Interdiction du pernambouc : le monde de la musique alerte dans une tribune

Publicité

Interdiction du pernambouc : le monde de la musique alerte dans une tribune

Par
Le bois de pernambouc est utilisé pour la confection d'archets de haute qualité
Le bois de pernambouc est utilisé pour la confection d'archets de haute qualité
© Getty - Yellow Dog Productions

Près de 200 personnalités, dont Martha Argerich, Simon Rattle, Pascal Dusapin et Yo-Yo Ma, s'inquiètent de la possible interdiction du commerce de ce bois rare, utilisé pour fabriquer les archets.

"Ne faisons pas du monde musical un bouc émissaire de la déforestation". Dans une tribune publiée mardi par le quotidien Le Monde, près de 200 personnalités issues du monde de la musique classique s'inquiètent vivement de la possible interdiction du commerce du bois de pernambouc, utilisé pour la confection des archets. Parmi les signataires, des noms très prestigieux : Martha Argerich, Yo-Yo Ma, Pascal Dusapin, Simon Rattle, ou encore Renaud et Gautier Capuçon. "Nous, musiciens à cordes, jouons des archets en bois de Pernambouc, car c’est le matériau qui conjugue toutes les qualités requises pour l’expression de notre art", peut-on lire dans la tribune,

Le Brésil cherche en effet à interdire la commercialisation du bois de cette espèce endémique, qui pousse uniquement dans le nord-est du pays. Arguments avancés : lutter pour la préservation de l'espèce, et surtout, contre la contrebande et le commerce illégal de bois de pernambouc, qui se sont développés ces dernières années. L'interdiction de son commerce pourrait être validée le 25 novembre à l'issue de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites), au Panama. Si elle venait à être votée, la décision s’appliquerait dans un délai de 60 jours.

Publicité

"La disparition d'un métier séculaire"

"Les volumes de bois, européens et exotiques, utilisés par la facture instrumentale dans sa globalité sont particulièrement modestes en comparaison des volumes employés par l’industrie du papier, du bâtiment ou du meuble à travers le monde", plaident les musiciens, craignant pour leur activité mais aussi pour l'avenir du métier d'archetier : "La proposition formulée par le Brésil pourrait restreindre drastiquement les déplacements et tous les échanges commerciaux en rapport avec les archets de violon, d’alto, de violoncelle ou de contrebasse. L’adoption de cette proposition entraînerait aussi à moyen terme la disparition d’un métier séculaire, archetier, en lui retirant toute possibilité d’approvisionnement en bois de Pernambouc."

D’autres matériaux peuvent être utilisés, comme les fibres de carbone composites, "mais la richesse du pernambouc au niveau de la production du son est irremplaçable. Un archet fabriqué dans un autre matériau n’a pas les mêmes qualités acoustiques", nous expliquait en juillet dernier Arthur Dubroca, archetier depuis 1996, installé dans le XVIIe arrondissement de Paris, pour qui il s'agit aussi d'une question de "confort de jeu" : "À partir du moment où nous utilisons un bois qui n’est pas du pernambouc, nous modifions le timbre, la réactivité de la baguette, les articulations..."

Le pernambouc est classé "espèce menacée d’extinction" depuis 1992. En 2007, l'arbre avait été répertorié "espèce protégée" par une convention réunie à La Haye, et classé à l’Annexe II de la Cites. Les professionnels ne peuvent depuis qu'acheter uniquement du bois dit 'pré-convention', un bois qui était déjà déclaré et stocké en 2007. Les archetiers se reposent donc sur les stocks déjà existants, qu'une interdiction totale de circulation et de commerce - passage à l'Annexe I de la Cites - précariserait davantage.

6 min

La position de la France et de l'UE attendue (et redoutée)

La décision apparaitrait d'autant plus injuste aux luthiers et archetiers que ces derniers sont mobilisés de longue date sur la question de la préservation du pernambouc, expliquait à France Musique Fanny Reyre Ménard, membre du bureau de la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI) : "Depuis plus de 20 ans, nous avons un programme de replantation qui est financé par les professionnels. Nous avons déjà replanté un peu plus de 300 000 plans de pernambouc, dont il est attesté que plus de la moitié seront réservés à la conservation de l’espèce."

Ce qui inquiète encore davantage le milieu, c'est le possible aval de la France et de l'Union européenne, qui doit donner son avis le 11 novembre. Dans un communiqué, la CSFI en a appelé au président Emmanuel Macron et à sa Première ministre, Elisabeth Borne. Une pétition, contre la classification du pernambouc à l'Annexe 1 de la Cites, a quant à elle déjà récolté plus de 16.000 signatures.