est un secteur où la demande est forte, explique Cédric Segond-Genovesi, professeur au CFMI Île-de-France. Cours théoriques en pédagogie, chronobiologie, psychologie du développement musical de l'enfant, stages de terrain en crèche et école maternelle, nos étudiants sont très outillés, et la France est parmi les premiers pays qui a investi le secteur, et cela depuis les années 1980, aussi bien sur le terrain que dans le domaine de la recherche. »
Le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris a décidé lui aussi de se mettre à la page. A partir du septembre 2018, le cursus des professeurs de Formation Musicale intégrera des éléments de formation à l'éveil, nous apprend Serge Cyferstein, responsable du département de pédagogie de l'établissement.
Le CFMI de Tours a même un diplôme de spécialisation dans la petite enfance, un vivier de professionnels qui pourrait être déployé de façon systématique dans différentes structures d'accueil. Cependant, l'éveil musical n'est pas dans les programmes des maternelles et dépend encore une fois, du projet de l'établissement et de la sensibilité du personnel enseignant, précise Muriel Mahé.
Le projet des crèches musicales Cap Enfant, grâce à la détermination de sa directrice Claudia Kespy-Yahi, fournit par exemple depuis dix ans les preuves scientifiques et incontestables de la musique sur les bénéfices cognitifs des bébés. Les neurosciences et leurs conclusions réussiront-elles à renverser la tendance ?
Le salut est sur scène
En attendant d'avoir accès à l'éveil musical en crèche, les parents se ruent vers les ateliers proposés par les orchestres et salles de concert, aujourd'hui les plus réactives par rapport à la demande. L'orchestre Lamoureux a été parmi les premiers à ouvrir le bal en 2016 et, aujourd'hui, on peut aussi emmener Bébé écouter l' Orchestre national de Lyon, l'Orchestre symphonique de Bretagne, l'Orchestre national de France ou l'Orchestre philharmonique de Radio France, pour peu qu'on arrive à décrocher une place.
La Philharmonie de Paris, elle, a décliné son offre en ateliers de découverte ponctuels et en cycles de huit séances destinés aux petits de 3 mois à 7 ans, une programmation qui pallie un manque criant dans le domaine de l'initiation artistique des plus jeunes.
« Nous ne pourrons jamais répondre à toutes les sollicitations, constate Agathe Laforge, coordinatrice pédagogique de l'éveil musical à la Philharmonie de Paris. Nos places partent en une heure à peine après l'ouverture de la billetterie. Listes d'attente, places limitées, les familles se déplacent de loin pour pouvoir y assister. L'intervention artistique précoce est primordiale parce qu'elle participe aux phases sensibles du développement de l'enfant : la sensibilisation au geste artistique, l'éveil à la créativité sont au cœur de la pédagogie et vont au-delà de l'éveil musical. On éveille l'enfant, mais aussi le parent qui l'accompagne, et la régularité des séances au cours d'un cycle nous permet d'observer une vraie interaction avec les instruments et les intervenants, même avec les plus jeunes enfants », constate-t-elle.
Toujours est-il que le créneau offre des possibilités inouïes pour les producteurs de spectacles, maisons d'opéra, salles ou formations. « Le monde du théâtre a compris depuis longtemps l'importance de développer des propositions artistiques pour les plus jeunes, conclut Muriel Mahé. En revanche, l'accès aux concerts reste encore limité. Les conservatoires pourraient y jouer un vrai rôle, en proposant des concerts adaptés aux petits, dans des salles plus intimes et un cadre plus décontracté ouvert à un public de proximité, le tout à un prix abordable. »
Les idées et ressources ne manquent pas et la demande déborde. Peut-être serait-il temps de sonner les matines ?