Heureux comme un artiste en résidence à Jazz sous les Pommiers
Par Lucie Bombled, Louis-Valentin Lopez
La 40e édition du festival a tenu toutes ses promesses. France Musique s'est entretenu avec quatre artistes résidents : Airelle Besson, Anne Paceo, Fidel Fourneyron et Théo Ceccaldi. Ils nous expliquent ce que signifie être "artiste en résidence". Et pourquoi ces résidences sont essentielles.
Dans les petites rues de Coutances, commune manchoise de 8000 habitants, Anne Paceo, Airelle Besson, Fidel Fourneyron et Théo Ceccaldi sont comme chez eux, et pour cause : ils ont tous été - ou viennent d'être nommés - artistes résidents au festival Jazz sous les Pommiers et au Théâtre municipal de Coutances. Et il suffit de prononcer le mot "résidence" pour qu’une petite étincelle s’allume au fond de leurs prunelles. Les quatre musiciens de jazz, dont le talent n'est plus à démontrer, sont unanimes : la résidence fait grandir, permet de créer, de penser à ce que l'on veut proposer en tant qu'artiste.
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Mais au fait, ça consiste en quoi, être "artiste en résidence" ? "On me demandait parfois : 'mais ça veut dire que tu vas habiter à Coutances pendant trois ans ?' Non, non, je faisais des allers retours !", précise Anne Paceo, 36 ans, batteuse, résidente au festival de 2017 à 2020 : "Artiste en résidence, c’est un compagnonnage sur du long terme. Deux ou trois ans, où l’on va pouvoir faire de la création." Trois ans, un temps "tellement fort et riche", renchérit la trompettiste Airelle Besson, ancienne résidente : "Les résidents, c’est un lieu et un temps unique dans la vie d'un artiste. La possibilité d’avoir le temps de créer, de réfléchir à quelque chose, et d’avoir les moyens de faire quelque chose."
Des créations à foison
La résidence est donc propice à un bouillonnement créatif. "Je pense que ce sont les trois années durant lesquelles j’ai le plus composé de ma vie", raconte Airelle Besson. "C'est une résidence de compositeur associé, donc on écrit pas mal de musique", explique Anne Paceo. Pléthore de moyens sont ainsi mis à disposition de l'artiste pour qu'il puisse s'exprimer le plus facilement et librement possible : salles de répétition, logement, rémunération... "des conditions idéales pour travailler", somme toute.
Forcément, le poste est très convoité. Fidel Fourneyron, qui vient d'obtenir sa résidence, peut en témoigner. "En février, on m'a proposé d'envoyer un dossier. La procédure a été très longue, à cause du Covid. Ils ont reçu plein de dossiers et ils ont fait une première sélection", raconte le tromboniste. Et ce n'est pas fini. "Ils ont rencontré des gens, ont passé des coups de fil, nous ont demandé de préciser un peu nos projets par rapport à ce qu'on allait faire comme création, mais aussi tout ce dont on avait envie. Parce qu'à Jazz sous les Pommiers, il n'y a pas que des créations et des concerts : il y a un gros volet de médiation, de pédagogie, aller à la rencontre des gens qui sont là."
Au plus proche du territoire et de ses habitants
La médiation tient un rôle central pour les artistes résidents. "Je suis en train de construire un projet avec une crèche. C’est une bulle dédiée à l’écoute pour stimuler les petits à un autre espace, où ce n’est pas forcément le langage, la parole, le visuel mais les sons qui sont importants", indique Théo Ceccaldi qui, comme Fidel Fourneyron, vient de commencer (première "double résidence" dans l'histoire du festival) : "Cela me tenait à cœur, lors de ma résidence, d’interagir avec la très très jeune génération."
"Chaque lieu où on fait de la musique, c’est en lien avec un certain public, un certain territoire. Et ce qui est super, c'est que ce sont des gens qui ne sont pas du tout des spécialistes du jazz", souligne Fidel Fourneyron. "Que ce soit des collégiens et lycéens, des résidents en Ehpad, des prisonniers en maison d'arrêt, des patients dans les hôpitaux..." égrène Anne Paceo : "J'ai adoré tous les concerts chez les habitants. On va jouer dans le salon des gens et à l'issue du concert, on se rencontre, on boit des verres, ce sont de très beaux moments de partage. J'ai adopté la Normandie, on s'est adoptées mutuellement."
On tisse des liens très forts avec les gens ici. Évidemment, il y a le festival, mais tout au long de l'année aussi, on rencontre plein de personnes, ici à Coutances, sur le département de la Manche et dans la région Normandie. C'est vraiment comme une seconde maison, une seconde famille" - Airelle Besson
Des projets inoubliables
L'occasion d'inventer, de composer, et de se faire plaisir. Cette année, Théo Ceccaldi a présenté sa première création en tant que résident du festival, intitulée Kutu : un projet où il explore "son rapport aux voix et aux musiques du monde", en collaboration avec deux chanteuses éthiopiennes. Fidel Fourneyron, lui, a dévoilé Bengue, une création autour de la thématique de la migration et de l’exil. Sans oublier un orchestre 100% normand, constitué autour du tromboniste dans le cadre de sa résidence : le Manzana Orquesta.
