Iannis Xenakis : 10 (petites) choses que vous ne saviez (peut-être) pas sur le compositeur de Metastasis
Par Léopold TobischCompositeur, architecte, ingénieur et théoricien, Iannis Xenakis est le premier trait d’union entre la musique, les mathématiques et l’architecture. Voici 10 faits et anecdotes que vous ignoriez peut-être sur ce compositeur si singulier.
Menacé de pendaison
Jeune militant engagé, Iannis Xenakis participe à la résistance contre l’invasion italienne en 1940 et l’occupation de la Grèce par les forces de l’Axe jusqu’en 1944. Il rejoint ensuite la compagnie des étudiants communistes de l’Armée populaire de libération nationale grecque, engagés dans une guerre civile contre la monarchie soutenue par l’armée britannique.
Ciblé en 1947 par une purge gouvernementale, Xenakis fuit son pays natal afin de s’installer à Paris. Il est condamné in absentia à mort par pendaison par le gouvernement grec. Ce n’est qu’en 1974 que sa peine de mort est officiellement révoquée. Fier de sa nationalité, il portera en lui une lourde culpabilité d’avoir abandonné, selon lui, le pays pour lequel il s’était battu. C’est à travers sa musique qu’il retrouve une légitimité d’existence et une représentation de son pays :
« J’étais obligé de faire quelque chose d'important pour retrouver le droit de vivre. Ce n'était pas seulement une question de musique - c'était quelque chose de beaucoup plus significatif » admet-il plus tard dans le livre Conversations with Iannis Xenakis.
Une musique marquée par la guerre
Profondément marquantes physiquement, les expériences de guerre de Xenakis ont également une influence musicale. Le compositeur expliquera plus tard qu’il fut notamment fasciné par le jeu sonore des sirènes et des projecteurs. Il est alors motivé de créer un nouveau type d'expérience sonore : « J'ai découvert des choses sur le son qu'on ne m'avait pas apprises, que personne ne m'avait expliquées. Des gens criant par vagues, des balles qui sifflaient dans la nuit, et des explosions ici et là. […] C'était un spectacle à grande échelle qui était très intéressant » raconte-t-il dans une interview avec The Wire en 2008.
A cela s’ajoute l’influence de ses blessures subies lors d’un combat en décembre 1944. Blessé au visage et à l'œil gauche par un éclat d'obus de mortier, son audition est également irrémédiablement endommagée. Il est incapable d'entendre les sons aigus et entend un bourdonnement constant dans son oreille interne pour le reste de sa vie. Xenakis est ainsi contraint de s’adapter à sa nouvelle façon d'entendre et de concevoir le monde sonore :
« Comme mes sens sont réduits de moitié, c’est comme si je me trouvais dans un puits, et qu’il me fallait appréhender l’extérieur à travers un trou […] J’ai été obligé de réfléchir plus que de sentir. Donc je suis arrivé à des notions beaucoup plus abstraites », écrit-il dans Musiques formelles (La revue musicale, 1963).
Assistant du Corbusier
Installé à Paris en 1947, Xenakis cherche du travail. Le jeune ingénieur civil récemment diplômé rejoint le cabinet d’architecture du Corbusier au 35 rue de Sèvres, véritable laboratoire d’expérimentation et de création architecturale. Si Xenakis n’est pas entièrement séduit par ce travail, il y trouve néanmoins un lieu de stimulation et de liberté intellectuelle qui aura une influence déterminante sur sa musique à venir.
En 1958, il se voit confier la conception du Pavillon Philips pour l'Exposition universelle à Bruxelles, conçu pour abriter un spectacle multimédia célébrant les progrès technologiques de l'après-guerre. Pour cet édifice éphémère aux formes organiques et aux paraboloïdes hyperboliques, Xenakis s’inspire du manuscrit graphique de son œuvre Metastasis, composée quelques années plus tôt, dont les paramètres musicaux sont inscrits sur des axes permettant de montrer le mouvement du temps et du ton.
Rejeté par tout le monde, sauf par Messiaen
Ingénieur diplômé et assistant du Corbusier, la carrière de Iannis Xenakis semble être naturellement tracée. Mais il porte en lui une autre passion qu’il travaille autant que possible depuis des années : la musique. Souhaitant se perfectionner afin de mieux développer ses idées musicales, il s’adresse aux plus grands pédagogues de son époque dans l’espoir de trouver un maître capable de le former.
Xenakis se tourne d’abord vers Nadia Boulanger, dont les étudiants sont nombreux et brillants. Cette dernière refuse d’enseigner à Xenakis, affirmant que le jeune compositeur ne sait pas comment développer ses thèmes musicaux. « Quels thèmes ?! » ripostera Xenakis.
Aucun succès avec Arthur Honegger, qui est incapable de voir au-delà des faux-pas musicaux de Xenakis, comme les quintes et octaves consécutives dans sa musique. C’est également un échec avec Darius Milhaud. C’est finalement auprès d’ Olivier Messiaen que Xenakis trouvera le soutien et les conseils qu'il cherche : « Vous avez la chance d’être Grec, d’être un architecte et d’avoir étudié les mathématiques supérieures. Profitez de ces choses. Transcrivez-les dans votre musique » conseille le pédagogue français.
