« Il faut partir au plus beau moment » Philippe Jordan termine son mandat à l'Opéra de Paris

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« Il faut partir au plus beau moment » Philippe Jordan termine son mandat à l'Opéra de Paris

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« Il faut partir au plus beau moment » - Philippe Jordan au micro de Jean-Baptiste Urbain
« Il faut partir au plus beau moment » - Philippe Jordan au micro de Jean-Baptiste Urbain
© AFP - GEORG HOCHMUTH

Bientôt à la fin de son mandat de directeur musical de l’Opéra de Paris, Philippe Jordan s’exprime au micro de Jean-Baptiste Urbain à propos de ses expériences, ses souvenirs et les difficultés récentes à surmonter.

C’est un grand chapitre dans l’histoire de l’Opéra national de Paris qui s’achève. Après presque 12 ans à la direction musicale de son orchestre, le chef suisse Philippe Jordan tire sa révérence à la fin de cette saison. Comment ne pas redouter ce dernier moment avec les musiciens de l’orchestre et du chœur de l’Opéra national de Paris après plus d’une décennie ?

« C’est la fin d’un long voyage de 12 ans que l’on a fait ensemble témoigne le chef au micro de Jean-Baptiste Urbain Ça fait du mal de se dire au revoir. Ce n’est pas tout à fait fini car nous avons un concert d’adieu à la fin de saison le 2 juillet, avec, on l'espère, un public ! ».

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Si les départs sont souvent des moments de tristesse, Philippe Jordan n’aura pas eu le temps d’y penser, tant il fut occupé à essayer de sauver la production intégrale de la Tétralogie de Wagner.

Les rebondissements du Ring

« Jusqu’ici tout va bien », assure Philippe Jordan quant à l’enregistrement du Cycle Ring, production intégrale de la Tétralogie de Wagner, qui prendra finalement vie sur France Musique entre le 26 décembre 2020 et le 2 janvier 2021. Initialement conçue dans une version scénique confiée à Calixto Bieito, la production a été victime des nombreuses péripéties qui ont touché l’Opéra de Paris depuis un an, dont les grèves et l’arrêt total des productions due à la pandémie de Covid-19.

Point d’orgue du mandat de Philippe Jordan (ainsi que de l’ancien directeur général de l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner), la production scénique a finalement été annulée. Mais le mandat de Philippe Jordan prendra bien fin sous l’égide musicale de Richard Wagner. Une manière de boucler la boucle pour le chef, car c’est avec la musique de Richard Wagner qu’il avait terminé en 2009 sa toute première saison en tant que directeur musical l’Opéra de Paris (Das Rheingold et Die Walküre).

Mais pour Philippe Jordan, il ne s'agit pas seulement de sauver le Ring, mais aussi d’assurer le bien-être et la survie de ses équipes musicales pendant cette période d’instabilité, accentuée par le départ prématuré de Stéphane Lissner : « Il est parti et nous a laissé un peu dans le vide. En tant que directeur musical, je suis responsable ici, je veux aider toutes nos équipes musicales, le chœur et surtout l’orchestre, pour survire à cette pandémie. Si on ne joue pas, on aura des pertes de qualité. Il faut entretenir un instrument comme un orchestre, et surtout les chœurs, car la voix est encore plus fragile. »

Il était donc essentiel pour Philippe Jordan de remonter sur scène avec ses musiciens afin d'entretenir son ensemble : « On a joué, on a répété, et cela me fait beaucoup de plaisir de voir que cet orchestre est en grande forme. Je peux partir maintenant sachant que je les ai accompagnés à travers une période très difficile et leur dire "vous êtes en super forme, j’espère que vous allez bientôt jouer devant un public et je suis tellement content de vous avoir accompagnés". »

Wagner sans public

Chef d'un orchestre d'opéra, intimement lié à son public, Philippe Jordan n’est pas insensible à l’ironie de finir son mandat par un enregistrement pour une diffusion radiophonique : « Il faut vivre avec le virus, et vivre avec son temps. Il faut s’adapter et nous sommes donc passés d’une version scénique à un concert en streaming. On peut exercer notre mission pour un grand public, et même peut-être un plus grand public que dans une salle ». 

