Grossesse et musique : Julie Fuchs, Airelle Besson et Sofi Jeannin témoignent

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Grossesse et musique : Julie Fuchs, Airelle Besson et Sofi Jeannin témoignent

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Sofi Jeannin dirige, enceinte, le Chœur de Radio en 2018.
Sofi Jeannin dirige, enceinte, le Chœur de Radio en 2018.
© Radio France - Mathieu Génon

Comment les musiciennes, qui exercent un métier physique, sous le feu des projecteurs, vivent-elles la grossesse ? Premiers mois, accouchement, post-partum et reprise de leur activité, trois professionnelles témoignent en vidéo.

La soprano Julie Fuchs, la cheffe de chœur Sofi Jeannin et la trompettiste Airelle Besson ont toutes trois été enceintes entre 2017 et 2018. Comme toutes les femmes, elles ont vécu une grossesse unique, qui a eu des conséquences différentes sur leur carrière professionnelle. Femmes de scène, elles ont dû s’adapter aux difficultés parfois tant physiques que psychologiques.

La grossesse

« Pour ma part, le premier trimestre était très difficile, avec des nausées, des vomissements, jusqu'à ne pas pouvoir me rendre sur le podium au début d'une répétition parce que j'étais malade », explique Sofi Jeannin. La cheffe de chœur, directrice de la Maîtrise de Radio France et des BBC Singers, dirige à la fois des chanteurs et des orchestres, un rôle qui la place au centre d’une masse sonore imposante. Enceinte, elle a pu constater que ce choc sonore pouvait être dangereux pour elle si elle ne restait pas vigilante.  « Je me souviens particulièrement d'une générale d'une Carmina Burana, avec une masse sonore vocale, mais aussi des percussions. Le bébé dans le ventre a commencé à sauter, rebondir, se retourner.... Je partais en évanouissement et je ne m’en étais pas rendue compte. »   

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Sofi Jeannin a pu continuer à diriger jusqu’à un mois avant son accouchement. Ce n’est pas le cas d’Airelle Besson, trompettiste de jazz, qui dès les premiers mois a vécu une grossesse très difficile, qui l’a rendue extrêmement faible. « J'étais obligée de rester au lit, j'ai perdu à peu près dix kilos en deux ou trois mois et j’ai dû arrêter toute mon activité artistique au deuxième mois », explique la musicienne. Elle était dans l'impossibilité physique de jouer de la trompette et même de composer. A contre cœur, elle a dû annuler ses prestations l’une après l’autre. « C'était la première fois de ma vie que j'ai annulé des concerts et c'était vraiment la seule raison pour laquelle je pouvais le faire. Les soirées où j'aurais dû jouer dans un grand festival, comme Jazz à Vienne, pour les 80 ans de Rhoda Scott sur scène... Devoir annuler, c’était vraiment un moment très douloureux. »  

Contrairement à la trompettiste, la soprano Julie Fuchs a bien vécu sa grossesse.  « Je me suis sentie peu gênée par le ventre. Jusqu'à sept mois et demi, huit mois, j'ai pu chanter sur scène avec de grands talons. On a une idée de la femme qui, dès qu'elle a un ventre, est empêchée. C’est faux », assure Julie Fuchs.  La grossesse lui a même permis physiquement d’asseoir des changements dans son évolution vocale. « La voix développe des harmoniques. Je me sentais avec un répertoire, avec une tessiture, un peu plus riches dans le médium », se souvient-elle.  

Mais elle a physiquement bien vécu cette période, la chanteuse s'est heurtée à des freins extérieurs. Embauchée par l'opéra d’Hambourg pour jouer Pamina dans La Flûte enchantée, elle a été exclue au dernier moment de la production, en raison des « risques » liés à la mise en scène. « Je devais être sur une petite balançoire à un mètre du sol et pour des raisons de sécurité, il faut mettre un harnais. Or, les femmes enceintes ne doivent pas en mettre. On m'a dit qu'on pouvait changer la scène... J’ai préparé mon rôle, fait mes coachings, réservé mon appartement … puis finalement on m’annonce que non. Des hommes dans un bureau ont décidé que c’était plus facile de changer de soprane que de changer 5 minutes de scène. » La chanteuse, enceinte de quatre mois, affirmait pourtant se sentir « physiquement et vocalement en forme » et elle a d’ailleurs continué à se produire dans d’autres opéras européens.  En 2019, elle est parvenue à un accord avec l’opéra d’Hambourg, qui lui a versé l’intégralité de son salaire.   

