Jazz Bonus : Grand Sorcier - Nénèn
À l’initiative du guitariste protéiforme Stéphane Hoareau (G!rafe, Trans Kabar…), le quintette Grand Sorcier mélange l’esprit du maloya et celui du free jazz… Deux musiques de résistance et de liberté ! Parution chez Discobole/Modulor.
Du maloya au free jazz : les sortilèges de Grand Sorcier… Et si le graal de chaque musicien, à l’instar des poètes, était, selon les mots de Rimbaud, de « trouver une langue » ? Soit la quête artistique d’une vie, forgée au fil des notes, des sons, des rythmes pas sages, des rites de passage… Celle de Stéphane Hoareau, né en 1979, démarre sur le sol réunionnais.
Adolescent, dos tourné au maloya insulaire, il gratte sur sa guitare les accords d’Hendrix, Led Zeppelin, Nirvana… Puis se perfectionne au conservatoire de Saint-Pierre. Titulaire d’une bourse, direction la métropole : il poursuit sa route en cursus jazz à Montreuil. Diplôme d’État en poche, il traque son identité artistique au cœur de ses expériences, de ses collaborations, des pistes empruntées - jazz contemporain, rock indé, chanson, création pour le théâtre… Sur sa voie multiple, brillent ses héros, tels des phares : Pat Metheny, Bill Frisell, John Scofield.
Mais toujours, loin de tout mimétisme, il cherche son langage, sa personnalité, un son, sa voix. Et soudain, surgit l’évidence, la nostalgie. Loin de son île, le maloya, ses chants, ses tambours, sa spiritualité, l’appellent. Comme une injonction à les défendre. Dès lors, le cœur de sa musique sera « maloya », emmêlé à toutes les influences qui composent son voyage musical. En 2017, il fonde ainsi le groupe G!rafe, avec Bruno Girard (Bratsch), Théo Girard, Nicolas Naudet et Éric Groleau, un band de rock abrasif qui reprend l’œuvre écorchée vive du poète réunionnais Alain Péters.
Puis, ce sera Trans Kabar, en 2019, un quartet électrique autour des chants traditionnels des servis kabaré, ces cérémonies réunionnaises en hommage aux ancêtres, portés par la voix de Jean-Didier Hoareau.
Des musiques d’émancipation
La création de Grand Sorcier, elle, tient à une lecture fondamentale, celle du mythique Free Jazz, Black Power, de Jean-Louis Comolli et Philippe Carles. « Je me suis pris une claque, s’enthousiasme le guitariste. Dans les années 1960, les noirs-américains avaient réussi à forger la bande-son idéale pour porter leurs revendications sociales, raciales, politiques... Leur musique incarnait leur voix. Elle leur ressemblait ! Je perçois surtout entre le free jazz et le maloya, des similitudes frappantes. Toutes deux, incarnations de la souffrance de peuples opprimés, aspirent à l’émancipation. Ce sont pour moi des musiques de fierté, de résistance… De liberté ! »
Ainsi, avec Grand Sorcier, Stéphane Hoareau cherche à mêler aux tourneries ternaires et aux formules représentatives du maloya, les instruments et les improvisations survoltées, hors carcan, du free jazz. Pour ce faire, il a réuni un quintette de choix, une dream team, autour de deux saxophones « ténor », pour rappeler les « icônes » du free jazz, John Coltrane ou Archie Shepp. Dans ce groupe quasi paritaire - fait rare dans le milieu du jazz !, Stéphane s’entoure donc de Nicolas Stéphan – saxophoniste, compositeur (Surnatural Orchestra, Le Bruit Du [sign] …) et écrivain, auteur du roman “De la violence dans les détails” -, de Sakina Abdou - saxophoniste, exploratrice de l’improvisation libre au sein de collectifs comme « La Pieuvre » ou « Zoone Libre » –, de Leïla Soldevila, contrebassiste multi-facettes, rôdée aux musiques du monde et de Ianik Tallet, LE batteur de Trans Kabar, de formation jazz, initié aux secrets ternaires. Pour diriger tout ce beau monde, le guitariste les a sensibilisés aux fabrications du maloya, à ses structures, à ses cellules, à ses constructions en questions-réponses, avec des saxophonistes utilisés comme des chanteurs : un canevas initial propice aux prises de risques les plus audacieuses.
Mythologies réunionnaises
Enregistré en une vaste session improvisée au théâtre Durance, dans les Alpes de Haute-Provence, ce premier disque, “Nénèn” (« nounou » en créole), convoque, en son jardin de sons luxuriants, dans sa jungle polyphonique sur terreau ternaire, les mythologies du maloya et de La Réunion. Ainsi, le premier titre s’inspire-t-il du Bat Sézi, ce rituel de purification des esprits, cérémonie de transe d’origine malgache, où les participants frappent un monceau de cannes séchées recouvert d’une natte, avec deux bouts de bois. Dans ce titre, la ferveur monte, portée par les boucles incandescentes des saxophones. Dans Portèr la Brez, influencé par des rythmes binaire ouest-africain, Stéphane Hoareau convoque les officiants qui déambulent avec la braise à travers l’assistance, pour initier l’office. Dans Lam su bato, il décrit en musique le quotidien rude des pêcheurs, les vagues qui brisent les barques, et la paix retrouvée le week-end, lors des servis… Et puis, distinctement, les rythmes chaotiques et polyphoniques des instruments retranscrivent à merveille les soubresauts d’une charrette sur les chemins de pierre dans Sarèt Bèf…
Le titre du groupe, Grand Sorcier, tient enfin à l’étymologie mozambicaine, du mot « maloya ». Et finalement, cette traduction tombe à pic. Stéphane Hoareau, reconverti en mage, en magicien, célèbre dans ce groupe, le puissant côté guérisseur de cette musique. Pour ce faire, il convoque un socle commun, cette transe, dans les deux styles qu’il mélange, free jazz et maloya. « Je renoue avec leur part sacrée, leur spiritualité », dit-il. Car finalement, « trouver une langue », n’est-ce pas aussi créer des sources alchimiques, des formules magiques ?
(extrait du communiqué de presse)
Sakina Abdou (saxophone ténor)
Nicolas Stephan (saxophone ténor)
Stéphane Hoareau (guitare)
Leïla Sodevilla (contrebasse)
Ianik Tallet (batterie)