Igor Stravinsky : 9 (petites) choses que vous ne saviez (peut-être) pas sur l'auteur du Sacre du Printemps
Par Léopold TobischIl est l'un des compositeurs les plus marquants du XXe siècle, si ce n'est de l'histoire de la musique ! Plus d'un siècle plus tard, sa vie et son œuvre ne cessent de fasciner et d'influencer la musique de tous genres. Voici 9 (petites) choses sur l'immense Igor Stravinsky.
La fin de la musique, et le début du monde
Le 29 mai 1913, au Théâtre des Champs Elysées à Paris, la création du Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky, avec les Ballets russes de Serge de Diaghilev, bouleverse la sphère musicale parisienne. Encore sous l’égide des compositeurs du XIXe siècle, l’œuvre de Stravinsky enfonce violemment la porte de la musique pour l’ouvrir à la modernité du XXe siècle. Ainsi elle dévoile aux nouvelles générations de compositeurs une nouvelle voie musicale.
Par sa musique violente aux idées audacieuses, Stravinsky se verra accusé d’avoir détruit la musique en tant qu'art. Presque 30 ans plus tard, c’est à l’œuvre célèbre de Stravinsky que fait appel Walt Disney pour son nouveau film Fantasia, pour illustrer le Big Bang et l’arrivée des dinosaures sur Terre. Le Sacre du Printemps ne sert plus à la destruction mais à la création, non pas de l’art mais du Monde !
Stravinsky & Diaghilev, une amitié éternelle
En 1909, le catalogue d’œuvres d’Igor Stravinsky est encore modeste, avec seulement quelques œuvres à son nom et une réputation à bâtir. Mais il fera cette année une rencontre décisive en la personne de l’impresario Serge de Diaghilev. « L'exécution aux Concerts Siloti du Scherzo Fantastique et du Feu d'artifice marque une date importante pour l'avenir de toute ma carrière musicale. C'est ici qu'il faut situer le début de mes relations étroites avec Diaghilev », écrit Stravinsky plus tard dans les Chroniques de ma vie.
Impressionné par la musique de Stravinsky, Diaghilev ne tarde pas à commander au jeune compositeur des œuvres musicales pour ses Ballets Russes. Diaghilev sera ainsi à l’origine des premiers et plus grands succès du compositeur, dont L'Oiseau de feu, Petrouchka, le célèbre Sacre du printemps, Pulcinella et Les Noces. Collaboration fructueuse, la relation se transforme en amitié profonde et inébranlable jusqu’à la mort de Diaghilev en 1929. 42 ans plus tard, à la mort de Stravinsky, ce dernier précise dans son testament qu’il veut être enterré sur l’île de San Michele, à Venise, près de son ami Diaghilev.
Stravinsky & Schoenberg, une hostilité ambivalente
Il existe dans la première moitié du XXe siècle essentiellement deux camps de création musicale, chacun menés par un compositeur. D’un côté, Stravinsky et la musique moderne mais ancrée dans la tonalité. De l’autre, Arnold Schoenberg et la musique dodécaphonique. Depuis leur première rencontre en 1912, ces deux titans sont ennemis. Mais ils ne sont jamais bien loin l'un de l'autre. Tel le fameux dicton « Soyez proche de vos amis, et encore plus proche de vos ennemis », les deux titans se retrouvent voisins lorsqu’ils vivent en Californie, sans jamais se croiser !
En 1951, Arnold Schoenberg tire sa révérence. Malgré l’hostilité entre les deux compositeurs, Stravinsky est profondément ému. L’année suivante, il commence à expérimenter avec la musique sérielle. Attendait-il la mort de son plus grand adversaire ? Voulait-il rendre hommage à Schoenberg ? Souhaitait-il s’imposer un nouveau défi, une nouvelle contrainte musicale ? Quoi qu’il en soit, Stravinsky entame en 1954 sa période sérialiste, troisième et dernière période de sa carrière lors de laquelle il compose plusieurs œuvres sérielles dont In Memoriam Dylan Thomas, Agon, Canticum Sacrum, Threni, Abraham et Isaac et The Flood.
Stravinsky, le Picasso de la musique
Il n’existe qu’un Igor Stravinsky ! On compare néanmoins le compositeur à un autre génie révolutionnaire d’un autre genre, Pablo Picasso. En effet les deux artistes font connaissance pour la première fois en Italie en 1917. L’amitié est immédiate, forgée dans un respect profond l’un pour l’autre. Elle mène notamment à deux collaborations, Ragtime et Pulcinella.
Tous deux révolutionnaires dans leur art, les deux artistes ne tournent pas le dos au passé de leurs domaines, bien au contraire. Alors que Stravinsky se laisse influencer par les œuvres de Pergolèse, Bach, Mozart et Verdi, Picasso s’ouvre aux tableaux des maîtres du passé tels qu’El Greco, Velázquez, Delacroix et Manet.
Leurs carrières suivent également de similaires virages soudains vers de nouveaux horizons inattendus. Suite à la mort en 1955 de son adversaire sérialiste Arnold Schoenberg, Stravinsky est finalement libre de s’adonner à cette nouvelle esthétique musicale. Quant à Picasso, il attendra la mort d’Henri Matisse avant de s’inspirer de la série des « Odalisques » de ce dernier.