L’accouchement et le post-partum

« Le jour de l’accouchement, le fait d'être trompettiste et de maîtriser le souffle, la respiration, ça m'a grandement aidé », explique Airelle Besson. L’accouchement s’est bien déroulé dans un premier temps, mais la musicienne a été rapidement transportée au bloc en urgence. « Il y a eu de grosses complications... On a la chance d’être au XXIe siècle en France dans un environnement médical qui marche très bien ».  Après une grossesse difficile et un accouchement à risque, le rétablissement est fastidieux.  « Quand je suis rentrée chez moi, les médecins m'ont dit : “On ne vous cache pas qu’avec ce que vous avez subi, ça va prendre du temps. Et effectivement, les premiers mois, tout simplement marcher dans la rue c’était compliqué, je me suis demandé comment j’allais en sortir de tout ça... »

Sofi Jeannin avait 42 ans lorsqu’elle a accouché. « Il y avait quand même des risques mais je suis soulagée que tout se soit bien passé physiquement », explique-t-elle. « Mais je dois dire que ce bouleversement hormonal qu'on peut avoir après m'a atteint très fortement. » La cheffe a subi une dépression post-partum, un épisode dépressif sur la durée qui toucherait entre 10 % et 15% des femmes après l’accouchement. « J'ai dû commencer à diriger quand mon bébé avait six semaines. Et pendant peut-être trois mois, j'ai eu beaucoup de mal à cacher ma tristesse devant les gens. Je croyais que c'était le stress qui me faisait avoir ces inquiétudes. Quand j'ai commencé à avoir une angoisse de la séparation du bébé très forte, même à un point où j'imaginais qu'il n’était pas à moi et que quelqu'un allait venir le prendre, je suis allée consulter. »

Le rétablissement physique 

Les trois musiciennes insistent sur l’importance de la rééducation, pour toutes les femmes et notamment dans le milieu musical. « En tant que trompettiste j’utilise mon périnée, il est tout le temps en action quand je joue. Il faut donc être très attentive et très sérieuse dans la rééducation », assure Airelle Besson.  

« Ma sage-femme comparait le corps des athlètes de haut niveau à celui des chanteuses », raconte Julie Fuchs. « La rééducation du périnée pour les chanteuses doit d’ailleurs s’accompagner de la rééducation abdominale, et il faut vérifier cela tout au long de la première année. » Elle explique notamment avoir dû retravailler sa rééducation six mois après l'accouchement. « Je me suis retrouvée dans “le Turc en Italie”, dans une mise en scène très active où je chantais dans toutes les positions possibles et ma rééducation n’a pas été suffisante. Il a fallu que je reprenne un peu de travail.  »

La reprise professionnelle

Après cette période de bouleversement physique et psychologique, les musiciennes ont retrouvé la scène assez rapidement.  « Ce que j'ai trouvé difficile, plus que vocalement, témoigne la soprano, c'est de revenir dans un rôle. C'était Eurydice dans Orphée aux Enfers d’Offenbach - où je devais être en mini-short, faire rire, être légère et sexy. Je n'avais aucune envie de ça. »  

Après des mois d’arrêts forcés, Airelle Besson doute de ses capacités, alors qu’elle doit revenir sur scène, à la Philharmonie de Paris. « Je me suis retrouvée à me dire : Comment, par où je recommence ? », se rappelle-t-elle. Elle demande alors de l’aide à son ancien professeur au Conservatoire. « Je l'ai appelé et je lui ai dit “Dans un mois et demi, j'ai un concert. Est-ce que tu penses que je suis capable ?" Et il m'a coachée comme une sportive .» Après un travail minutieux, avec plusieurs exercices par jour, tout en étant jeune maman, la trompettiste reprend son endurance. « Ça a été un régime draconien, très strict. Il ne fallait pas faire d'écarts. »

Sofi Jeannin a pu bénéficier d’un congé post-accouchement en tant que chef de chœur à Radio France, mais elle avait signé des contrats extérieurs bien avant sa grossesse, qui ne lui permettaient pas d’être flexible.  « J'étais dans une condition où, si je ne remplissais pas mon contrat, si je ne l’honorais pas, non seulement je perdais le cachet, mais je devais rembourser les frais de déplacement. Et quand le déplacement est à Singapour ou en Nouvelle-Zélande ou à Dubaï, ce n'est pas quelque chose qu'économiquement, je pouvais me permettre. »

« Au final, ce n'est pas évident. On a évoqué le côté négatif, difficile, pendant un an, on s'arrête... conclut Airelle Besson. Mais, je pense que le fait d'avoir arrêté un an, ça fait un break forcé et je suis revenue, encore plus chargée d'envie, de volonté de jouer. Et le concert à la Philharmonie était magique. »