Gustavo Dudamel : « Chaque jour je sens une proximité qui s’établit avec l’Opéra de Paris »

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Gustavo Dudamel : « Chaque jour je sens une proximité qui s’établit avec l’Opéra de Paris »

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Gustavo Dudamel, Directeur musical de l'Opéra national de Paris
Gustavo Dudamel, Directeur musical de l'Opéra national de Paris
- Stephan Rabold

À l’occasion d'une journée spéciale à son honneur sur France Musique, le nouveau directeur musical de l’Opéra national de Paris Gustavo Dudamel nous fait part de ses premières expériences à la tête de la maison lyrique française, et de l’avenir prometteur de l’institution sous sa direction musicale.

Propos recueillis le 9 février 2022 par Jean-Baptiste Urbain à l'Opéra Garnier, et retranscrits par Léopold Tobisch.

Cela fait désormais sept mois que Gustavo Dudamel est arrivé au poste de Directeur musical de l’Opéra national de Paris. Comment le chef vénézuélien a-t-il vécu son arrivée et ses premiers moments sur scène ? « La première sensation c’est cette beauté, ce lieu qui s’impose à vous. Cette salle est une référence dans le monde entier, notamment parce qu’on y produit des œuvres d’art mais le lieu en lui-même est une pièce majeure, une structure à part », explique Gustavo Dudamel à Jean-Baptiste Urbain, producteur de Musique Matin.

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Musique matin
2h 04

Après avoir dirigé les productions de Turandot de Puccini à l’Opéra Bastille et Les Noces de Figaro à l’Opéra Garnier (production à découvrir sur France Musique samedi 26 février), le chef a fait connaissance des deux salles de l’Opéra de Paris, deux faces très distinctes de la même médaille, précise le chef : « Les deux salles ont chacune leur personnalité. À Bastille, vous avez une salle imposante, majestueuse et moderne. Garnier, c'est un théâtre, un opéra classique, très beau. Les deux sont très impressionnants. Tout ce que je peux dire, c’est que j'ai la chance de travailler et de diriger dans ces deux théâtres ! »

Hautement anticipée, l’arrivée marquante de Gustavo Dudamel se fait néanmoins dans une période difficile et incertaine, sous l’ombre d’une pandémie qui ne cesse de bouleverser le monde de la culture et du spectacle. « Nous vivons des moments très compliqués et  chaque jour est un défi. […] Mais je pense que les crises offrent de grandes opportunités et qu'au final, nous serons plus forts et pourrons d'autant plus apprécier ce que nous faisons. Nous gagnerons en souplesse et pourrons changer ce cadre que nous pensons rigide, que ce soit dans l'organisation ou dans la vie de tous les jours » raconte Gustavo Dudamel.

Cependant, les conditions difficiles actuelles n’ont pas empêché le nouveau directeur musical de s’investir pleinement dans ses nombreuses fonctions, dont sa récente participation au concours de chef de chant : « Pour moi, la direction musicale ne se limite pas à diriger l'orchestre. Il y a aussi la relation avec tout ce qui est musical et tout ce qui est lié au théâtre, et c'est ce que j'apprécie le plus. C'est quelque chose que j'ai déjà vécu au Los Angeles Philharmonic ou avec d'autres orchestres que j'ai dirigé. Tous les processus d'auditions, engager de nouveaux musiciens, tout cela est très important. Vivre cela aux côtés des chefs de chant, cela fait partie du quotidien du directeur musical, et j'aime cela. »

Mais c’est avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris que Gustavo Dudamel entretient sa plus profonde relation, qui s’approfondit progressivement depuis leur première collaboration en 2017 pour la production de La Bohème : « Je sens chaque jour une proximité qui s'établit. Parfois, il n’y a pas besoin de mots, il suffit d'un geste. Et je les comprends mieux également […] Ces cinq derniers mois, nous sommes passés par plusieurs chemins, plusieurs horizons et nous savons un peu dans quelles eaux nous devons naviguer. Tout cela me remplit d'optimisme, car je crois que nous allons pouvoir créer des choses merveilleuses et nous verrons dans les prochaines productions ce qu'il en sera. Mais je suis très heureux de ce potentiel, du niveau, de la qualité artistique et humaine et aussi cette envie de vouloir toujours s'améliorer. »

