Frank Zappa : 10 petites choses que vous ne savez (peut-être) pas sur le musicien et compositeur de 200 motels
Par Léopold TobischCompositeur aux influences sans frontières et musicien en quête éternelle d'indépendance, Frank Zappa reste aujourd'hui un nom incontournable de la musique du XXe siècle, tous genres confondus. Voici 10 petites choses que vous ne savez (peut-être) pas sur ce musicien hors-normes.
N'ayant sa place ni parmi les hippies, rockeurs ou compositeurs de musique dite savante, Frank Zappa (1940-1993) et son oeuvre restent aujourd'hui encore inclassables. Toujours porté vers l’avant-garde, celui qui « rend toutes les recherches en musique contemporaine dérisoires » (selon Antoine de Caunes) reste insaisissable par ceux qui souhaitent l'étudier de plus près. Selon Zappa lui-même, inutile de décortiquer sa musique car « tout est un seul et même album » (Rolling Stone, 1968). Par où donc commencer pour mieux comprendre ce « freak » de la musique ? Voici 10 petites choses que vous ne savez (peut-être) pas sur Frank Zappa...
Il apprend la musique en recopiant les partitions de ses idoles
Dès les années 1950, Frank Zappa exprime une curiosité brûlante pour la musique et les percussions en particulier. Avec des connaissances rudimentaires de la batterie, il devient batteur dans des groupes de Rhythm and blues. Toujours aussi passionné par les percussions, Zappa est rapidement séduit par les capacités mélodiques de la guitare, qu'il découvre à l'âge de 18 ans. Or, comme il est incapable de jouer des accords, il se lance plutôt dans l'exploration mélodique et linéaire, qui deviendra par la suite une caractéristique de sa musique : la mélodie justifiera toujours l’harmonie.
« Vous voulez devenir compositeur ? Vous n'avez même pas besoin de savoir écrire la musique. [...] Si vous pouvez penser un motif, vous pouvez produire ce motif ». Il pense que les cours de musique traditionnels sont « un affront » à sa créativité et préfère passer son temps à étudier et recopier les partitions d'orchestre de Stravinsky, Varèse, Webern et Schoenberg, ou à composer de la musique de chambre. Aux compositeurs de l'ASUC (American Society of University Composers), il déclare en 1984 : « Je n'appartiens pas à votre organisation [...] Je n'aime pas la plupart des trucs auxquels vous croyez ».
Il n'y aurait pas eu de Zappa sans Varèse
En 1954, Zappa achète le premier volume d_es Oeuvres complètes d'Edgard Varèse Vol.1_ et découvre la percussion dans Ionisation qui l'influence à tout jamais. Pour ses 15 ans, le musicien ne souhaite qu'une chose : effectuer un appel interurbain vers New York pour parler à son idole Varèse (hélas, ce dernier est alors en tournée en Europe). Même si Zappa finit par joindre le compositeur quelques semaines plus tard, il ne rencontrera jamais celui qui est au cœur de sa passion musicale.
Comme Varèse, Zappa fuyait toute école de composition. En 1971, en hommage au compositeur français, Zappa écrit un article pour le Stereo Review intitulé « Edgard Varèse idol of my youth [idole de mon enfance] » :
« On m’a demandé d’écrire sur Edgard Varèse. Je ne suis pas du tout qualifié pour ça. [...] La seule raison pour laquelle j’ai accepté c’est parce que j’aime beaucoup sa musique, et si par hasard cet article pouvait amener plus de gens à écouter ses œuvres, ça en aura valu la peine. »
Zappa, gaga de Dada
Suzy Creamcheese, Cletus Awreetus-Awrightus, Ruben Sano, Obdewlla'X, Rondo Hatton... Frank Zappa s'est entouré de nombreux acolytes fictifs. Doté d'une imagination sans borne, la musique et surtout les paroles de Frank Zappa évoquent un monde aux allures incontestablement Dadaïste, rempli d'objets et de personnages étranges. Mais derrière les titres et objets absurdes se trouvent évidemment de nombreux sous-entendus et de fins commentaires sur la société...