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Anne Paceo et Airelle Besson se souviennent de projets particulièrement marquants. "J’ai fait une création avec des musiciens birmans, cinq Français, cinq Birmans. Ça a été un boulot monstre pour arriver à monter ça. Certains bénévoles me sont tombés dans les bras en me disant qu’ils n’avaient pas pleuré autant à un concert depuis des années", se remémore la batteuse, un peu émue à l'évocation du souvenir. Émotion partagée par Airelle Besson : "Lors de ma résidence, j'ai été marquée par ma rencontre avec Clémence Colin, une chansigneuse sourde, qui oralise. On a joué sur scène, elle est venue chansigner. Pour aller jusqu’au bout, on avait mis dans les mains des spectateurs des ballons de baudruche pour qu’ils sentent exactement les vibrations, comme un sourd."
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Les résidences font grandir, progresser. Ça m'a permis de vraiment creuser mon écriture et de prendre une vraie direction. Elles sont nécessaires parce que la création, ça ne se fait pas du jour au lendemain, et on a besoin de temps et de conditions appropriées" - Anne Paceo
La résidence est aussi l'opportunité unique de monter des projets un peu fantasques, comme ce concert matinal surprise sur la plage imaginé par Théo Ceccaldi. "En préparant le festival, Denis Le Bas, le directeur, m’a demandé ce que je voulais faire d’un peu fou, une carte blanche. J’ai pensé à un concert sur la plage, ça n’avait jamais été fait lors du festival", raconte le violoniste, ses boucles rousses encore humides après son bain de mer (il s'est jeté à l'eau après le concert).

Pour le moment, le tout nouveau résident trempe les doigts de pied dans les eaux manchoises pour sonder la température et s'acclimater aux lieux. "C'est le tout début de la résidence, donc je découvre le territoire coutançais, même si je connaissais déjà un peu le festival, qui m'avait vraiment donné envie de devenir résident à Jazz sous les Pommiers. Pour l'instant, c'est beaucoup de rencontres avec les acteurs du territoire et beaucoup de rencontres avec l'équipe, pour apprendre à se connaître." Car c'est cela aussi, la résidence : tisser des liens de confiance non seulement avec les habitants mais également le personnel, les techniciens et les bénévoles, qui font chaque année battre le cœur du festival.
La résidence est une aventure de compagnonnage qui s’appuie sur trois axes principaux. La création : encourager la composition en procurant aux artistes un temps long. La formation : déployer un large éventail d’actions de médiation. Enfin, la diffusion : irriguer tout un territoire, en quête de nouveaux publics" - l'équipe de Jazz sous les Pommiers
Une grande famille unie par l'amour du jazz
Pour sa 40e édition, Jazz sous les Pommiers a souhaité marquer le coup avec un inoubliable "Concert des résidents" : dix résidents et ex-résidents ont joué ensemble sur scène, consolidant ainsi les liens qui les unissent. "Quand j'étais ado, j'étais fan de Bojan Z, je l'écoutais en boucle. Je jouais ses morceaux, j'étais ultra fan et là, je me retrouve sur la scène avec lui et on est sur un pied d'égalité, parce qu'on est tous les deux d'anciens résidents. L'ado que j'étais n'y aurait pas cru !", sourit Anne Paceo.
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Etre artiste en résidence, cela implique d'avoir une relation de confiance avec une structure, en l'occurrence ici le festival. Ils vont m'aider à réaliser les choses que j'ai envie de faire et qu'il serait pas possible de faire sans eux. Et puis, c'est aussi à moi de jouer le jeu, de comprendre un peu les choses dont ils ont besoin" - Fidel Fourneyron
Et une fois que le résident a intégré la petite tribu de Jazz sous les Pommiers, il ne repart jamais vraiment. "On sent vraiment qu'on arrive dans une famille. Les Coutançais ont compris le principe des résidences parce que cela fait tellement d'années que c'est instauré. Ils savent que tous les trois ans et un nouveau résident qui arrive et du coup, on sent très bien qu'on a une place à part, un peu privilégiée dans le cœur des festivaliers et des habitants. Et c'est super agréable de sentir ça, de se balader dans les rues et de sentir que les gens sont adorables, bienveillants", confie Théo Ceccaldi.
Ces résidences sont essentielles. Je pense que Coutances est un modèle qui devrait se multiplier en France" - Théo Ceccaldi
Avec la promesse d'une poursuite de carrière radieuse. "J'ai l'impression d'avoir fait un bond", lâche Anne Paceo. "Ça a vraiment été un accélérateur dans ma vie professionnelle", remarque Airelle Besson : "C'est aussi le moment où j'ai commencé vraiment à jouer aussi à l'international, ça ouvre des portes." Une chose est sûre : que ce soit dans dix, vingt ou trente ans, les portes de Jazz sous les Pommiers, elles, resteront à jamais grandes ouvertes pour ses résidents.