La musique stochastique, ou la mathématisation de la musique
Suivant les conseils de son maître Messiaen, Xenakis se lance en 1953 dans la composition d’une nouvelle œuvre dont les paramètres musicaux se décident selon les lois et procédures mathématiques du calcul de la probabilité. Plutôt que d’écrire une mélodie à l’avance, il choisit un premier son avant de décider les sons, rythmes et tons suivants selon une procédure mathématique, mettant ainsi en relation la musique, l’architecture et les mathématiques.
Si l’idée d’une application musicale du processus de calcul des probabilités est d’abord évoquée au début des années 1950 par les mathématiciens Claude Shannon et Warren Weaver, c’est Xenakis qui en fait une réalité avec Metastasis, inaugurant une nouvelle forme de conception musicale qu’il intitule « musique stochastique ».
La « loi de Xenakis »
Rares sont les compositeurs dont le nom est associé à une loi de probabilité. Tellement rares qu’il n’en existe qu’un seul : Xenakis. Par ses avancées et ses expérimentations dans la probabilité et la musique stochastique, une « loi de Xenakis » est ainsi officiellement reconnue.
Aujourd’hui comptée parmi les nombreuses lois de ce domaine, la loi de Xenakis est l’une des lois dites « Bêta », permettant d’estimer les valeurs possibles d'une probabilité. Inutile d'entrer dans les détails, car rares sont ceux qui peuvent comprendre la définition et les propriétés de cette loi complexe...
Xenakis vs Gounod
Mis à l'honneur dans plusieurs festivals et journées à Paris et en France, Xenakis profite dans le courant des années 1960 d’une reconnaissance croissante et d’un respect non seulement de ses contemporains mais d’un public particulièrement élargi et jeune. La musique et les idées avant-gardistes de Xenakis deviennent symptomatiques de la liberté de pensée de la nouvelle génération française.
Mais c’est en 1968 que l’impact de sa musique et de ses idées éclate au grand jour. Alors que le célèbre mois de mai bat son plein dans les rues du Quartier Latin et que la jeunesse française affiche ses idéaux et ses envies sur les pancartes, les compositeurs en herbe du CNSMDP expriment l’entièreté de leurs sentiments et leur volonté d’évolution avec un seul slogan, écrit sur les murs de l’établissement : « Xenakis, pas Gounod ! »
Iannis Xenakis, créateur d’un logiciel de composition
En 1966, Xenakis fonde sa propre école musicale, huit ans après le GRM de Pierre Schaeffer et quatre ans avant l’IRCAM de Pierre Boulez. Nommé « l’Équipe de Mathématique et Automatique Musicale » (EMAMu) puis le « Centre d’Etudes de Mathématique et Automatique Musicale » (CEMAMu) en 1972, le centre est spécialisé dans la composition assistée par ordinateur.
Il développe notamment l'outil de composition UPIC en 1977 (Unité Polyagogique Informatique du CEMAMu). Les ordinateurs désormais suffisamment puissants pour gérer à la fois l’entrée graphique et la synthèse sonore, Xenakis développe un logiciel graphique intuitif par lequel l'utilisateur peut dessiner des ondes sonores et les organiser en une partition musicale. Avec UPIC, l’utilisateur est ainsi capable de générer graphiquement tous les aspects d'une composition électroacoustique afin de libérer le compositeur des complexités du logiciel ainsi que des restrictions de la notation musicale conventionnelle.
En 1985, le CEMAMu devient Les Ateliers UPIC, avec le soutien de Maurice Fleuret, directeur de la Musique et de la Danse au Ministère de la Culture. Il est renommé le « Centre de création musicale Iannis-Xenakis » (CCMIX) en 2000 et finalement le « Centre Iannis Xenakis » après son accueil en 2010 à l’Université de Rouen Normandie. Le partenariat avec l’université devient institutionnel en 2021.
La musique de Xenakis, un art visuel et sensoriel
Souhaitant réunir les dimensions des arts visuels et kinésiques avec celles des arts sonores, Xenakis crée en 1967 la première de ses Polytopes, qu’il développera pendant 11 ans. Spectacle de son et de lumière conçu pour un lieu précis, on trouve ainsi de nombreux Polytropes uniques, dont les Polytopes de Montréal (pour le Pavillon français de l’Exposition universelle de 1967), de Persépolis et de Cluny.
Pour l’inauguration du Centre Georges-Pompidou en 1978, Xenakis crée le plus ambitieux de ses Polytopes : Diatope. Il travaille à la fois sur l’architecture du pavillon dans lequel sera présentée son œuvre, mais dessine également les machines à lumières au cœur de son projet et compose la musique La Légende d’Eer : un projet quadridimensionnel inspiré des analogies sur la réalité de l’espace-temps qui fascinent tant le compositeur.
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Avant les Rita Mitsouko, Catherine Ringer chantait pour Xenakis
En 1977, Xenakis termine son œuvre N’Shima pour deux voix de femmes, deux cors, deux trombones et un violoncelle. Au moment de préparer la création, on lui propose plusieurs chanteuses talentueuses, de formation classique. Mais le compositeur n’y trouve pas son idéal. Il recherche une voix sauvage, pleine d’émotion et de force, sans les fioritures d’une voix classique traditionnelle.
C’est grâce à sa fille, Mâkhi Xenakis, que Iannis trouvera la voix qu’il désire. Elle l’emmène voir au théâtre son amie et jeune comédienne de théâtre d’avant-garde. L'amie, dotée d’une voix bouleversante, s’appelle Catherine Ringer. La comédienne et musicienne séduit instantanément le compositeur. Ce dernier qualifie Ringer de « diva grecque » et lui demande sur le champ de participer à la création de N’Shima.