Dès 1963, un jeune Frank Zappa à la coupe soignée (mais aux idées toujours aussi délurées ), bien rasé, en costume chic, est l'invité de Steve Allen dans son émission télé de variété, ayant accueilli dans le passé humoristes, comédiens et musiciens tels que Elvis Presley, Fats Domino, Jerry Lee Lewis, et Louis Jordan... A la surprise générale, Frank Zappa arrive avec deux bicyclettes et des baguettes de batterie !
- « Depuis quand jouez-vous du vélo, Frank? », lui demande l'animateur.
- « Deux semaines, » rétorque l'intéressé, sans ciller.
Frank Zappa, connais-tu Francesco Zappa ?
En novembre 1984 parait l'album Francesco Zappa. Enregistré entièrement au Synclavier (un clavier synthétiseur), l'album rassemble la musique de chambre de Francesco Zappa, compositeur italien méconnu du XVIIIe siècle. Zappa aurait découvert ce dernier dans les bibliothèques de Berkeley et du Congrès, et entretiendrait même avec lui des liens familiaux... Supercherie ? Francesco Zappa (1717-1803) a bel et bien existé mais tombe vite dans l'oubli après sa mort. Réel, oui. Mais de la même famille que Frank ? Hélas, non.
Critiqué par certains pour avoir simplement retranscrit numériquement des œuvres anciennes, Zappa s’inspire en fait surtout de son maître Edgard Varèse et de ses mots publiés en 1915 dans la revue Dadaïste 391 : « La musique qui doit vivre et vibrer a besoin de nouveaux moyens d'expression [...] Je rêve les instruments obéissant à la pensée ». Une nouvelle vie, donc, pour la musique de son homonyme !
Zappa change de voix
10 décembre 1971, changement de voix pour Frank Zappa. Année maudite pour son groupe Mothers of Invention. Leur tournée est presque annulée après un incendie pendant leur concert du 4 décembre 1971 au Casino de Montreux en Suisse (la chanson « Smoke on the Water » de Deep Purple fait d'ailleurs référence à ce malheureux incident). Une semaine plus tard, le malheur frappe de nouveau : au Rainbow Theatre à Londres, un spectateur drogué monte sur scène et plaque Zappa en plein solo, et le musicien tombe dans la fosse d'orchestre quelques mètres en dessous.
Zappa se réveille avec de nombreuses blessures graves, et notamment un écrasement du larynx. Malgré un an de convalescence, la voix de Frank est altérée de façon permanente, et baisse d'une tierce. « Ce n'est pas désagréable en soi, mais j'aurais préféré une autre méthode », ironisait le musicien. « Je ne peux chanter que sur une seule octave, avec 75 à 80% de précision dans l'intonation [...] avec de tels résultats, je me ferais recaler même à une audition pour mon propre groupe ! »
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Zappa la bactérie, Zappa le mollusque, Zappa l'étoile !
Avant sa découverte bouleversante de la musique d'Edgard Varèse, le jeune Frank exprime une passion pour la chimie, et notamment pour les explosifs. S'il n'a jamais pu contribuer au monde de la science de sa propre main, son nom se trouve néanmoins parsemé dans les domaines de la biologie (la bactérie P. Zappae) , la science marine (le poisson Zappa confluentus et la méduse Phialella Zappai), l'arachnologie (Pachygnatha Zappa), et même l'astronomie (l'astéroïde 3834 Zappafrank) !
Mais pourquoi les scientifiques pensent-ils à Zappa au moment de nommer leurs découvertes ? Pour certains, le comportement particulier d'une bactérie évoque l'imprévisibilité du musicien. Pour d'autres, la tâche noire sur une araignée ressemble beaucoup à sa moustache iconique. Pour d'autres encore, le nom Zappa possède une résonance scientifique. Et l'astéroïde ? En 1994, 14 ans après sa découverte, une pétition internationale lancée sur l'internet (première pétition numérique au monde) est envoyée à l'Union Astronomique Internationale : le 22 juillet 1994, l'astéroïde 3834 est baptisé Zappafrank.
