Gustavo Dudamel à l'Opéra de Paris : décryptage d'un "coup de foudre"
Par Louis-Valentin Lopez
Le chef vénézuélien Gustavo Dudamel vient d'être nommé directeur musical de l'Opéra de Paris, et prendra ses fonctions le 1er août. Pourquoi ce choix ? L'analyse du journaliste et critique musical Christian Merlin pour France Musique.
C'est une star, renommée mondialement, qui s'apprête à succéder à Philippe Jordan en tant que directeur musical de l'Opéra de Paris : Gustavo Dudamel. Une nomination justifiée avant tout par un "coup de foudre", il y a quatre ans, lorsque le chef vénézuélien a dirigé La Bohème à Bastille. Mais le choix s'explique aussi peut-être par une volonté de l'Opéra de se démocratiser davantage, de toucher de nouveaux publics, et de poursuivre une politique en faveur de la diversité. Précisions avec le journaliste et critique musical Christian Merlin.
FRANCE MUSIQUE : Selon vous, qu’est ce qui a motivé en premier lieu la nomination de Gustavo Dudamel par l'Opéra de Paris ?
CHRISTIAN MERLIN : Clairement, c’est lorsque Dudamel a dirigé pour l’Opéra La Bohème, en 2017. On a tout de suite senti qu’il s’était passé quelque chose. Le courant est passé avec l’orchestre, on peut même parler de coup de foudre. Il est toujours très important de repérer ce genre de choses, car il est essentiel que l’alchimie se fasse entre un chef et son orchestre. Ça a été je pense un argument de poids quand on a commencé à se poser la question de la succession de Philippe Jordan.
Sa notoriété a-t-elle aussi joué, Gustavo Dudamel étant l’un des chefs d’orchestre les plus en vogue du moment ?
Évidemment, c’est forcément une belle prise pour une grande maison d’Opéra d’avoir une star de la baguette. Était-ce un critère si important ? On aurait pu faire un raisonnement inverse : Philippe Jordan, lors de sa nomination, était un chef en devenir, sa carrière était encore à construire. On avait fait là le pari de l’avenir. En revanche, cette fois avec Dudamel, on choisit quelqu’un qui est pleinement connu, célèbre, qui a déjà fait ses preuves.
L’heure n’était peut-être pas au pari sur l’avenir étant donné la situation assez compliquée de l’Opéra de Paris en ce moment, avec des finances mal en point ?
Oui, effectivement. Mais ça pose une autre question : était-il raisonnable de recruter un chef star, sachant qu’en général les grandes baguettes ne sont pas forcément bon marché ? Le directeur de l’opéra Alexander Neef est tout à fait clair là-dessus, disant que l’on ne peut pas faire n’importe quoi. On est tenu par le fait que l’Opéra de Paris est un établissement public, que les comptes sont contrôlés par l’Etat, et qu’en plus il existe une sorte de modus vivendi entre directeurs d’Opéra pour tenir les cachets dans une certaine limite. De ce point de vue-là, c’est quelque chose à suivre de près.
On ne connaît en général pas les cachets et les salaires en Europe, contrairement aux États-Unis où cela est rendu public. Mais c’est évidemment une question qui s’est posée
Y-a-t-il donc aussi un côté "belle vitrine" avec la nomination de Dudamel, une volonté de relancer la machine de l’Opéra de Paris ?
Oui, bien-sûr. Relancer, il faut nuancer. L’Opéra a effectivement besoin d’être relancé à cause des crises sociales, économiques et sanitaires. Mais sur le plan musical, Gustavo Dudamel prend une maison en parfait état de marche. Philippe Jordan lui laisse un orchestre qui est dans une forme et d’un niveau absolument éblouissant.
La question qui s’est posée, c’est par rapport aux attentes qu’on a d’un directeur musical à l’Opéra. Gustavo Dudamel a fait sa réputation sur le répertoire symphonique essentiellement. Le métier de chef d’opéra est quand même une discipline à part, et à part entière. Jusqu’ici, il était peu connu sous cet angle là. Au point qu’on pouvait se demander s’il était suffisamment expérimenté comme chef lyrique, comme chef de fosse, où il faut non seulement s’occuper de l’orchestre mais des chanteurs, des chœurs, de la partie scénique. Quand on lui pose la question, Dudamel dit qu’il a toujours adoré l’opéra. Que quand il faisait ses études de direction d’orchestre au Venezuela, son professeur José Antonio Abreu le familiarisait énormément avec le répertoire lyrique. Que certes, il en a fait moins que du symphonique, mais il en a fait plus qu’on le pense.
Il est fier de dire qu’il a dirigé plus d’une trentaine de productions lyriques jusque là. Il faudra vraiment suivre ça : à savoir est-ce qu’il est aussi bon en lyrique qu’en symphonique.
Gustavo Dudamel est très connu des amateurs de musique classique, mais pas que. Il a son étoile sur le Hollywood Boulevard, a dirigé des enregistrements pour la saga Star Wars, a inspiré un personnage de la série Mozart in the Jungle… Il y a aussi cette volonté chez Dudamel de démocratiser la musique classique ?
Complètement, c’est même à la base de son engagement et de sa vocation, comme lui-même a démarré petit enfant et connu ce parcours exceptionnel vers la gloire grâce à la musique. Lui a envie de restituer ça, et c’est vrai qu’il ne crache pas du tout sur l’aspect star-system. Mais pas forcément pour sa propre gloriole, mais aussi pour faire tout un travail d’éducation, de transmission. Quand il a été nommé directeur musical du Philharmonique de Los Angeles, il était évident qu’une grande partie de son activité allait être d’apporter la musique par exemple au jeune public latino, très nombreux en Californie. Et ça, partout où il passe, il le fait, c’est pour ça que ça peut être quelque chose de très intéressant pour l’Opéra de Paris.
Justement, l’Opéra de Paris s’est engagé en février pour plus de diversité. En nommant un chef avec cette volonté d’inclusion, n’est-ce pas aussi un moyen de redorer une image un peu ternie par des accusations de manque de diversité ?
Ça peut l’être, si Dudamel a le temps et l’énergie pour, en plus de ses fonctions de directeur musical, de faire aussi à Paris ce travail qu’il a fait partout. D’aller chercher les publics là où ils sont et d’ouvrir au maximum. Ce travail d’éducation et d’action culturelle peut être une très belle carte à jouer pour l’Opéra de Paris."