Hugh Coltman : « la Nouvelle-Orléans m'a inspiré une sensation entre la fascination et la désillusion »

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Hugh Coltman : « la Nouvelle-Orléans m'a inspiré une sensation entre la fascination et la désillusion »

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Hugh Coltman au festival Jazz in Marciac 2018
Hugh Coltman au festival Jazz in Marciac 2018
© Radio France - Léopold Tobisch

Le festival Jazz in Marciac célèbre cette année le 300e anniversaire de la Nouvelle-Orléans. Parmi les hommages au berceau du jazz, celui de Hugh Coltman qui, malgré un style teinté de nostalgie, en peint une image résolument contemporaine et engagée. Rencontre.

Le festival Jazz in Marciac célèbre cette année le 300e anniversaire de la Nouvelle-Orléans. Parmi les hommages au berceau du jazz, celui de Hugh Coltman, musicien anglais installé en France, dont le style délicieusement vintage semble évoquer un passé glorieux des fanfares de rue et du swing nonchalant , aujourd’hui disparu. Mais avec son nouvel album Who is happy, Hugh Coltman ne chante pas une Nouvelle Orléans qui n’est plus, mais bien celle d’aujourd’hui. Rencontre.

France Musique : Vous êtes Anglais et vous vivez en France. Après un hommage à Nat King Cole, c'est le berceau du jazz qui vous a inspiré votre nouvel album. D’où vous vient cette passion pour la Nouvelle Orléans des années 1930 ?

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Hugh Coltman : Cela fait longtemps que j’écoute la musique traditionnelle de la Nouvelle Orléans j’ai un petit penchant pour Clarence Williams et cet univers musical des années trente. Et quand j’ai commencé à travailler sur le nouvel album dans ma cuisine de Montreuil, j’ai eu une sorte de vision d’un type qui erre dans les rues avec une fanfare complètement déglinguée à la Jim Jarmousch, et cela m’a évoqué la Nouvelle Orléans telle que l’on voit dans la série Treme, avec une population laissée à l’abandon dans un contexte politique et social très difficile. De là est née la première chanson, The Sinner – le pêcheur, qui dénonce l’hypocrisie de la mentalité chrétienne, particulièrement forte dans ce pays aujourd’hui.

Au-delà d’une fascination esthétique pour une période, cet album est pour vous un manifeste ?

En quelque sorte, oui. Quand  j’y suis allé pour la première fois pour rencontrer les musiciens qui joueraient avec moi, j’ai atteri dans un pays pour lequel j’ai une énorme admiration – je suis un fan de blues, et j’ai d’ailleurs commencé là- dedans. C’était excitant d’y être, mais en même temps difficile de constater à quel point il n’y a aucun soutien pour les populations les plus démunies.  J’ai vu des quartiers entiers en ruine qui n’ont jamais été repris en main depuis Katrina, alors que c’était il y a douze ans. J’ai ressenti une sensation douce-amère. C’était fabuleux d’être là-bas, mais quand on voit par exemple que le fameux studio mythique de Cosimo Matassa, où a commencé Fats Domino parmi tant d’autres musiciens qui ont marqué ma musique, est maintenant une laverie, c’est vraiment triste.

Mais en même temps,  il y a plein de choses positives. Pour les populations de la Nouvelle Orléans le jazz est toujours une musique vivante, riche et créative. Cet album est en quelque sorte  une juxtaposition entre l’amour et l’admiration qu’on peut avoir pour un pays et la désillusion que provoque la réalité sur place, lorsque l’on mesure toute la misère des gens qui y vivent au jour le jour.

La musique permet-elle à ces populations de résister malgré tout, même à la violence de la politique de Trump ?

Malgré tout, comme vous dites. L’ère Obama n’était pas non plus tendre, ce n’était pas l’aubaine pour tout le monde. Mais aujourd’hui c’est tellement frontal…Trump fait croire aux plus démunis qu’il va les sauver, alors que c’est eux qui vont le plus souffrir dans les années à venir. Quand il veut créer du travail pour les Américains, c’est louable, mais le libéralisme a pris tant de place dans notre monde d’aujourd’hui, qu’il me semble impossible de revenir en arrière. Le vote de Brexit en est aussi la conséquence, d’ailleurs. Expulser les immigrés sans papier n’est pas une solution. Ceux qui ont voté pour se sont trompé d’ennemi.

Est-ce un album politique ?

Sur certains morceaux oui. J’ai utilisé des citations des gens qui me parlaient de leur vie misérable parce que j’étais personne. C’était intéressant de voir cette face B des Etats Unis loin de New York, San Francisco ou Los Angeles. La Louisiane est un état qui a voté Trump en grande majorité, sauf le pourtour de la Nouvelle Orléans. Les gens se sont dits : on ne comprend rien au discours des politiques, alors que lui, on le comprend. Un discours populiste qui n’est pas propre à l‘administration Trump, qui s’est répandu partout. Par exemple, la chanson The Sinner –le pécheur, qui ouvre l’album, dénonce justement sans parler de religion, cette hypocrisie de la société actuelle américaine, où celui qui est le plus en difficulté n’est pas sauvé, mais lapidé. Ou Sugar Coated Pill qui décrit l’abandon que ressentent les populations de la Nouvelle Orléans, que tout le monde a oublié alors que l’ouragan Katrina est survenu en 2005. Mais je n’utilise pas ma musique comme une arme, je dénonce, et je reste optimiste.

Justement, que peuvent faire les musiciens dans un contexte politique et social si difficile ?

La musique reste une bouffée d’air indispensable, à Nouvelle Orléans comme ailleurs. On peut continuer à jouer. On a une occasion fabuleuse de pouvoir être les personnes qui amènent cette bouffée d’air aux gens qui en ont le plus besoin. Je ne suis pas un militant, mais j’ai le pouvoir d’emmener les gens ailleurs pendant une heure et demie. Comme c’est le cas en France, où la culture est toujours soutenue, et les gens peuvent pour pas trop cher aller au théâtre municipal ou écouter un concert, comme c’est le cas dans ma ville. C’est fabuleux et nécessaire, cela leur permet de se couper de la télé, de s’élever l’espace d’un spectacle. Et nous sommes là pour rendre cela possible.