Gaetano Donizetti : 10 (petites) choses que vous ne savez (peut-être) pas sur le compositeur
Par Nathalie Moller
Un destin tragique, un procès avec Victor Hugo et un os disparu de sa dépouille… l’histoire du compositeur Gaetano Donizetti est aussi surprenante que méconnue ! 10 (petites) choses que vous ne savez (peut-être) pas sur le compositeur de L'Elisir d'amore, de Lucia di Lammermoor ou de Don Pasquale.
Les noms de Rossini, Bellini et Verdi sont généralement plus connus que celui de Donizetti. Et pourtant ! Au même titre que ses trois compatriotes, le compositeur italien fait partie de la fine fleur musicale du XIXe siècle.
Gaetano Donizetti, c’est plus de 70 opéras composés et l’apogée du Bel Canto - cette technique caractéristique du romantisme à l’italienne, qui met en valeur le chant par le biais de grands airs ou d’impressionnantes vocalises.
Mais le saviez-vous ? Donizetti a aussi composé une quinzaine de symphonies, 18 quatuors et des oeuvres de musique sacrée. Et ceci n’est qu’une mise-en-bouche, car il vous reste encore 10 (petites) choses à (re)découvrir sur ce prolifique Maestro !
Le Désert des Tartares
Dans Le Désert des Tartares, l’écrivain Dino Buzzati raconte l’histoire d’un lieutenant, Giovanni Drogo, qui attend désespérément une guerre qui n’aura jamais lieu. Un roman qui n’est pas sans faire écho aux jeunes années de Donizetti. Enrôlé dans l’armée italienne pour subvenir aux besoins de sa famille, lui aussi attend. Sauf qu’il n’espère pas l’éclatement d’un combat, mais plutôt l’opportunité de gagner sa vie grâce à la musique.
Le temps est à la paix et, pour combler l’ennui de la vie de caserne, Donizetti compose des opéras. Grâce au soutien de son premier professeur de musique, Giovanni Simone Mayr, il reçoit même quelques commandes. C’est ainsi que le succès de Enrico di Borgogna, créé en 1818 à Venise, lui permet de quitter son habit militaire et de s’engager sur un autre front : celui de la composition.

Bellini, Bel Ami
A l’aube du XIXe siècle, Vincenzo Bellini est un beau et brillant jeune homme, compositeur favori de la bonne société italienne. Il est donc le rival de notre Donizetti. Car tous deux se consacrent principalement à l’opéra, et tous deux aiment mettre en valeur le chant.
Amis ou ennemis ? N’en déplaise aux amateurs de querelles, la jalousie entre Donizetti et Bellini ne se résume qu’à deux ou trois anecdotes. Les deux compositeurs s’apprécient et, lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois à Naples en 1822, Bellini est même charmé par le caractère jovial de son concurrent.
En 1835, Donizetti est en pleine répétition de son opéra Lucia di Lammermoor lorsqu’il apprend la mort précoce et violente de Bellini (âgé de 33 ans). Profondément bouleversé, il s’enferme dans son cabinet de travail pour composer un Requiem, en hommage à son ami.
Rapide comme l’éclair
Donizetti pourrait bien figurer dans le livre des records : il a composé 70 opéras en moins de 30 ans ! L’artiste est inspiré, mais pas seulement : il compose vite, très vite. L’élixir d’amour ? Achevé en moins de 15 jours (selon la légende). Lucia di Lammermoor ? Six semaines de travail seulement. Ce n’est pas pour rien que les Napolitains le surnomment Dozzinetti (dozzina signifiant douzaine en italien).
Adolescent, Donizetti étudie au prestigieux Liceo Musicale de Bologne, au côté du père Mattei (ancien professeur de Rossini) et, déjà, sa créativité tout comme sa rapidité d’exécution étonnent. Avant l’âge de 20 ans, il a déjà achevé trois opéras. « L’on trouve un sujet agréable, le coeur parle, la tête anticipe et la main écrit », explique-il plus tard, dans ses correspondances. Une facilité pour le moins déconcertante.
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Un opéra comme un bon petit plat
Au fond, si le Maestro Donizetti est si efficace, c’est parce qu’il sait appliquer la bonne recette de composition. Prenez d’abord un bon livret, théâtral, enchaînant les petits numéros. Ajoutez-y de grandes voix capables de faire face aux arias belancantistes façon Rossini. Faites travailler, répéter.
Commencez votre opéra par une charmante sinfonia puis introduisez le choeur. Veillez à bien retarder l’entrée sur scène de la prima donna, pour ne pas casser l’effet de son grand air. Puis allez-y ! Faites chanter les passions, l’amour, la jalousie ! Enfin, selon la trame de fond, ajoutez ou non une petite pincée d’humour.
En procès avec Victor Hugo
L’art et la manière de Donizetti ne convainc pas tout le monde, notamment l’éminent homme de lettres Victor Hugo. Lorsque sa pièce Lucrèce Borgia est transformée en un opéra italien et jouée à Paris, en 1840, il intente aussitôt un procès pour contrefaçon.
Hugo remporte son combat juridique et pour jouer le Lucrezia Borgia de Donizetti, il faudra désormais en changer le nom (Nizza di Grenade, La Rinnegata) ainsi que la mise en scène (époque, costumes et lieux).
Il a souvent été dit que Victor Hugo n’aimait pas qu’on mette ses mots en musique, mais la vérité est peut-être plus subtile. Pour Hugo (et ses avocats), le drame théâtral doit être au plus proche de la réalité tandis que l’opéra, parce qu’il est chanté, ne peut poursuivre ce même idéal. Il est illusion.

