Jazz au Trésor : Wes Montgomery - The NDR Hamburg Studio Recordings

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Jazz au Trésor : Wes Montgomery - The NDR Hamburg Studio Recordings

Wes Montgomery
Wes Montgomery
© Getty - David Redfern

La séquence des perles et des inédits ressortis de l’oubli. Cette semaine, un album inédit de Wes Montgomery enregistré à Hambourg en 1965 : « The NDR Hamburg Studio Recordings », accompagné d’un DVD des répétitions. Sortie chez Jazzline / Socadisc.

Soyez heureux avec vous-même
Quand Wes Montgomery s'est rendu à Hambourg depuis Londres en avril 1965, il a probablement fait le voyage avec le saxophoniste Ronnie Scott. Il venait de faire une apparition dans son club londonien - déjà très apprécié à l'époque - avec le pianiste Stan Tracey, la bassiste Rick Laird à la basse et le batteur Ronnie Stephenson. Ce dernier était probablement aussi dans le même avion pour Hambourg – puisqu’il était le batteur attitré du NDR Bigband (qui s'appelait encore le « Studioband »). Et qui sait - peut-être qu'il y avait un quatrième larron avec eux, car l’autre ténor, Ronnie Ross, est également arrivé d'Angleterre avec, dans ses bagages, presque tous les arrangements qu'il avait écrits pour ce projet d’enregistrement très spécial. Le 30 avril, le 39ème NDR Jazzworkshop allait se dérouler devant les micros et les caméras de la NDR à Hambourg, Wes Montgomery, l'invité des États-Unis, était internationalement considéré comme une sorte d'enfant prodige. Un avis partagé par Hans Gertberg, qui organisait ces workshops depuis 1958 et par le compositeur et directeur musical de la NDR d’alors, Rolf Liebermann. Il faut se souvenir que la carrière de Wes Montgomery avait démarré dans les circonstances les plus modestes, le guitariste travaillant toujours dans une usine pendant les premiers années, avant d’être repéré par Cannonball Adderley. En prime, Wes Montgomery a inventé une toute nouvelle technique de jeu de la guitare qui a épaté tout le monde : d'une part, il utilisait le pouce de la main droite (qui produisait des sons plus «doux» et étouffés) et d'autre part il improvisait les doigtés d'octave de manière à ce que les sons aigus et clairs et les sons sombres et graves sonnent simultanément.

La tournée européenne du printemps 1965 est extrêmement bien documentée, notamment à travers de nombreux enregistrements de concerts en club et à la radio, publiés sur LP et plus tard sur CD. Wes Montgomery s'était alors lancé dans une expérience originale : souvent (par exemple à San Remo, en Belgique ou pour la BBC à Londres) il jouait avec son propre quartet, c'est-à-dire avec Harold Mabern au piano, Arthur Harper à la contrebasse et Jimmy Lovelace à la batterie, mais il a tenu à rester disponible en tant qu'invité pour des ensembles de jazzmen européens. Ainsi pour le trio de Stan Tracey dans le club londonien de Ronnie Scott ou aux Pays-Bas avec le pianiste Pim Jacobs, son frère Ruud Jacobs à la basse et le batteur Han Bennink ; à Hilversum il a partagé la scène avec le trompettiste et bugliste Clark Terry.

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Open jazz
54 min

Le casting pour le rendez-vous de Hambourg était encore plus relevé. Il suivait la ligne éditoriale du projet NDR à l'époque : rassembler pendant une semaine des musiciens (rarement des femmes) qui ne jouent pas ou rarement ensemble habituellement et en présenter ensuite le résultat du workshop à la radio. Ce n'est pas sans raison que le responsable du workshop, Hans Gertberg, fit remarquer au public lors de la présentation du concert que le célèbre invité avait dû surmonter certaines inhibitions afin de s'engager pleinement au sein de ce tout groupe.

C’est qu'il y avait quatre saxophonistes assis en face de lui, tous de solides solistes : Johnny Griffin (un "Américain en Europe", avec qui Montgomery avait déjà joué à Paris) ; Hans Koller de Vienne (l'un des plus importants jazzmen européens dans les années 60 et co-fondateur de cette série de concerts plutôt uniques de Hambourg) ; et les deux Ronnies londoniens, Scott au ténor et Ross au baryton.

Open jazz
54 min

Et cerise sur le gâteau, à côté du batteur Ronnie Stephenson et du bassiste Michel Gaudry, était assis au piano l'un des plus importants innovateurs européens du jazz, Martial Solal. Ses solos (notamment dans "Opening 2" au début du deuxième set du concert) marquent la volonté d’autonomie stylistique de plus en plus marquée des musiciens européens envers les maîtres américains dès le milieu des années 1960. Ceci est également flagrant dans la section de saxophones magnifiquement arrangée. Tout cela aurait dû être un défi extrême pour l'invité des États-Unis. Mais il s’en sort haut la main, avec brio et élégance.

Dans ses propres compositions, comme dans celles de Ross, Solal et Griffin, Wes Montgomery réagit avec empathie à l'esprit très singulier de chacun de ses partenaires. Il réussit un double exploit : il s’affirme en leader (après tout, il est l'invité vedette de la soirée), et il se fond également quand il le faut au sein du collectif. Les dialogues qui en découlent, entre la finesse du son de la guitare et l'énergie collective des saxophonistes dépassent le cadre de la tradition et des conventions. Avait-on déjà entendu un individu et le groupe communiquer dans un aussi subtil paradoxe ?

À réécouter : Wes Montgomery
Easy jazz
29 min

Au printemps 1965, le guitariste n'avait plus que trois ans à vivre. Wes Montgomery est décédé en 1968, à seulement 45 ans, d’une crise cardiaque. Le succès de l'autodidacte a bondi au cours des trois dernières années, mais il n'en était pas heureux pour autant. Entre les mains de producteurs à vocation commerciale, la musique de Wes Montgomery a glissé vers une « marque » tentée par le easy listening. En fin de compte, le guitariste a estimé que c'était une sorte de trahison de sa craie nature. Une phrase infiniment triste le résume : « Je suis déprimé par ce que je produis musicalement ».

Les concerts européens, et en particulier ces happy hours au workshop de la NDR le 30 avril 1965 à Hambourg, marquent peut-être certains des plus beaux moments dont Wes Montgomery se soit souvenu et dont il avait toutes les raisons d’être fier.
Michael Laages (notes de pochette)

  • West Coast Blues
  • Four On Six
  • Opening 2
  • Blue Monk
  • Twisted Blues (sans les saxophonistes)

Wes Montgomery, guitare
Hans Koller, sax alto
Johnny Griffin, sax ténor
Ronnie Scott, sax ténor
Ronnie Ross, sax baryton
Martial Solal, piano
Michel Gaudry, contrebasse
Ronnie Stephenson, batterie
Enregistré au Studio 10 de la NDR à Hambourg, 30 avril 1965