Non, Zappa ne se droguait pas
A voir ses innombrables et loufoques personnages, à entendre ses paroles abracadabrantes, on pourrait aisément croire que Zappa puisait son inspiration dans l'usage de certaines substances illicites... Et pourtant, il est en fait farouchement opposé à la consommation de drogues. Dégoûté par son unique expérience avec le cannabis, il se met en guerre contre toute substance hallucinogène, et menace de renvoyer quiconque de ces musiciens sous emprise de drogues pendant ses concerts. Dans les années 1960, il enregistre même une série d’annonces pour la radio contre la consommation de stupéfiants :
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Personnalité contradictoire, Zappa le grand fumeur de tabac (son « légume préféré ») se prononce également contre la War on Drugs américaine qu'il compare à la prohibition. Convaincu que le gouvernent lui-même est impliqué dans le trafic de drogues, il en fait souvent référence dans ses paroles : « laissez mon nez tranquille » dans la chanson Drafted Again fait référence à la cocaïne fournie aux soldats américains envoyés au Viêt-Nam.
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Sa musique est considérée comme dangereuse
« Oui j'écris des chansons stupides, et alors? [...] Mes textes visent à distraire, pas à se faire analyser », déclare Frank Zappa dans son autobiographie. Stupides pour certains, les chansons de Frank Zappa seraient même dangereuses, accusation qui ne reste pas lettre morte : l'album Jazz from Hell (1986), strictement instrumental, est uniquement distribué dans certains magasins américains sous condition de porter un avertissement parental de contenu choquant !
Le 14 février 1986, au Sénat du Maryland, Frank Zappa se retrouve face au Parents Music Resource Center, organisme de surveillance de la production musicale américaine, pour débattre sur l’étiquetage des albums jugés nocifs pour la société. Enregistrés, Zappa se joue de ces débats en les intégrant dans son album suivant : Frank Zappa meets the Mothers of Prevention. Pour contourner à sa façon la surveillance culturelle du PMRC, il intègre à la pochette sa propre étiquette d'avertissement : « Cet album contient du matériel qu'une société vraiment libre ne saurait craindre ni supprimer ».
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Zappa, symbole de liberté... tchèque?
Formé en plein Printemps de Prague (1968), le groupe de rock avant-gardiste The Plastic People of the Universe devient la voix du peuple tchèque contre la « Normalisation » . Inspiré par Frank Zappa et sa musique, notamment par la chanson « The Plastic People », Zappa devient le symbole de la contre-culture à Prague. L'attitude répressive du gouvernement communiste de Gustáv Husák contre le groupe déclenche une pétition officielle en 1976, intitulé la « Charte 77 », initiée notamment par Vaclav Havel, dramaturge et futur président tchèque, parmi d'autres personnalités tchèques.
Ce n'est qu'en 1990 lorsqu'il est invité à Prague par Havel que Zappa découvre pour la première fois l'ampleur de son influence sur la contre-culture tchèque et l'admiration que le pays lui porte. Havel propose même au musicien plusieurs postes ministériels, dont celui du ministre de la culture, mais le gouvernement américain intervient rapidement, interdisant une telle nomination. En 1991, Zappa accorde à la capitale un dernier grand honneur : il monte sur scène pour l'un des derniers concerts de sa vie.
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Président Zappa.
Les aventures de Frank Zappa au Congrès américain et en Tchécoslovaquie font croître en lui certaines aspirations politiques. Ces dernières sont pour le moins surprenantes : ayant refusé une invitation du parti Libertaire pour devenir leur futur candidat aux élections présidentielles, Zappa annonce en 1989 : « Politiquement, je me range (on ne rit pas) parmi les conservateurs pragmatiques. Je suis pour un gouvernement réduit, moins interventionniste, et pour l'allègement des impôts »...
Le 15 avril 1991, Zappa officialise sur une radio de Berkeley sa candidature présidentielle. Fidèle à lui-même, la campagne de Zappa sort aussi des sentiers battus : il communique uniquement par la télévision, et n'organise aucun rassemblement public. Hélas, pour ceux qui espéraient voir Zappa à la Maison Blanche, ce dernier se retire de la course présidentielle après l'annonce - involontaire - de son cancer de la prostate. En novembre 1991, huit mois à peine après s'être lancé, Frank Zappa met fin à ses ambitions politiques.