Une salle qui restera vide jusqu'au 15 décembre, et dont le seul public est les nombreux micros placés pour les captations. Des conditions particulières, comme le souligne Philippe Jordan : « le chant est très proche et on entend chaque détail de ce que font les voix, c’est sublime. (...) on peut toujours profiter pleinement de cette musique même sans la mise en scène, car toute la théâtralité est dans la musique et le chant. Combien de fois j'entends des gens me dire "de toute façon je ferme les yeux dans la salle, je ne regarde pas ce qu'il se passe sur le plateau" ! »

Le bilan, les souvenirs et la relève

Ce _Ring_fera donc partie des derniers souvenirs du directeur musical. Des souvenirs nombreux, après presque 12 ans à l’Opéra de Paris, et dont les meilleurs sont difficiles à trouver. « Il y en a tellement que j’ai du mal à choisir ! Les concerts que nous avons fait ici, le cycle Beethoven, voir ce bel orchestre pour la première fois au Musikverein de Vienne, au Festival de Lucerne, voir l’orchestre briller devant un public international qui ne connait pas assez l’orchestre de l’Opéra de Paris. Et bien sûr nous avons produit de magnifiques spectacles ».

Si le chef quitte la maison lyrique parisienne avec une valise pleine de souvenirs mémorables, il emporte également une certaine inquiétude en ce qui concerne l’avenir de l'institution après une année catastrophique. Près de 50 millions d’euros de pertes après plusieurs mois de grève et deux confinements : « Nous n’avons plus de marges, et c’est un gros problème. Faire revivre cette maison et se repositionner pour avoir un futur, mais je suis très confiant avec Alexander Neef  ».

Quant à la question de qui prendra la relève, motus et bouche cousue ! « J’ai parlé de ma succession avec Alexander Neef et je pense qu’il va annoncer cela dès qu’il peut. Bientôt je l’espère car c’est important pour chaque maison d’opéra : la relation entre  l’orchestre et son directeur musical, c’est la fondation de chaque maison d’opéra. Il faut que ça marche, mais je suis très confiant ». Sans information officielle, les couloirs murmurent le nom de Gustavo Dudamel : une bonne nouvelle selon Philippe Jordan? « Bien sûr, pourquoi pas ! »

Un confinement qui suscite de bonnes questions

A la direction musicale de l’Opéra de Vienne, Philippe Jordan continue les productions fermées au public mais néanmoins filmées : « Il faut vivre avec, en espérant bientôt retrouver un public ». Mais si le confinement lui a accordé un peu de temps pour lui-même (« le silence est aussi important »), il a également suscité de nombreuses questions importantes concernant l’importance du monde de la culture :

« Est-ce qu’on est vital pour une société ? Cela ne se voit peut-être pas à première vue mais au bout de quelques semaines, on voit à quel point cela nous manque. La musique est une chose sociale, il faut la partager avec les gens, cela ne suffit pas de juste faire du streaming, il faut être ensemble. Un orchestre est fait pour jouer ensemble. […] C’est pour ça aussi que je me suis battu pour faire le plus possible, le plus vite possible, et de réaliser tous ces projets. »

Ciao maestro ?

Après 12 ans et de nombreux souvenirs, c’est un grand chapitre qui s’achève pour Philippe Jordan, qui se console avec une expression allemande : il faut partir au plus beau moment. « Quitter Paris n’était pas un choix fait contre Paris mais pour aller vers une nouvelle chose. Au bout de 12 ans […] il faut faire attention à ne pas se répéter. J’ai tout donné et tout montré. L’orchestre, la maison et le public ont besoin de nouvelles stimulations, et moi également. » 

Mais si le chef d’orchestre s’apprête à diriger ses derniers concerts à la tête de l’orchestre de l’Opéra, il assure que ce n’est qu’un au revoir, et non un adieu : « C’est important de dire au revoir, mais pas pour toujours j’espère ». 

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