Hildegarde de Bingen : Compositrice pionnière et icône médiévale
Par Clémence GuinardAu XIIe siècle, Hildegarde de Bingen est abbesse, écrivaine, peintre, botaniste, femme politique mais aussi compositrice. Retour en vidéo sur la vie et la musique de l’une des plus anciennes compositrices dont on a conservé l’œuvre.
Née en 1098 en Allemagne, Hildegarde de Bingen est la dixième enfant d’une famille noble. Elle entre au couvent à l’âge de 8 ans, prononce ses vœux à 15 ans et à 38 ans elle est élue abbesse. La religieuse devient une femme puissante : elle fonde sa propre communauté et correspond avec des personnages historiques comme Aliénor d’Aquitaine ou l’empereur Barberousse. Elle doit notamment sa célébrité à ses talents de guérisseuse et à ses visions mystiques qu’elle consigne soigneusement, encouragée par le pape.
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Cette vie hors normes est rythmée par le chant et la composition à une époque pourtant où la musique n’est pas unanimement acceptée par l’Eglise. « Tous les couvents et monastères n'avaient pas forcément de musique, explique Aliette de Laleu, journaliste et chroniqueuse radio. On avait à la fois des personnes qui louaient Dieu avec la musique et d’autres qui préféraient le silence, pour aider à la prière. Hildegarde de Bingen a été très claire sur le sujet : elle affirmait que la musique était une manière de soigner l'âme humaine. »
"Une musique expressive et incarnée"
L'abbesse compose pour ses sœurs bénédictines une musique pour les offices, mais déjà très virtuose. Sofi Jeannin, cheffe de chœur de la Maîtrise de Radio France fait chanter les partitions de la compositrice médiévale au XXIème siècle. Elle analyse ses caractéristiques : « Il y a une façon vocale d'aborder sa musique qui est vraiment intéressante pour l'interprète. Elle utilise plusieurs modes, puissants, même dans la monodie (chant à une seule voix). On traverse des moments avec des dissonances, et sa musique est très riche en ornements. C'est très expressif et incarné. »
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Plus de 70 chants liturgiques écrits par Hildegarde ont été conservés mais en plus de la stricte composition, elle aimait mettre en scène les Sœurs, quitte à s’attirer les foudres de ses détracteurs. « Il y a des écrits qui racontent que tout son choeur de religieuses était habillé en blanc, avec des bijoux dorés, des voiles. C'était une sorte de mise en scène déjà théâtrale, explique Aliette de Laleu. C’était décrié parce qu'il fallait une forme de sobriété à l'époque, qui était vraiment recommandée dans la prière. Et elle, au contraire, elle mettait en avant la musique, l'art et l'esthétique. Elle disait qu’il fallait se présenter devant Dieu comme on se présente, face à un mari, en tant que mariée. »
L'abbesse s’aventure même plus loin dans le jeu de la mise en scène avec sa pièce Ordo Virtutum, un drame liturgique, très novateur pour l’époque.
Près de 1000 ans plus tard, la musique d’Hildegarde représente un vrai challenge pour les musiciens contemporains. Les partitions sont en effet écrites sans instructions précises : pas de tempo, pas indications d’intention, de durée, ou de dynamique… Et sans ces informations, il faut rechercher ou deviner l’interprétation la plus fidèle. Pour Sofi Jeannin, il faut « à la fois être investi dans la recherche historique, mais aussi en contact avec son instinct de musicien. On se repose sur certains écrits, des recherches fournies, et sur la façon de jouer des instruments qui accompagnaient la voix. Mais une grande partie reste un mystère. »
De l'Abbaye à la discothèque
Depuis les années 1970, on note un regain d’intérêt pour Hildegarde de Bingen, et notamment pour ses livres de remèdes. En 2012, son nom est largement mis en avant avec sa canonisation. Et sa musique aussi traverse les siècles. Néanmoins, elle demeure encore rarement programmée : non pas parce qu’elle est l’œuvre d’une compositrice, mais plutôt à cause de son « esthétique particulière », d’après Sofi Jeannin. « Ce n'est pas une musique pratiquée dans un rite religieux ou en concert. Elle trouve son public au sein des festivals de musique classique ou de musique médiévale. » Au début des années 1990, néanmoins, les chants d’Hildegarde sont écoutés un temps dans les discothèques, après avoir fait l’objet d’un « remix » avec l’album Vision, et la voix de Sœur Germaine Fritz.
L’héritage d’Hildegarde de Bingen ne se limite pas à ses partitions dans le monde de la musique. D’après Sofi Jeannin, son art transverse peut inspirer les musiciens et musiciennes : « Hildegarde était une compositrice accomplie, mais elle était aussi une peintre extraordinaire, intéressée par la nature, l'alchimie, l'astronomie. Je pense qu’une figure comme la sienne peut permettre aux compositrices et compositeurs d'aujourd'hui de se sentir à l'aise dans plusieurs formes d'art, d’avoir une sorte de liberté pour traverser des frontières. Cette transversalité est pour moi vraiment intéressante. »