La séquence des perles et des inédits ressortis de l’oubli. Cette semaine, réhabilité par son énorme succès sur YouTube, un album culte du pianiste japonais Ryo Fukui, en trio, en 1976 : « Scenery ».
Si le jazz n’a dans un premier temps pas fait l’unanimité au Japon, car étant associé à une culture étrangère, il s’est tout au long du XXème siècle intégré et adapté à l’environnement japonais, donnant naissance dans les années 1960 à l’une des scènes de free jazz les plus dynamiques du monde. Certains chercheurs estiment que le Japon compte toujours le plus grand nombre d’auditeurs de jazz au monde, notamment grâce aux jazz kissa : des bars cosy qui ritualisent l’écoute de disques, un peu comme si l’on dégustait un bon whisky.
Enregistré six ans après son installation à Tokyo, loin de sa ville natale, « Scenery » est le premier album de Ryo Fukui. Incontestablement l'un des albums de jazz japonais les plus importants jamais enregistrés, « Scenery » révèle Ryo Fukui comme un brillant pianiste autodidacte fusionnant des influences modales et bebop pour une version très personnelle, adroite et iconoclaste de quelques grands standards. De It Could Happen To You et son intro sereine qui se transforme comme par magie en un morceau jubilatoire, en passant par le solo de piano de Early Summer, ou l'incroyable sens collectif sur Autumn Leaves où Fukui mène Satoshi Denpo (basse) et Yoshinori Fukui (batterie) au paradis du groove, chaque note de l'album respire la précision, la confiance et l’intuition juste. Souvent comparé à McCoy Tyner ou Bill Evans, Ryo Fukui était un véritable maître perfectionniste. « Scenery » est son œuvre majeure et un incontournable.
Le pianiste originaire d'Hokkaido enregistrera ensuite le joyau soul « Mellow Dream » en 1977, avant de se consacrer au live, se produisant souvent au Slowboat Jazz Club de Sapporo, cofondé avec sa femme Yasuko Fukui. Ryo Fukui s’est également produit dans des lieux historiques tels que le Pit Inn à Shinjuku, le Sometime à Kichijoji ou le Jazz Inn Lovely de Nagoya. La suite de sa carrière a été rythmée par des voyages, en particulier aux États-Unis où son mentor Barry Harris a inspiré certains de ses lives les plus enivrants (« In New York, 1999 »). Avant sa disparition, l’artiste réunissait de superbes solos dans « A Letter From Slowboat » (2016), en forme de lettre d’amour adressée à sa terre natale. Ryo Fukui est décédé en mars 2016.
L’album, réédité en Suisse en 2018 par We Release Jazz (label sœur de WRWTFWW) est aujourd’hui épuisé.
- Scenery
- I Want to Talk About You
- Autumn Leaves
- Willow Weep For Me
- It Could Happen to You
Ryo Fukui, piano
Satoshi Denpo, contrebasse
Yoshinori Fukui, batterie
Enregistré à Sapporo, Japon, le 7 septembre 1976