Un Vénézuélien à Paris

Après le Venezuela et la côte ouest américaine, Gustavo Dudamel ajoute désormais la capitale française comme troisième bureau. Mais si les trajets intercontinentaux risquent d’être longs et fréquents, le chef se réjouit de son nouveau lieu de travail : « Paris est l'un de mes lieux préférés depuis toujours, il y a la culture, et la beauté. Et puis, je me suis senti très bien accueilli […]. L’orchestre et les gens de l'Opéra ont été très chaleureux. Et travailler avec Alexander Neef [le directeur de l'Opéra de Paris, NDLR] un plaisir, mais il n'y a pas que le travail, il y a aussi une belle amitié, il y a un lien très fort. Paris, c'est chez moi maintenant et nous sommes très heureux d'être là ! »

La beauté de la capitale française saura-t-elle retenir l’attention du chef, qui maintient son poste de Directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles ? « Lorsque l'on m'a proposé d'être directeur musical de l'Opéra de Paris, j’ai été obligé de prendre le poste pratiquement au pied levé pour la saison actuelle de 2021-22. Je dois vous avouer que j'avais décidé de prendre une année sabbatique de l'Orchestre de Los Angeles et c'est pourquoi je peux passer ces mois au sein de l'Opéra de Paris. […] Mais ne pas être là ne signifie pas que je suis déconnecté de l'orchestre. Il y aura toujours des séances, il y aura des répétitions, il y aura des auditions. Je serai toujours en contact. Je serai là, mais je ne dirigerai peut-être pas autant tout au long de l'année. »

En pistes !
1h 57

Gustavo Dudamel découvre désormais la culture française et notamment le célèbre public parisien, adversaire souvent redoutable : « Depuis mes premières visites, depuis de nombreuses années, l’accueil a toujours été très chaleureux, je me suis toujours senti très à l’aise. […] Et maintenant, je fais partie de cette communauté. Je crois que le public vous accueille et vous fait sentir comme une partie du lieu. Et puis, il vous laisse vous exprimer avec la musique. Le public parisien est très exigeant, ce qui est très important, il le faut, mais en même temps, il est très ouvert et réceptif. Et il veut profiter, il veut jouir de cet art et je crois que l'art, c'est se sentir connecté et en profiter. »

Sujet non des moindres, le public est une haute priorité pour le nouveau directeur musical, et notamment l’ouverture de l’institution à de nouvelles générations : « Il faut comprendre la culture comme une identité. À partir de là, on peut comprendre cet éloignement des jeunes générations avec l’art en général. Je ne parle pas seulement de la musique classique, mais de tout type d’art. Souvent, l’art peut être enfermé dans des boîtes […] car il est trop souvent intellectualisé. On n’arrive pas à connecter cet art avec les jeunes gens. Je crois que l’art doit être identifié, qu’il faut ouvrir l’espace. J’ai vu ça avec les avant premières que nous offrons au jeune public : c'est fascinant de voir comment ce public se sent connecté avec ce qu’il se passe sur scène ou dans la fosse. C’est comme ça que l’on ouvre l’art à ces jeunes générations, afin qu’elles puissent embrasser cette identité et comprendre ce que nous sommes. »

À la conquête de nouveaux publics s’ajoute une importance croissante accordée au numérique, qui s’est notamment développée pendant cette période de distanciation sans spectacles : « Le numérique et la technologie sont très importants, nous ne pouvons pas nous isoler de cette réalité : elle est là, elle nous entoure, et à l’heure actuelle, la technologie, tous ces espaces sont essentiels et doivent être utilisés au mieux pour atteindre ainsi tout le monde, le public en général, de façon à ce que ce soit l’instrument fondamental qui nous permet de diffuser ce que nous produisons pour l’ensemble du public, sans parler d’une génération en particulier. C’est également un moyen de dépasser les frontières, d’atteindre non seulement un public à Paris, en France, mais dans le monde. »

L’Opéra de demain

Depuis l’arrivée du nouveau directeur de l’Opéra national de Paris, Alexander Neef, d’importantes réformes sont au programme, dans l’espoir de faire sortir l’institution de ses difficultés structurelles. De nombreux projets attendent ainsi Gustavo Dudamel, dont l’annonce récente de la création d’une nouvelle troupe au sein de l’Opéra de Paris :