Un inventeur de musique
Lorsque l’on demande à Stravinsky de déclarer sa profession à la frontière française, le compositeur répond sans hésiter « inventeur de musique ». En effet, pour Igor Stravinsky, la composition n’est pas une question d’inspiration divine et romantique mais un métier, une profession qu’il exerce seul pendant des heures précises.
Telles les expérimentations d’un scientifique, Stravinsky ne peut écrire une seule note de musique sans connaitre chaque paramètre de l’œuvre en question. Il demande régulièrement les dimensions exactes des salles de concert dans lesquelles seront créées ses œuvres ainsi que le nombre de places. Contrairement à ses contemporains, plus de conditions et de paramètres il s’impose, plus il se sent libre.
L’argent, un sujet non des moindres
Stravinsky est un compositeur professionnel, dans sa façon de travailler mais aussi dans sa façon de facturer. L’argent n’est pas un sujet négligeable pour Stravinsky, et ce dernier compte bien faire payer ceux qui, dans le passé, ont pu laisser mourir d’immenses compositeurs comme Mozart et Bartók dans la pauvreté. Même ses amis n'échappent pas à cette règle : il refusera la commande d’un ballet liturgique de Diaghilev car ce dernier proposait de l’inclure dans les frais prévus pour sa commande des Noces.
Si la plupart des œuvres de Stravinsky naissent d’une commande (souvent généreusement rémunérée) et non d’une inspiration divine, il ne faut pas croire que Stravinsky ne s'implique pas dans la composition. « L’astuce est de choisir sa commande, de composer ce que l’on veut composer puis ensuite de se le faire commander » avoue-t-il à son assistant dans son ouvrage Memories and commentaries.
Robert Craft, l’assistant à la grande influence
Derrière l’immense figure de Stravinsky ce cache celle d’un écrivain et chef d’orchestre américain, dont l’importance dans la vie du compositeur n’est pas négligeable. D’abord l’assistant et secrétaire d’Arnold Schoenberg, il est ensuite engagé par Stravinsky en 1947 en tant qu’assistant personnel. Craft obtient alors un accès privé au quotidien du célèbre compositeur, et assiste ce dernier dans la composition, l’enregistrement et même la création de ses œuvres. Ami fidèle et proche de la famille Stravinsky, il vit même avec Stravinsky et sa femme à Hollywood puis à New York, jusqu’à la mort du compositeur.
Mais Robert Craft exerce également une influence importante sur Stravinsky. « Sans moi, Stravinsky n’aurait pas choisi le chemin qu’il a suivi », avoue-t-il en 1993 dans sa biographe Stravinsky : Glimpses of a Life. En effet, grâce à (ou à cause de ?) Robert Craft, Stravinsky décide en 1954 de s’ouvrir finalement au sérialisme après la mort de Schoenberg en 1951. Craft sera également l’auteur de nombreux ouvrages sur Stravinsky, dont des interviews, des mémoires et des recueils de correspondance. Mais il se verra accusé à de nombreuses reprises d’erreurs factuelles et d’avoir même attribué certains de ses propos au compositeur.
L’oiseau de Feu, ingrédient essentiel du rock, de la pop et du hip hop
Stravinsky signe en 1913 l’une des œuvres les plus scandaleuses et marquantes de l’histoire du XXe siècle. Mais il signe trois ans plus tôt L’Oiseau de feu dont un seul accord résonnera toute autant à travers l’histoire de la musique et à travers plusieurs milliers de chansons de rock, de pop, de jazz et de hip hop.
En 1975, deux Australiens, Peter Vogel et Kim Ryrie, développent et commercialisent le tout premier synthétiseur et échantillonneur numérique : le FairlightCMI**.** Doté d’un processeur puissant, le Fairlight CMI offre à ses utilisateurs de nombreuses possibilités novatrices et une banque de sons préenregistrés mis à disposition sur plusieurs disquettes 8 pouces. Parmi ces nombreux effets sonores se trouve les « orchestra hits », collection d’échantillons de « frappes » orchestrales. Et caché sous le nom d’« ORCH2 » se trouve la frappe orchestrale de l’Oiseau de feu de Stravinsky.
Particulièrement marquante, la frappe ne manquera d’inspirer d’innombrables artistes de tous les genres, dont Afrika Bambaataa, Miles Davis,Yes, Eurythmics, Madonna et Michael Jackson.
L’unanimité de son influence
Qu’on le souhaite ou non, il est difficile d’éviter l’immense influence d’Igor Stravinsky : le paysage musical reste marqué à jamais par ce compositeur russe si singulier. Rares sont ceux à exercer une telle influence sur tout un siècle de compositeurs.
En effet, Igor Stravinsky relie d’innombrables compositeurs, parfois en apparence opposés, par leur inspiration commune. De Pierre Boulez à Steve Reich en passant par Béla Bartók, Olivier Messiaen, Edgard Varèse, Iannis Xenakis, Aaron Copland, John Adams, Philip Glass, Karlheinz Stockhausen, Louis Andriessen, Elliott Carter, Thomas Adès, John Tavener et Harrison Birtwistle, pour ne citer qu'eux, la liste de ceux pour lesquels la musique de Stravinsky fut une révélation est longue.
Au-delà du classique, sa musique influence également des artistes de jazz comme Charlie Parker, Charles Mingus, Ornette Coleman, Alice Coltrane, ou encore les expérimentations rock de Weather Report, Frank Zappa, King Crimson, et Metallica, sans parler des bandes originales de cinéma de Bernard Herrmann et de John Williams.