Le rire médecin
Si l’opéra est illusion, celle-ci a certainement été un indispensable échappatoire pour Donizetti. Car l’une de ses spécialités, c’est notamment l’humour. L’élixir d’amour (1832), La fille du régiment (1840), Don Pasquale (1843) : autant de comédies dans lesquelles s’affrontent un vieux grincheux et des amoureux transis.
Or la légèreté et l’optimisme portés par ces oeuvres ne reflètent en rien la réalité de leur compositeur. Il y a d’abord son enfance, pauvre, difficile. Sans l’indéfectible soutien du maître de chapelle Mayr et son école de musique charitable, Donizetti n’aurait peut être jamais appris la musique.
Puis survient la maladie, qu’il contracte pour la première fois à Naples, en 1829. Probablement la syphilis, dont il subit les régulières réapparitions jusqu’à ce qu’elle ne l’achève, en 1848. S’ajoute à cela le deuil de ses deux enfants en bas âge, et la mort de sa femme Virginia, en 1837.
Un Italien à Paris
« Donizetti a l’air de nous traiter en pays conquis, c’est une véritable guerre d’invasion ». Charmant accueil que celui d’ Hector Berlioz, qui témoigne (à sa façon) de la popularité de l’opéra italien à Paris, en ce milieu de XIXe siècle.
Donizetti s’installe dans la capitale française après la mort de sa femme et y devient l’un des compositeurs les plus populaires, notamment grâce au succès de ses œuvres chantées en français - La Fille du régiment (1840), La Favorite (1840), Dom Sébastien (1843).
Une rue porte aujourd’hui son nom dans le XVIe arrondissement de la capitale, mais aucun hommage officiel ne lui a pourtant été rendu au lendemain de sa mort, en 1848. Il faut dire que l’épisode parisien du compositeur s’est plutôt mal terminé, mêlant famille italienne, police française et puissants de la cour de Vienne…
Scènes de folie
Dès le début des années 1840, l’état de santé de Donizetti se détériore. Résidant à Paris entre deux voyages, le compositeur sombre peu à peu dans la folie. Il s’amaigrit, plonge parfois dans l’hilarité quand il est n’est pas paralysé, hébété. Avec l’autorisation de son neveu Andrea, Donizetti est interné durant 13 mois, dans un hôpital d’Ivry.
Survient après cet internement une affaire politique. La famille du compositeur voudrait qu’il puisse rentrer en Italie, à Bergame, mais les autorités et médecins français déconseillent ce voyage. Des policiers sont alors postés en bas de son immeuble pour empêcher son départ. Les autorités françaises veulent-elles sincèrement protéger le musicien ? Ou plutôt que cet illustre artiste rende l’âme sur leur territoire ? Mystère. Et seule l’intervention de la cour de Vienne - où Donizetti possède le titre de maître de chapelle - permet finalement la ‘libération’ du compositeur.
Une histoire d’os
Gaetano Donizetti s’éteint le 8 avril 1848 à Bergame, sa ville natale. Mais son histoire ne s’arrête pas là… Enterré dans un premier temps dans le cimetière de la ville, sa dépouille est exhumée en 1875 pour être transférée dans l’église Santa Maria Maggiore. Or, au cours de cette macabre opération, on constate que la calotte crânienne du compositeur a disparu.
L’enquête est menée et le bout de crâne découvert dans une charcuterie. Histoire étonnante : le médecin légiste chargé de l’autopsie avait en fait conservé la calotte crânienne du musicien pour des études. Après son décès, ses affaires furent mises en vente et c’est un charcutier qui prit possession du crâne. Il s’en servit pour ranger ses pièces de monnaie, sans savoir qu’il possédait là un tout petit bout du célèbre Donizetti !

Merci qui ? Merci Callas !
L’oeuvre de Donizetti est peu à peu tombée dans l’oubli. A qui la faute ? Probablement au fait que la mode a changé, mettant de côté l’art du Bel Canto au profit du vérisme, plus réaliste. L’immense succès de Giuseppe Verdi a aussi contribué à occulter ses prédécesseurs. Mais si Donizetti a été mis de côté, négligé, c’est aussi parce que son oeuvre lyrique est tout à fait singulière.
Chacun de ses rôles d’opéra a été écrit sur mesure, pour l’une des grandes voix de son époque : la Pasta, la Malibran, Gilbert Duprez… Le compositeur a mis son art au service des chanteurs et ce sont eux qui, près de cent ans après sa mort, feront redécouvrir ses notes.
En 1957, Maria Callas triomphe à la Scala de Milan dans le rôle titre d’Anna Bolena. C’est le début de la Donizetti Renaissance : on dépoussière (enfin) les partitions du Maestro et les plus grand(e)s interprètes - Maria Callas, Joan Sutherland, Montserrat Caballé, Luciano Pavarotti ou plus récemment Nathalie Dessay et Juan Diego Florez - se chargent de faire honneur à ses œuvres.
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Pour en savoir plus :
- DE VAN Gilles, Gaetano Donizetti, Bleu Nuit éditions, 2009
- LABIE Jean-François, L'opéra italien : Donizetti, Bellini, Verdi dans Histoire de la musique occidentale (Jean et Brigitte MASSIN, dir.), Fayard, 1985
- THANH Philippe, Donizetti, coll. Classica, Actes Sud, 2005