« C'est un projet qui est toujours en cours. C'est une très belle idée et je trouve que cela permet d'offrir des opportunités à plus de chanteurs […] Il est très important dans un opéra comme l'Opéra de Paris, qui est une référence mondiale, d'ouvrir cet espace pour ces jeunes chanteurs pour qu'ils participent à des nouvelles productions, qu'ils travaillent dans l'opéra. C'est un projet qui est en cours, que nous consolidons et j'espère que cela deviendra plus concret dans les années à venir. »

À cela s’ajoute la question de la diversité du recrutement, sujet critique suite au rapport rendu à l'Opéra de Paris en 2021, appelant à revoir les critères de recrutement et encourager l'entrée de davantage d'artistes issus de la diversité. Pour Gustavo Dudamel, c’est un sujet extrêmement important qui ne touche pas seulement l'Opéra de Paris mais le monde entier :

« Il faut faire les choses dans l'ordre. Il faut rester logique. Il faut être inclusif en s'appuyant sur des bases. Il ne faut pas répondre rapidement à une crise. Il faut consolider les bases pour que cela ait un sens et que ce soit juste afin de trouver un certain équilibre. Petit à petit, par les débats, dans des espaces plus sains qui intègrent cette diversité, je pense que l’on peut atteindre quelque chose de très important. C’est essentiel, d’autant plus pour moi, rendez-vous compte ! Je suis un Vénézuélien en France et je me sens totalement inclus dans une famille qui possède une énorme tradition et qui ouvre le champ des possibles, beaucoup de possibles. C'est essentiel de montrer cela et en faire profiter à d'autres. Ouvrir les bras de l'inclusion dans cette institution pour construire quelque chose de solide, de ferme et quelque chose qui ne disparaisse pas avec le temps. »

Arabesques
1h 29

Cette volonté d’inclusion se fait également ressentir dans la programmation du chef, qui a fait preuve d’une ouverture musicale dès son concert inaugural en invitant pour la première fois au sein de l'Opéra de Paris la musique du compositeur américain John Adams. La musique de l’Amérique du Nord et du Sud suivra-t-elle Gustavo Dudamel à Paris ? « C'est une façon, à mon sens, de faire tomber les frontières. Il faut voir la musique comme une force universelle. Lorsque nous avons interprété John Adams, John Adams est devenu Français. Quand on a interprété la musique latino-américaine de Golijov, elle prend corps avec l'orchestre et l'orchestre devient plus latino, mais il apporte également ses propres nuances à la musique. Alors, nous allons lancer beaucoup de musique et nous la découvrirons tous ensemble. »

Quant aux envies musicales personnelles du nouveau directeur, dont les opéras de Wagner et de Debussy, Gustavo Dudamel ne laisse aucune place au doute : « Je ne me dis pas que ça pourrait arriver, j’en suis sûr ! » Des opéras à diriger, mais également des ballets : « J’adore le ballet, c'est un élément essentiel de l'Opéra de Paris et nous avons des projets pour l'avenir. Je suis toujours en contact avec Aurélie Dupont [la directrice de la danse de l'Opéra de Paris, NDLR]  nous travaillons bien évidemment sur des projets. Nous allons bientôt créer un nouveau ballet, une nouvelle œuvre. […] Je suis très heureux parce que le ballet de l'Opéra de Paris va à Los Angeles pour une célébration au Hollywood Bowl. Mais je souhaite également reprendre un répertoire plus traditionnel du ballet, et ce sera pour moi un privilège de pouvoir le diriger. »

Avide des enregistrements de disques, Gustavo Dudamel a-t-il l’intention de graver de nouveaux sillons avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris ? « Les enregistrements font partie de ma vie, ils permettent de créer un lien entre ce que l’on peut voir sur scène, c'est très important pour moi. […] Cela fait partie d’une volonté de créer des archives, de montrer ce que l'on peut créer à un moment précis. Donc oui, il y a des projets à l'avenir, notamment des opéras et des symphonies. »

Le van Beethoven
58 min